Taux de remplissage: pourquoi nos réservoirs naviguent chaque année en eaux troubles

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Les nuages ont été généreux au cours des derniers jours. Toujours est-il que les réservoirs peinent toujours à se remplir. Sont-ils des paniers percés ? Sont-ils situés dans des endroits appropriés ? Comment faire pour que chaque année, nous n’entendions plus le même refrain en période de sècheresse ?

Les averses des derniers jours nous ont accordé un sursis alors que le robinet menaçait de prendre sa retraite. N’empêche, le niveau d’eau dans nos réservoirs ne grimpe pas aussi vite qu’on le voudrait, malgré les centaines de millimètres de pluie. Pourquoi tardent-ils à se remplir ? Quid des fuites dans le réseau de distribution? La construction de barrages, est-ce un projet qui est tombé à l’eau ?

«En effectuant une comparaison avec l’énergie solaire, si nous voulons recevoir un excellent rendement en production photovoltaïque, il faut positionner les panneaux là où il le faut. Or, les réservoirs ne sont pas toujours là où il pleut», déclare d’emblée Khalil Elahee. Pour le professeur en ingénierie de l’université de Maurice, avec le changement climatique provoqué surtout par les énergies fossiles, les flash floods dans des lieux spécifiques sont plus récurrents. Malgré les récentes averses qui, en sus d’arroser l’île, nous ont évité la panne sèche du robinet dans plusieurs régions, dont certaines sujettes à des coupures d’eau drastiques, nos réservoirs ne font pas le plein. Outre leur localisation pas toujours appropriée par rapport aux catchment areas (zones de pluie), il évoque une situation de microclimats où l’imprévisibilité est accentuée.

Selon lui, une étude pour confirmer l’impact de la déforestation est requise. «De plus, nous construisons, plantons du béton n’importe comment et n’importe où. Nous avons aussi du bitume un peu partout de sorte que l’eau de pluie trouve péniblement son chemin vers les réservoirs. La porosité du sol est importante. Avec un développement mal planifié, l’eau ne suit pas son cours naturel via les rivières ou vers les nappes phréatiques. Les zones humides ou wetlands comme à Flic-en-Flac sont devenues des morcellements, réduisant aussi la rétention d’eau», poursuit-il. Avant d’ajouter: «C’est clair qu’ainsi, plus de 95 % de la pluie reçue peut finir en mer.» Pour sa part, Harry Booluck, ancien DG de la Central Water Authority, mentionne la possibilité que l’eau de pluie ne soit pas bien canalisée vers les réservoirs. Ainsi, elle ne peut être totalement captée par ces réserves naturelles.

Sollicité mercredi dernier, Farook Mowlabacus, hydrologue et ancien cadre de la Water Resources Unit, fait valoir que le littoral et la capitale sont copieusement arrosés. «Sur le plateau central, notamment là où se situent nos réservoirs, l’intensité est moindre. C’est une pluie à vous donner la grippe. Du coup, toute cette eau est absorbée par la terre. Bien sûr, elle converge aussi vers les nappes phréatiques après un moment mais il n’y a pas de ruissellement.»

Responsabiliser les consommateurs

Depuis des années, les fuites dans nos réservoirs ou celles émanant des tuyaux raccordés au réseau de distribution font polémique. D’où vient le problème ? Poursuivant sa comparaison avec l’énergie solaire, Khalil Elahee affirme que la délocalisation permet de mieux gérer la demande en responsabilisant les consommateurs, qui deviennent aussi des producteurs. La collecte d’eau de pluie devrait être une priorité au niveau de chaque bâtiment. «Je comprends que le masterplan pour l’environnement publié en 2022 en fait une priorité. Certes, il faudra réduire les pertes au niveau des tuyaux de distribution ou réduire le gaspillage au niveau de la consommation. Mais il faut aussi un élan national de rain-water harvesting», précise le professeur. «Aujourd’hui, nous entendons dire qu’il existe un problème au barrage de La Ferme. Il faudrait le rectifier. À mon avis, les plus grandes fuites proviennent du réseau. Cela se situe entre 50 et 72 %. Il faudrait donc réparer les tuyaux défectueux au plus vite. Si l’autorité concernée n’a pas de fonds, l’État doit lui accorder un emprunt. C’est le seul moyen d’y parvenir.»

Pourquoi ne pas construire d’autres réservoirs ? Certes, il le faudra, affirme Khalil Elahee, avant de rétorquer que tout système centralisé, comme pour l’électricité ou les déchets, coûte beaucoup d’argent et représente des dangers pour l’environnement – sans parler du fait que les études des sols, les plans et la construction de telles structures prennent des années. Si c’est le stockage qui pose problème, fait ressortir notre interlocuteur, pourquoi ne pas le délocaliser au lieu de tout centraliser? Les gros projets de réservoirs sont surtout dans l’intérêt du secteur privé alors que la décentralisation pourrait amener des foyers et autres petits consommateurs à avoir plus d’autonomie. «Aussi, rien n’exclut de combiner le rain-water harvesting avec l’accès à la CWA, mais avec une utilisation intelligente et responsable. C’est ce qui se fait avec les mini-réseaux intelligents pour l’électricité», soutient-il. Finalement, il faudrait revoir les water rights sur les nappes phréatiques ou les rivières dans un plan directeur de gestion d’eau. En ne commettant pas les mêmes erreurs que dans le secteur énergétique et en apprenant des réussites dans ce domaine, à l’exemple des systèmes délocalisés de production et de stockage.

Harry Booluck évoque deux à trois projets de réserves naturelles «earmarked» depuis des années. Il cite un barrage vers Trou-aux-Pigeons, non loin de Cascavelle, et un autre projet similaire à Grande-RivièreNord-Ouest. «Deux ou trois barrages peuvent être aménagés dans cette localité. Mais je ne sais pas pourquoi ces projets ne se sont toujours pas concrétisés.» Cela permettrait de bloquer l’eau et empêcher son cheminement vers la mer. L’hydrologue mentionne le Rivière-desAnguilles Dam, annoncé depuis des années, alors qu’on ne voit toujours rien venir... «Si on l’avait construit, cela aurait alimenté le sud, l’est, le sud-est du pays. Mare-aux-Vacoas pourrait ‘respirer’. Mé nou pé ankor koz-kozé… Pé fer métro ek lezot prozé…»

Les impératifs

Pour Farook Mowlabacus, la construction d’un réservoir ne se fait pas au petit bonheur. D’abord, indique-t-il, il faut identifier la localité qui sera desservie et la superficie nécessaire à un tel projet d’envergure. Puis, il faut déterminer quelle rivière est mieux située pour desservir la zone. «On choisit le cours d’eau et la topographie en forme de bol, qui se prête le mieux à la construction du réservoir. On ne peut pas l’ériger n’importe où. Par exemple, on ne pourra pas créer un réservoir à Rivière-des-Anguilles pour desservir le nord de l’île», estime l’hydrologue.

Il convient aussi d’identifier les localités souffrant le plus de la pénurie d’eau. La réparation des fuites et l’extension du réseau de tuyaux ne pourraient-elles pas résoudre le problème? On construira une réserve si les solutions précédentes n’ont pas été efficaces, rétorque notre interlocuteur. Il est d’avis qu’il faut remettre le Rivière-des-Anguilles Dam sur les rails dans les plus brefs délais. Si le nord est toujours affecté, le projet de Calebasses Dam doit également se concrétiser. Idem pour l’ouest où le Mont-Vernon Dam était aussi au programme. Souhaitons que ces projets ne soient pas des coups d’épée dans l’eau.

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