Publicité

Arlyne Jeannot: «Dénoncer cette attitude inacceptable, principalement envers les Créoles métisses et les Noirs»

15 avril 2023, 15:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Arlyne Jeannot: «Dénoncer cette attitude inacceptable, principalement envers les Créoles métisses et les Noirs»

La journaliste-éditrice mauricienne Arlyne Jeannot, établie en France mais qui suit de près l’actualité dans son île natale, a été outrée par la vidéo montrant des élèves du Collège Royal de Curepipe entonnant une chanson au refrain raciste envers les Créoles à Maurice. Pour elle, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle a donc sollicité les Mauriciens de la diaspora en France et ailleurs et organise, aujourd’hui, une manifestation pacifique au Trocadéro et dont le thème est «Non au racisme à l’Île Maurice». Pour l’express, elle en parle.

Vous organisez aujourd’hui, entre 14 et 16 heures, une manifestation pacifique au Trocadéro à Paris. Quel est son thème et quel est le but de cette manifestation ?
Le thème de la manifestation est «Non au racisme à l’Île Maurice». Cette manifestation vise à briser la loi du silence au sujet des exactions, je parle des violences verbales, symboliques et psychologiques, économiques et politiques envers principalement les Créoles métisses et les Noirs. Fort heureusement et à ma connaissance, ces exactions ne sont pas physiques. Toutes ces violences pervertissent la démocratie. Certes, il y a eu de la mobilité sociale. Il subsiste toutefois encore trop d’injustices à Maurice envers des populations dont les ancêtres ont vécu ce crime contre l’humanité qu’a été l’esclavage. Le but est de rendre visible cette contestation. Et de lui donner un aspect officiel.

Quel en sera le parcours ?
La manifestation sera sur la place du Trocadéro, à l’angle des rues Paul Doumer et Georges Mandel. Le Trocadéro est une place passante et très fréquentée. Après les discours, les témoignages de Mauriciens ayant subi le racisme et la discrimination, les moments conviviaux, on ira vers le public pour solliciter des signatures sur des pétitions que nous comptons adresser au gouvernement et aux partis politiques mauriciens.

Quel a été le déclencheur de cette action ?
Le déclic de ce mouvement de protestation a été la vidéo raciste des jeunes du collège Royal de Curepipe, le mois dernier. Cependant, chaque jour quand on regarde l’actualité mauricienne, il ne manque pas de sujets pour s’indigner contre l’injustice et les préjugés racistes. Même durant les fêtes pascales, on a pu constater les mêmes stéréotypes mensongers, qui cataloguent négativement les Créoles qui s’amusent sur les plages. Ces mensonges sont inacceptables lorsque l’on connaît l’enfer qu’a été le travail forcé sous l’esclavage et ses séquelles, qui perdurent encore aujourd’hui, le travail dur des dockers dans les années 70 et les multiples tâches extrêmement difficiles et sous-payées que réalisent encore certaines personnes. Et aussi les nombreux obstacles qui freinent leur ascension sociale.

À qui s’adresse cette manifestation ?
Cette manifestation s’adresse d’abord au gouvernement, qui n’a pas appliqué, de manière holistique, le rapport Vérité et Justice de 2011. Quelques mesures isolées ont été réalisées. Cependant, il manque une volonté massive et transversale, sans laquelle les actions sporadiques sont dénuées de sens. De nombreuses autres recommandations internationales comme celles du comité onusien de 2018 contre toutes les formes de discrimination sont restées lettre morte. Puis, la manifestation s’adresse aux partis politiques mauriciens, qui observent tous la même inaction au sujet du racisme systémique. Et puis à tous les Mauriciens et Mauriciennes. Elle sera aussi entendue, je pense, par les décideurs et la société française. La France est le premier pays à avoir reconnu à l’unanimité l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Et cela a un sens.

«Cette manifestation s’adresse d’abord au gouvernement, qui n’a pas appliqué, de manière holistique, le rapport vérité et justice de 2011.»

Combien de personnes attendez-vous à cette manifestation ?
Le thème touche les gens, c’est sûr mais il est difficile de dire combien de personnes viendront. Je pense que beaucoup de Mauriciens et Mauriciennes de la diaspora ont eux-mêmes subi le racisme et la discrimination raciale. Il n’y a pas seulement les Créoles mais aussi les autres communautés ou également ceux rejetés injustement de leurs clans. Il y a aussi tous ces Mauriciens et Mauriciennes, qui sont les défenseurs des droits humains. Et tous les autres êtres humains, épris de justice. Je pense que toutes ces personnes se déplaceront à cette manifestation.

Comment avez-vous fait votre démarchage auprès des Mauriciens ?
De nombreuses personnes ont été contactées par réseau personnel et ont été incitées à mobiliser leurs proches. Une petite partie s’est faite à travers les réseaux sociaux. J’ai aussi le soutien de Mauriciens sur Paris comme l’association Siloy et African People Voices de Maurice. J’ai demandé un coup de main à des artistes mauriciens. Et je n’ai pas fini de contacter des personnes influentes à Paris. Je remercie aussi Jean Wolf, Axel Grimaud, Jean-Marc Marie, Clifford Fakeera et tant d’autres, qui donnent un coup de main. Je compte aussi beaucoup sur la presse mauricienne et française également.

Quelles sont vos attentes par rapport à cette manifestation ?
Je souhaite déjà qu’on en parle, que l’on dénonce ce racisme inacceptable. C’est déjà une bonne manière de le démasquer et de le faire perdre de sa force maléfique, qui prospère souvent dans le non-dit. Ensuite, les changements au niveau de la société mauricienne se feront, je l’espère, petit à petit, à mesure que les idées antiracistes supplanteront les mensonges.

Pensez-vous pouvoir influer sur la façon de penser et d’agir, voire sur la mentalité des Mauriciens de Paris, de Maurice et d’ailleurs avec cet évènement ?
Il est important de dire les choses. Influer sur des croyances aussi ancrées demande beaucoup plus d’actions, de prise de conscience individuelle et collective. Les personnes exploitées, comme celles qui les exploitent, ont aussi un rôle à jouer.

Quel message voulez-vous transmettre à ceux qui regarderont cette manifestation ?
La valeur d’un être humain ne se mesure pas à sa couleur de peau, au poids de son porte-monnaie ou de sa caste. La belle Île Maurice mérite beaucoup mieux.
 

Bio express

<p>Arlyne Jeannot se définit comme une femme simple. Elle a grandi à la campagne à Piton, ce qui a fait qu&rsquo;elle soit restée profondément proche de la nature, c&rsquo;est-à-dire des champs de cannes, de la mer, du soleil, des oiseaux. Elle a fréquenté une école maternelle à Rivière-du-Rempart et c&rsquo;est sa marraine Lorraine Aza, qui lui a enseigné la lecture, l&rsquo;écriture et <em>&laquo;beaucoup d&rsquo;autres choses&raquo;. </em>Si elle a effectué sa scolarité primaire à Lorette de Port-Louis, c&rsquo;est entre cette école et celle de Lorette de Rose-Hill qu&rsquo;elle a bouclé son cycle secondaire. Après quoi, elle est partie pour la France où elle a fait un double cursus universitaire, à savoir une maîtrise en lettres modernes auprès de l&rsquo;université de Lille 3, une maîtrise en sciences politiques à l&rsquo;université de Lille 2 et un diplôme d&rsquo;études approfondies en sciences politiques auprès de l&rsquo;université de Lille 2 et l&rsquo;Institut d&rsquo;Etudes politiques de Lille. À l&rsquo;issue de ses longues études, en 1997, elle a regagné Maurice avec l&rsquo;intention de s&rsquo;y installer. Elle a d&rsquo;ailleurs intégré la rédaction de<em> l&rsquo;express</em> comme journaliste. Elle est toutefois repartie pour la France car <em>&laquo;j&rsquo;ai vécu des expériences qui m&rsquo;ont déçue et blessée tant au niveau personnel que professionnel. Depuis que je suis petite, j&rsquo;ai personnellement connu des dénigrements et des rejets racistes.&raquo; </em>Dans son pays d&rsquo;adoption, elle a fait une série de petits boulots pour s&rsquo;en sortir avant d&rsquo;obtenir un contrat à durée indéterminé, le sésame pour avoir une carte de résident permanent. Depuis 20 ans, elle travaille comme journaliste-éditrice en presse quotidienne régionale (PQR), élève sa fille et vit dans les Ardennes françaises &laquo;où les forêts sont majestueuses.&raquo; Il n&rsquo;empêche qu&rsquo;elle revient annuellement à Maurice. <em>&laquo;Je ne suis ni calculatrice ni carriériste. Cependant, j&rsquo;ai envie de travailler sur un projet en lien avec Maurice. Je suis en train de monter une association pour valoriser l&rsquo;image des communautés affectées par l&rsquo;histoire de l&rsquo;esclavage. En fait, cela concernera tous les Mauriciens et Mauriciennes.&raquo;</em></p>