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Dr David Mété: «Le trafic entre La Réunion et Maurice existe depuis plus d’un siècle»

30 avril 2023, 15:00

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Dr David Mété: «Le trafic entre La Réunion et Maurice existe depuis plus d’un siècle»

Le zamal est sur toutes les lèvres en ce moment de par les révélations de réseaux de trafiquants entre Maurice et La Réunion. Pourtant, que savons-nous du zamal, le nom donné au cannabis de La Réunion? Pour creuser les pratiques de l’île sœur sur sa culture, sa consommation et ses dégâts, ainsi que la législation française, nous avons interrogé le Dr David Mété, chef du service d’addictologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) Félix Guyon et président de la fédération régionale d’addictologie de La Réunion (FRAR).

Le zamal est-il un phénomène de société à La Réunion ? Est-il tout simplement accepté ?
La consommation de zamal est un phénomène ancien à La Réunion qui date d’au moins la fin du 18e siècle. Son usage est mentionné chez les esclaves, puis chez les engagés. Il est un élément de la phytothérapie locale. Sa présence est semble-t-il courante à proximité des cases. On le mentionne également dans des rituels religieux hindouistes. Son usage est interdit à partir de 1916 sur le plan national ; cependant, il pose peu de problèmes comparé aux graves conséquences de l’alcoolisme au rhum. C’est à partir de la loi de 1970 que sa prohibition va être réellement effective avec des affaires qui défrayent les chroniques des faits divers. Son usage aujourd’hui à La Réunion, même s’il est illicite, est banalisé.

Quelle est votre position sur la production de cannabis «bien-être» ?
En tant que médecin addictologue, je suis confronté aux problèmes de l’addiction au cannabis, responsable de troubles psychiques : troubles cognitifs, perte de motivation, épisode délirant, anxiété et dépression. Même si son potentiel addictif et sa dangerosité sont limités comparés à l’alcool et au tabac (drogues licites), ils sont cependant réels. Les addictologues sont majoritairement en faveur du cannabis thérapeutique et de la dépénalisation du cannabis avec une régularisation contrôlée. Ce qui ne signifie pas pour autant que nous encourageons son usage à visée bien-être. Ce serait peu responsable et source d’une augmentation de ces addictions.

Quels sont les dégâts que vous constatez sur sa consommation ?
La consommation du cannabis commencée à l’adolescence entraîne des difficultés d’apprentissage avec une perte de la motivation et un désinvestissement des activités. De plus, l’usage régulier de substances addictives peut entraîner une perturbation du processus de maturation cérébrale qui n’est achevé que vers 24-25 ans. L’usage du cannabis fumé peut avoir des conséquences pulmonaires et cardiaques. Le cannabis peut favoriser l’éclosion de troubles schizophréniques chez une personne vulnérable et prédisposée. Il est important de mener des actions de prévention pour éviter ou retarder son usage chez les jeunes.

Quel est votre avis sur le regard, peut-être biaisé, que peuvent avoir certains Mauriciens sur La Réunion, comme soit une zone de non-droit où le zamal est toléré et non banni, et/ ou que La Réunion soit un Amsterdam de l’océan Indien avec une industrie lucrative, facilitée par les lois réunionnaises/françaises ?
Le trafic de zamal entre La Réunion et Maurice existe depuis longtemps mais la répression du gandia est très ferme à Maurice. La culture du zamal est plus difficile à combattre à La Réunion avec l’importance des zones montagneuses. Mais, en effet, le cannabis est illicite à La Réunion, comme partout en France. Il est faux de comparer La Réunion à Amsterdam où l’achat et la consommation sont tolérés. Le trafic entre La Réunion et Maurice existe depuis plus d’un siècle. Rien de nouveau sous le soleil !

Nouvelle donne depuis 2022 : Le chanvre modèle économique

<p>Comme dans tous les départements français, la culture et la consommation de cannabis sont interdites en vertu de la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie. Cependant, le 29 décembre 2022, le Conseil d&rsquo;État a définitivement annulé l&rsquo;arrêté du gouvernement interdisant la vente de fleurs et de feuilles chargées en cannabidiol, ou CBD. Un article sur le site de Réunion 1ère, du 2 janvier 2023, a souligné que la plus haute juridiction de France estime ainsi qu&rsquo;<em>&laquo;il n&rsquo;est pas établi que la consommation des fleurs et feuilles de ces variétés de cannabis avec un faible taux de THC (la molécule active du cannabis, NdlR)comporterait des risques pour la santé publique&raquo;.</em> Ce qui même désormais à un flou juridique. Comme le souligne cet article, la filière réunionnaise de vente de CBD <em>&laquo;s&rsquo;est développée bon gré mal gré à La Réunion et, aujourd&rsquo;hui, les boutiques spécialisées ont pignon sur rue dans plusieurs communes du département&raquo;.</em></p>

<p>Une poignée d&rsquo;agriculteurs se sont déjà lancés dans la culture du chanvre à titre expérimental. Benjamin Coudriet, président de l&rsquo;association Chanvre Réunion, estime même que l&rsquo;activité a un fort potentiel de rentabilité. <em>&laquo;Le kilo de fleurs de CBD se vend entre 400 et 1 000 euros suivant les itinéraires techniques qui sont développés. Quand vous voyez le prix à la tonne de certaines productions locales, vous voyez qu&rsquo;il y a un vrai intérêt pour l&rsquo;agriculteur et que ça peut rentrer dans une production agricole et un modèle économique viable.&raquo;</em> De même, depuis mars 2023, l&rsquo;association Chanvre Réunion (ACR) propose, en partenariat avec la Chambre d&rsquo;agriculture, des formations afin de produire du chanvre à fleurs (CBD, CBG). Selon le président de l&rsquo;ACR, dans un article du site info.re, du 11 avril 2023 : <em>&laquo;Il faut vraiment comprendre que le but est de pouvoir produire du chanvre à fleurs sur notre île. Un agriculteur pourra, après cette formation, produire du cannabis et avoir un complément de revenu. On souhaite une diversification des productions. Nous avons donc eu des réunions avec la chambre d&rsquo;agriculture qui a accepté de proposer des formations.&raquo;</em></p>

 

Le cannabis «bien-être»

<p>La réglementation encadrant la production et l&rsquo;utilisation industrielle et commerciale du cannabis &laquo;bien-être&raquo;, dont la principale substance active est le cannabidiol ou CBD, a été révisée par un arrêté publié le 31 décembre 2021 au Journal officiel. Il autorise la culture, l&rsquo;importation, l&rsquo;exportation et l&rsquo;utilisation industrielle et commerciale de certaines variétés de Cannabis sativa L. uniquement, avec une teneur maximale en tétrahydrocannabinol (THC) de 0,3 %, et qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. Le marché français du cannabidiol était estimé à près de 700 millions d&rsquo;euros dès 2022, et la France est le premier pays producteur de chanvre en Europe et le troisième au niveau mondial. Le texte abroge un précédent arrêté du 22 août 1990 et met fin à une particularité française consistant à limiter la production, la distribution et la consommation du chanvre aux seuls éléments issus des fibres et graines de la plante.</p>

<p>Dans un article du 15 février 2021, <em>Le Quotidien</em> de la Réunion faisait état des conclusions, le mercredi 10 janvier, de la mission d&rsquo;information parlementaire, qui s&rsquo;était penchée depuis un an, sur le cannabis et qui soutenait la possibilité pour La Réunion de produire du cannabis <em>&laquo;bien-être&raquo; (</em>CBD) plus concentré en THC. La mission parlementaire de 2021 avait estimé que <em>&laquo;la France aurait tout intérêt à être plus ambitieuse que ses partenaires&raquo;</em> européens, concernant le taux de THC qui est fixé pour les cultures de cannabis. Ce seuil était à l&rsquo;époque établi à 0,2% de THC. La commission avait recommandé de le faire passer à 0,6% pour toute la France et à 1% pour les territoires ultramarins. <em>&laquo;Les Australiens ont pu étudier ce phénomène, explique Sébastien Bénard, chimiste confirmé et fondateur de la start-up CBR (Cannabinoid Research Reunion). En Europe, le niveau d&rsquo;UV est compris entre 7 et 9. À La Réunion, il oscille entre 11 et 14. Lorsque la plante de chanvre est soumise à un fort taux d&rsquo;UV, elle active sa production de THC.&raquo;</em></p>