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Affaire de Karachi : les juges établissent le rôle central d''Edouard Balladur

23 octobre 2012, 00:00

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Les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, chargés du volet financier de l''''affaire de Karachi, en ont acquis la certitude : l''ancien premier ministre Edouard Balladur et l''ex-directeur de son cabinet Nicolas Bazire auraient été les architectes d''un vaste réseau de financement politique occulte, à travers des contrats d''armement.

Nicolas Bazire, déjà poursuivi pour "complicité d''abus de biens sociaux", risque une nouvelle mise en examen, pour "recel" de ce même délit. Celui qui fut aussi directeur de la campagne présidentielle de M. Balladur en 1995 est convoqué à cette fin, lundi 29 octobre, par les deux juges. Il n''est plus seulement soupçonné d''avoir supervisé la signature de contrats d''armement douteux, mais aussi d''avoir détenu des fonds illicites issus desdits contrats. Fonds qu''il aurait eu pour mission de remettre à M. Balladur...

DEVANT QUELS JUGES ?
Ce nouvel épisode d''une enquête portant sur les dessous de ventes d''armes négociées par le gouvernement dirigé, entre 1993 et 1995, par M. Balladur, confirme l''implication de ce dernier et pourrait bientôt lecontraindre à répondre judiciairement de ses actes. Mais devant quels juges ? Ceux de la Cour de justice de la République (CJR), seuls compétents pour enquêter sur des faits commis par des ministres pendant l''exercice de leurs fonctions ? Ou ceux du droit commun, en l''occurrence les juges d''instruction qui enquêtent sur l''affaire ? L''ex-premier ministre pourrait en fait devoir répondre devant les deux juridictions.

En effet, si les actes relatifs aux ventes d''armes conclues par son gouvernement relèvent à l''évidence de la CJR – s''agissant d''Edouard Balladur à Matignon et de son ministre de la défense, François Léotard –, les faits d''enrichissement personnel éventuels, postérieurs à 1995, peuvent continuer à être instruits par les deux juges du pôle financier. Ces derniers enquêtent notamment sur l''acquisition, en 1996, d''une propriété en Normandie par le couple Balladur.

Les derniers développements de l''enquête mettent un peu plus en lumière le rôle décisif joué par les duos Balladur-Bazire (à Matignon) et Léotard-Donnedieu de Vabres (à la défense) dans la mise en place d''un réseau d''intermédiaires, dans des marchés d''armement portant sur des milliards d''euros, en contrepartie de financements occultes. Questionné le 17 octobre sur l''arrivée suspecte en avril 1995 de plusieurs millions de francs sur le compte de campagne de M. Balladur, dont il était le trésorier, René Galy-Dejean a ainsi directement mis en cause l''ancien candidat et M. Bazire. Et cet été, l''ex-femme de Thierry Gaubert, un proche de Nicolas Sarkozy, a déclaré à la police judiciaire que les rétrocommissions étaient destinées à M. Balladur.

Récemment versée à la procédure par la police judiciaire, une"chronologie non exhaustive" de 35 pages retraçant les principaux événements intervenus entre 1989 et 2000 s''agissant des contrats d''armement suspects atteste que, à leurs postes respectifs, MM. Balladur et Léotard s''activèrent à partir de 1994 pour décrocher de juteux marchés avec le Pakistan et l''Arabie saoudite. Et surtout imposer dans ces marchés deux intermédiaires d''origine libanaise (Ziad Takieddine et son associé de l''époque Abdul Rahman El-Assir), qui auraient eu pour mission principale de rapatrier en France une partie des commissions perçues lors de la vente de sous-marins à Islamabad (contrat Agosta) ou de diverses armes au royaume wahhabite (contrats Sawari II, Mouette, Shola et SLBS).

LOURDES PERTES
Les démentis outragés opposés par M. Takieddine se heurtent aux nombreuses découvertes faites en Suisse par les magistrats, qui ont retracé les multiples allers-retours effectués par celui-ci entre Paris et Genève, pour récupérer des fonds, y compris après la défaite de M. Balladur en avril 1995. M.Takieddine a même été "lâché" par son ancien ami, M.  El-Assir, qui a confirmé le système d''évasion des fonds. MM.Van Ruymbeke et Le Loire disposent par ailleurs du témoignage d''une fonctionnaire du ministère du budget, Patricia Laplaud, interrogée par la police, puis par les juges, le 4 octobre.
Mme Laplaud suivait, entre 1993 et 1995, les négociations des fameux contrats, le ministère du budget – dirigé alors par Nicolas Sarkozy – y jouant un rôle-clé. Lors de sa dernière audition, elle a témoigné qu''ils avaient été signés sur l''insistance du ministère de la défense, contre l''avis du budget, qui redoutait de lourdes pertes – ce qui fut le cas. Et que Matignon avait tranché en faveur de la défense. Ainsi, s''agissant d''Agosta, elle assure que "la direction du budget y était opposée", mais que "le ministre du budget et la direction du budget ne gagnent pas toujours les arbitrages".

Selon elle, l''équipe de M. Léotard aurait été jusqu''à truquer des documents: "Le ministère de la défense (...) assurait qu''il n''y aurait pas de pertes et avait même présenté des documents écrits (courbes de financement du contrat) où ce contrat semblait être à l''équilibre." Or, elle affirme avoir appris depuis, par l''ex-contrôleur général des arméesJean-Louis Porchier, qu''un fonctionnaire de la direction générale de l''armement "avait donné des instructions pour que ces courbes ne soient pas représentatives de la réalité". A l''époque, comme l''a précisé Mme Laplaud, le directeur du cabinet du directeur général de l''armement n''était autre que Benoît Bazire, le frère de Nicolas. "De par sa fonction []Benoît Bazire] regardait les dossiers sensibles, tels qu''Agosta, c''était évident", a-t-elle confié.

M. SARKOZY AURAIT DONNÉ SON "APPROBATION"
Pour les contrats saoudiens, Mme Laplaud a été interrogée sur le fait que, comme pour Agosta, le versement de "balourds" (paiement accéléré des commissions) avait aussi été décidé en dépit de l''opposition de la direction du budget. Et que M. Sarkozy avait donc donné son feu vert contre l''avis de ses fonctionnaires. M. Sarkozy n''avait d''autre choix, selon Mme Laplaud, puisqu''aucune vente d''armes ne peut être effectuée sans lettres de garantie signées des ministres de la défense et du budget. Ainsi, "pour le contrat Mouette, une instruction était venue au préalable de Matignon".
Ainsi, M. Sarkozy aurait donné son "approbation", "conformément aux instructions données par Matignon, passa[]nt] outre aux objections de la direction du budget"

Quant à la création de Heine, structure offshore constituée en 1994 pour évacuer les commissions suspectes, Mme Laplaud a dédouané M. Sarkozy : "Le cabinet du ministre []du budget] pouvait peut-être être au courant (...), mais je ne vois pas pourquoi il aurait dû donner son autorisation (le cabinet ou le ministre)".

Ce témoignage conforte la chronologie policière dans laquelle l''omniprésence de MM. Balladur, Bazire, Léotard et Donnedieu de Vabres contraste avec l''absence de M. Sarkozy. En l''état de la procédure, si l''ex-président de la République – dont plusieurs proches sont mis en cause dans l''affaire – devait être interrogé, ce ne pourrait être qu''en qualité de témoin.

( Source : Le Monde)