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Ronnie Nagloo: docteur ès maths

25 mars 2023, 17:00

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Ronnie Nagloo: docteur ès maths

Il suffit de peu pour qu’un destin que l’on croyait tout tracé prenne une autre tournure. Le Mauricien Ronnie Nagloo, qui fait la une de l’actualité locale, et dans une certaine mesure américaine, depuis une dizaine de jours pour avoir décroché le Centennial Fellowship, prestigieuse bourse décernée par l’American Mathematical Society, est bien placé pour le savoir. Lui qui se passionnait pour le basket-ball et les mathématiques, se destinait à une carrière d’enseignant dans un collège à Maurice. Il a suffi d’un livre, prêté par un ami d’université, pour qu’il ouvre ses horizons, qui sont aujourd’hui sans limites. Découvrons ce qui n’a pas été dit ou presque à son propos.

Ce qui frappe avec Ronnie Nagloo, 39 ans, c’est sa simplicité. Ce n’est pas parce qu’il est le premier Africain à avoir décroché cette prestigieuse bourse qu’il doit s’autoglorifier. Lorsqu’il réalise qu’on le cherche sur Messenger, il décroche immédiatement quand on l’appelle et accepte de répondre aux questions, quelles qu’elles soient et certaines avec une pointe d’humour.

Ce Vacoassien vivant et enseignant les mathématiques au niveau universitaire à Chicago aux États-Unis, a grandi dans les Quarters de la Special Mobile Force (SMF). Si ses parents sont aujourd’hui à la retraite, son père, Jean-Claude, membre de la SMF, a longtemps été entraîneur national de boxe et ensuite directeur technique national dans cette même discipline alors que sa mère, Liliane, a longtemps exercé comme couturière avant de tout abandonner pour prendre soin de sa petite ‘tribu’.

Son frère aîné, Kenny, a émigré en Australie, plus précisément à Melbourne où il agit comme Indigenous Program Lead pour Crown Resorts, le plus grand groupe de divertissement et promoteur d’hôtels et une de ses principales fonctions est de recruter, former, conseiller et organiser des activités pour les employés autochtones. Autant dire que les deux frères vivent aux antipodes, ce qui les chagrine, et en particulier Ronnie, qui ne voit que très rarement Jaylen et Amari, les enfants de Kenny, mais aussi Zoe et Liam ses neveu et nièce du côté de sa femme, eux aussi basés à Melbourne.

Une pensée spéciale

Ronnie conserve de très bons souvenirs de ses années de cycle primaire à l’école de La Visitation RCA et de son éducation secondaire au collège La Confiance. Là où il est passé, il a montré de sérieuses dispositions pour les mathématiques. «Je remercie tous les enseignants et administrateurs de ces écoles, qui ont toujours visé l’excellence. Quand on est jeune, on ne comprend pas toujours cela.» Aujourd’hui, il a une pensée spéciale pour Mme Diolle à La Visitation et pour M. Rojee et Mme Pem à La Confiance, de même que pour M. Indiren, avec qui il a pris des leçons particulières. «lls étaient excellents, savaient ce qu’ils faisaient et ont été capables de cultiver cette passion pour les mathématiques en moi.» Avec l’aide de ces enseignants, il a compris comment aborder «tous les problèmes de maths au niveau scolaire. Je n’ai presque jamais pratiqué de manière répétitive les problèmes d’examens comme cela se fait pour le School Certificate et le Higher School Certificate. J’ai compris que la théorie derrière un problème est plus importante que les astuces, qui vous donnent la bonne réponse. Ce qui a facilité la transition vers les mathématiques à l’université de Maurice (UOM) et celle-ci s’est faite très naturellement.»

Mais Ronnie ne s’est pas fait admettre à l’UOM pour devenir mathématicien. Cette idée ne lui avait jamais effleuré l’esprit. «Je ne savais pas que c’était une option de carrière ! Je voulais simplement devenir enseignant de maths dans un collège», précise-t-il, surtout qu’à cette époque, c’était le basketball qui régnait en maître dans son cœur.

Il aura suffi que son ami de cours, Julien Labour, lui prête un exemplaire du magazine Science et Vie pour qu’il voie au-delà de ses ambitions du moment. «Ce magazine présentait l’histoire derrière ce qui était à l’époque un des plus importants problèmes ouverts en théorie des nombres, qui est un domaine des mathématiques. J’ai été très surpris et aussi choqué d’apprendre que de tels problèmes existaient et qu’il y avait des gens dont le travail consistait à les résoudre. À partir de ce moment-là, j’ai voulu faire plus que simplement enseigner dans un collège.»

Ayant tant fait au niveau sportif pour Maurice – il a représenté l’île aux Jeux des Îles de l’océan Indien en 2003, remporté le trophée MVP de basket-ball en 2006, remporté tous les trophées universitaires de basket-ball et obtenu la médaille d’or en mathématiques en 2006 à l’UOM – il cherche un soutien financier pour l’aider à assouvir ses nouvelles ambitions mais ne trouve aucun mécanisme pour le faire. Il doit alors compter sur l’apport financier de ses parents et sur ses économies pour autofinancer son Master en mathématiques pures auprès de l’Imperial College de Londres. «Je ne peux m’empêcher de mentionner ma déception à ce sujet. Heureusement, j’ai pu obtenir une bourse pour faire mon doctorat à l’université de Leeds et cela a changé la donne. J’y suis allé pour travailler avec le professeur Anand Pillay, qui est un expert reconnu en logique mathématique. Cela signifiait aussi que je faisais partie de l’un des plus grands groupes de logique mathématique au monde.» Sa thèse de doctorat était intitulée «Model theory, algebra and differential equations». Il s’en explique. «Les mathématiques sont centrées sur la recherche de réponses à des problèmes/questions ouverts, c’est-à-dire ceux dont les solutions ne sont pas connues. Parfois, même la formulation correcte de la question n’est pas connue. Pire encore, parfois les outils nécessaires pour résoudre les problèmes n’ont pas encore été inventés ou développés. Je cherchais à étudier des équations différentielles bien connues appelées les équations de Painlevé. Celles-ci ont été découvertes à la fin du XVIIIe siècle. Ils apparaissent dans de nombreuses applications du monde réel. Les mathématiciens ont donc essayé de les comprendre depuis et la plupart des questions à leur sujet étaient ouvertes. Avec le professeur Pillay, nous avons essentiellement utilisé la théorie des modèles, qui est un domaine de la logique mathématique, pour expliquer algébriquement tout ce qu’il faut savoir sur la majorité des équations.»

Excellence en recherche

Son travail a été extrêmement bien accueilli au sein de la communauté mathématique et il a obtenu son doctorat avec la mention élogieuse «d’Excellence en Recherche». Pour pouvoir postuler pour des postes de professeur universitaire permanent à l’étranger, il faut passer quelques années en tant que chercheur post-doctoral, l’objectif étant de montrer qu’il est possible de développer un programme de recherche indépendant et ainsi être un bon enseignant. Chaque année, il y a un concours entre tous les détenteurs de doctorat qui visent des emplois postdoctoraux à travers le monde. «À mon plus grand plaisir, j’ai obtenu un poste au Graduate Center de la City University of New York (CUNY).» Il y a enseigné les mathématiques au niveau du premier cycle. Actuellement, c’est à l’université de l’Illinois à Chicago (UIC) qu’il enseigne. «Bien que j’enseigne au premier cycle, une grande partie de mon temps est consacrée à l’enseignement et au travail avec des étudiants en maîtrise et ceux qui préparent leur doctorat.» Et ses recherches actuelles ? «Ma thèse de doctorat a montré que la théorie des modèles pouvait être utilisée pour résoudre des problèmes concernant les propriétés algébriques des équations de Painlevé. Dès lors, j’ai montré qu’à bien des égards, ce n’était pas un hasard. Avec mes collaborateurs, nous avons utilisé cette stratégie pour étudier de nombreuses autres équations différentielles importantes. Explorer jusqu’où nous pouvons pousser ces idées est l’une de mes activités de recherche préférées.» Y a-t-il en engouement pour les mathématiques chez les étudiants à qui il enseigne ? «Chez les étudiants de premier cycle, cela dépend vraiment d’eux. Même certains bons élèves ne trouvent pas le plaisir ou la raison de faire des mathématiques. Cependant, ils persistent à réussir. Au niveau de la maîtrise et du doctorat, les étudiants ont déjà décidé que les mathématiques sont ce qu’ils aimeraient explorer. Donc, il y a chez eux beaucoup d’enthousiasme.» N’importe qui peut-il devenir mathématicien ? «Je ne le prétends pas, exactement comme tout le monde ne peut devenir musicien, historien, etc. Cependant, un certain niveau de mathématiques est à la portée de la majorité des gens et tout le monde devrait s’y engager. Il y a trop d’opportunités qui ne sont pas disponibles une fois que vous avez abandonné les mathématiques.» Les mathématiques, poursuit-il, sont partout et dans tout. «Nous avons la chance de vivre à une époque où l’on peut rechercher sur Google ‘Math’ et la matière de votre choix : art, musique, sport etc. Je peux garantir qu’il y a quelque chose d’écrit à ce sujet. En réalité, ce que je veux dire par là, c’est qu’il ne faut pas qu’il y ait si tôt un choix clair entre les maths et aussi les sciences et votre choix de matière : art, musique, sport…! Il y a effectivement beaucoup plus de choix. Il ne faut pas se limiter.» Le Centennial Fellowship s’adressait aux professeurs de mathématiques ayant complété leur doctorat entre le 1er septembre 2011 et le 1er septembre 2020 et qui travaillent en Amérique du Nord. Ronnie ayant terminé son doctorat en juillet 2014 a réalisé qu’il était éligible et a donc tenté sa chance. S’il ignore combien il y avait de postulants, il sait qu’ils étaient nombreux. «Dans le cadre de ma candidature, je devais montrer que mon programme de recherche - futur et passé - valait ce financement de l’American Mathematical Society. En sus de tout cela, l’AMS exige que chaque demande soit accompagnée de trois lettres d’experts, discutant de la qualité de la recherche du candidat.» Il est heureux d’avoir décroché cette bourse qui lui permettra de passer une année complète sans avoir à enseigner. «Mon semestre se termine le 28 avril 2023 et je ne reprends l’enseignement que le 26 août 2024. Ce ne sont pas des vacances bien sûr, même s’il y aura beaucoup de déplacements. Je peux me consacrer pleinement à ma recherche. Je peux également ajouter que je suis un AMS Centennial Fellow sur mon Curriculum Vitae ! (rires).» Il supervise actuellement son premier doctorant et l’attente de son université est qu’il en encadre beaucoup d’autres. «C’est donc une énorme responsabilité. Il est important que je maintienne la qualité de mes recherches car cela a un impact direct sur mes doctorants.»

Une limite au mandat politique

Idéalement, lui et sa famille auraient voulu venir en vacances à Maurice annuellement. Leur dernier séjour remonte à juillet 2022. «La nourriture, les gens et la culture nous manquent vraiment. Malheureusement, notre petite île est assez éloignée et comme tous nos frères et sœurs sont en Australie, nous devons aussi partager notre temps entre les deux pays.» Venir s’installer à Maurice pour de bon n’est pas une option. «Je travaille dans un département de mathématiques très bien classé parmi tous les départements de mathématiques aux États-Unis. Cela a un impact direct sur mon propre travail. Par exemple, chaque semaine, nous pouvons inviter d’autres mathématiciens à venir animer l’un de nos séminaires. Je peux également demander des subventions pour soutenir mes recherches. Il est vraiment difficile de maintenir le niveau de recherche sans un tel environnement. Il ne s’agit pas du niveau de la recherche à Maurice bien sûr mais plutôt de mon propre domaine de recherche, qui n’y est pas présent.» Plusieurs familles mauriciennes quittent le pays en pensant que l’herbe est plus verte ailleurs. Le pense-t-il aussi ? «Il est vraiment difficile de quitter Maurice. Vous laissez derrière vous votre culture, dans la plupart des cas aussi, votre famille et vous vous dirigez vers l’inconnu. En même temps, vous vous ouvrez à des opportunités qui ne sont pas disponibles dans l’île. Dans de nombreux cas, c’est uniquement parce que nous sommes, après tout, une petite île jeune et que nous ne pouvons donc pas avoir accès à ces opportunités. Une partie de mon succès, c’est à l’éducation que j’ai reçue à Maurice que je le dois. En tant qu’étudiant universitaire de première génération, je ne peux pas garantir que j’aurais eu la même qualité d’éducation aux États-Unis, par exemple.» S’il était resté à Maurice, il n’aurait certainement pas été professeur d’université. «Cela tient en partie au fait que mes propres intérêts de recherche ne sont pas représentés dans l’île. Il y a bien sûr d’autres raisons... Cependant, j’ai eu la chance d’avoir un emploi chez Aon Hewitt et j’étais en formation d’actuaire. Peut-être que j’aurais bien fait dans ce domaine aussi, qui sait ?» Appelé à évoquer ses souhaits pour son pays, Ronnie, qui ne craint pas la controverse, se montre spécifique. «Nous sommes peut-être le seul pays démocratique où les mêmes personnes gouvernent la nation, année après année. Je souhaite que les gens se rendent compte qu’à chaque cycle électoral, d’autres devraient avoir la chance de faire leurs preuves. Nous avons, après tout, tellement de gens talentueux à Maurice ! Une limite au mandat devrait être une obligation légale ! (rires). Plus généralement, j’espère que nous prenons soin des services publics que nous avons dans l’île comme ceux de la santé, de l’éducation, etc. Nous devons faire de notre mieux pour les améliorer et y investir. Je crois fermement qu’ils sont de classe mondiale et qu’ils sont fondamentaux pour qu’il y ait la justice sociale dans l’île…»