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Patrimoine national: reconnaître la valeur du travail, celui des esclaves et des artisans

28 janvier 2023, 21:00

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Patrimoine national: reconnaître la valeur du travail, celui des esclaves et des artisans

Trois nouveaux inscrits sur la liste du patrimoine national : le bassin et le marché des esclaves à Pamplemousses. Et un bâtiment situé dans l’enceinte du temple Kaylasson, ayant servi de logement aux artisans-bâtisseurs. Décision du Conseil des ministres, vendredi 20 janvier.

Marché des esclaves

Pas de vestiges, mais l’histoire orale retient que ce lieu servait de marché des esclaves. Comment les esclaves étaient-ils vendus ? Cette question est abordée dans le volume 4 du rapport de la Commission Justice et Vérité (CJV).

Il explique que les esclaves étaient vendus de plusieurs façons, «s’ils avaient été introduits à Maurice de manière légale». Il y avait les esclaves achetés par la Compagnie des Indes qui étaient «distribués» parmi les habitants qui en avaient besoin. D’autres étaient vendus par les notaires, souvent à leur étude. Et d’autres encore étaient vendus aux enchères dans les marchés d’esclaves. «One recorded site of sale was at the Place d’Armes», indique le rapport de la CJV.

Dans les années 1770, à cause d’une épidémie de variole, les esclaves étaient vendus à bord des bateaux après avoir été vaccinés.

Pamplemousses et le «slave trail»

Un heritage slave trail existe à Pamplemousses depuis 2019. Il démarre justement au bassin des esclaves, passe par le marché des esclaves, va au cimetière des esclaves, qui rappelle l’absence de registres et de traces écrites. Il y a un arrêt à l’église Saint-François d’Assise, construite par des esclaves entre 1742 et 1756. Sans oublier le Jardin de Pamplemousses où des esclaves ont travaillé. Le parcours s’étend jusqu’au Moulin à poudre, qui était, à partir de 1775, le seul endroit de tout l’empire français où était fabriquée de la poudre à canon pour les navires de guerre, de commerce et de traite.

Bassin des esclaves : Rafraîchir les mémoires

Un dallage de pierres taillées dans la cour du Citizens Advice Bureau à Pamplemousses. Qu’est-ce qu’on faisait là ? L’histoire orale retient plusieurs versions. Ce bassin servait à donner un bain à des groupes de 200 à 300 esclaves avant qu’ils ne soient vendus au marché des esclaves, jadis situé tout à côté, sous un grand arbre. Une autre version soutient que ce bassin servait de bain public où les esclaves pouvaient se rafraîchir après leur journée de travail.

Un inventaire des sites liés à l’esclavage, réalisé par des chercheurs de l’université de Maurice dans le cadre du projet Unesco, «La route de l’Esclave», en 2007, mentionne le «complexe Bassin des esclaves». Le bassin fait partie d’un ensemble qui comprend le lieu de vente des esclaves et le jardin botanique, à Pamplemousses. Cet inventaire indique que la structure actuelle «date du XIXe siècle». «Ce n’est probablement pas la structure originale qui existait au XVIIIe siècle.»

Parce que les écrits manquent et que la mémoire a fait le reste, la reconnaissance de ce lieu est un long cheminement. En février 2015, le Centre Nelson Mandela pour la culture africaine y appose une plaque officielle, à l’occasion des 180 ans de l’abolition de l’esclavage. C’est un début de reconnaissance. Selon d’autres témoignages, jusque dans les années 1950, une sortie d’eau du bassin se jetait dans la rivière. Un robinet et une «roche carrée» étaient encore là.

Il est question d’installer une statue au bassin des esclaves. Au ministère des Arts et du patrimoine culturel, confirmation de ce projet n’a pu être obtenue. Est-ce une altération du site, comme le craignent certains ?

Il y a 11 ans : La Commission Justice et Vérité disait déjà…

Réaction de l’historienne Vijaya Teelock, qui a été vice-présidente de la Commission Justice et Vérité, après l’annonce de l’inscription du bassin et du marché des esclaves : «Je suis soulagée que les recommandations de la CJV soient enfin en train d’être prises au sérieux. Cela montre que la tradition orale a autant de valeur que des archives écrites. Ceux qui n’ont pas de voix dans les archives peuvent transmettre leurs souvenirs oralement, cela peut être pris en considération.»

Dans la partie intitulée Memorialising slavery, le rapport de la CJV avait recommandé «a memorial plaque/interpretation centre concerning the slave contribution to Pamplemousses village and garden to be designed by artists».

Au temple Kaylasson : En hommage aux artisans bâtisseurs

Contraste. Les formes colorées du temple. La sobriété du sattiram. Il s’agit d’un édifice en pierres taillées se trouvant dans la cour de l’Arulmigu Sockalingum Meenatchee Ammen Tirukkovil, plus connu comme le temple Kaylasson, situé à Sainte-Croix.

C’est la Hindu Maha Jana Sangam, la société qui gère le temple Kaylasson, qui a proposé que ce bâtiment datant de 1906 soit inscrit sur la liste du patrimoine national. Une proposition soumise en écrit au ministère des Arts et du patrimoine culturel en juin 2022. L’objectif est de convertir le sattiram, qui abritait les artisans venus construire différents temples à travers l’île, en musée de la culture tamoule. L’Arulmigu Sockalingum Meenatchee Ammen Tirukkovil a, lui, presque 168 ans d’existence.

Réaction

Arrmaan Shamachurn : «Approche sélective»

Arrmaan Shamachurn, président de l’association SOS Patrimoine en péril, se demande si c’est une coïncidence que ces trois additions au patrimoine national arrivent à la veille des commémorations du 1er-Février et du Cavadee.

Dans le cas du sattiram, il souligne la rapidité avec laquelle l’item a été inscrit. «Si le National Heritage Fund (NHF) peut travailler à cette vitesse, pourquoi est-ce que cela prend autant de temps pour inscrire d’autres sites comme le Champ-de-Mars et le Jardin botanique de Pamplemousses ?»

Il déplore «l’approche sélective» adoptée par le ministère des Arts et du patrimoine culturel. «Pourquoi ne pas consulter l’inventaire du patrimoine potentiel qui dort depuis une dizaine d’années ? Cela éviterait au NHF de dire, comme dans le cas du Jardin botanique de Curepipe, qui n’est pas classé, que les travaux de construction d’une plateforme religieuse sont hors de son contrôle.»

Il se demande aussi ce que le ministère prévoit après la désignation comme patrimoine national. «Est-ce que dans le prochain Budget, des subventions seront accordées à ces sites ? En tant que patrimoine national, ils peuvent désormais bénéficier des fonds CSR.»