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Shrin Aumeeruddy-Cziffra: «La politique partisane n’a pas sa place sur toutes les questions qui touchent l’être humain»

17 décembre 2022, 21:00

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Shrin Aumeeruddy-Cziffra: «La politique partisane n’a pas sa place sur toutes les questions qui touchent l’être humain»

Des femmes activistes, interpellées par le rétrécissement de la démocratie, de même que par la féminisation indéniable de la pauvreté, se sont rencontrées, samedi dernier, pour un partage intitulé «Women Meet». L’avocate Shirin Aumeeruddy-Cziffra, une des chevilles ouvrières de cette rencontre, nous en parle.

Nous ne nous attendions pas à vous retrouver de sitôt sur la voie de l’activisme. Qu’est-ce qui vous a incitée à vous remettre en selle ?
Je n’ai jamais arrêté de militer pour un monde plus juste. Je l’ai toujours fait, quel que soit le poste que j’occupais, à Maurice comme à l’étranger, et notamment comme présidente du Conseil permanent de la Francophonie. Les thèmes du cinquième Sommet de Grand-Baie, en 1993, mettaient l’accent sur les droits humains. Nous avions même parlé de l’unité dans la diversité. Aujourd’hui, la différence, c’est que je reviens à la base avec mes amies pour écouter les Mauriciennes les plus marginalisées et dont les droits économiques et sociaux sont clairement bafoués. J’ai expliqué cette situation dans mes articles intitulés ‘Les droits des femmes sont des droits humains’.

On pourrait penser que vous retournez à la politique active ?
Ce n’est pas le cas. J’ai donné 20 ans de ma vie à la politique partisane et je ne le regrette pas une minute. Mais ce n’est pas dans un parti que je crois pouvoir réellement apporter mes dernières contributions. Je regrette seulement que le mot «militant» soit galvaudé alors que des partis politiques importants ont ce terme dans leur nom. À 74 ans, je crois qu’il faut laisser la place aux jeunes, qui veulent s’engager en politique.

Vous pensez que le nombre de femmes élues peut faire la différence ?
Malheureusement, la parité politique n’est toujours pas une réalité à Maurice, avec un très faible pourcentage de femmes députées et seulement trois femmes ministres sur 22 ou 24. Dans le livre que j’ai écrit, Femmes de l’ombre à la lumière, j’aborde ce sujet de manière simple et rationnelle. Encore faut-il que les élues puissent faire passer leurs idées et n’aient pas peur de s’opposer aux misogynes, même à l’intérieur de leur parti politique. Entre 1976 et 1981, nous avons pu faire fléchir le gouvernement travailliste et le Code Napoléon a pu être réformé grâce à une entente entre les femmes appartenant à différents partis politiques. De plus, nous avons obtenu, de notre propre parti, la liberté de vote sur la peine de mort et le mariage des mineurs.

Neuf femmes tuées par leur conjoint en 2019 et huit féminicides depuis le début de l’année ? Qu’est-ce que cela vous inspire comme réflexion et où le bât blesse-t-il ?
Je suis triste et c’est, entre autres, la raison pour laquelle je veux pouvoir faire plus qu’écrire dans les journaux ou parler à la radio. Il y a une recherche pluridisciplinaire soutenue à mener pour arriver à trouver ensemble les meilleures réponses à ce problème mondial et complexe. Il s’agit avant tout du droit à la vie, qui est enseigné dans toutes les religions et qui constitue une valeur fondamentale de la civilisation. Là-dessus, comme sur d’autres droits, il faut aller auprès des femmes qui vivent ce problème au quotidien et voir avec elles où nous pouvons ensemble avoir un impact positif. Les intellectuels, les influenceurs et les décideurs ne pourront pas sortir un lapin de leur chapeau. On doit quitter sa tour d’ivoire et descendre sur le terrain. Mais surtout, il faut comprendre qu’il s’agit de nous tous et que la politique partisane n’a pas sa place sur toutes les questions qui touchent l’être humain.

C’est, semble-t-il, ce que le «Women Meet» de samedi dernier préconise. Vous êtes une des chevilles ouvrières de ce mouvement. Qui en a eu l’idée et quelle était la motivation derrière ce regroupement de femmes ?
Joceline Minerve et Sheila Bunwaree ont été les initiatrices du groupe face, entre autres, au rétrécissement de la démocratie et à la féminisation de la pauvreté. Elles ont contacté des femmes, qui sont déjà impliquées dans le combat pour la promotion des droits humains. Je ne pouvais rester à l’écart de ce mouvement car je ne peux renier ce pour quoi je me suis toujours battue. J’avais créé en 1982 le ministère des Droits de la femme et du bien-être de la famille en croyant que ce serait un ministère de transition. Auparavant, j’étais une féministe de terrain, assez «agaçante», même pour mes camarades de parti. Mais certains ont compris les enjeux pour le pays. Malheureusement, la situation s’est détériorée, ces derniers temps, en termes de droits fondamentaux.

Combien de femmes étaient présentes à ce rassemblement et qu’est-ce qui en est ressorti comme recommandations ?
Nous pensons qu’il y a eu plus de 250 femmes tout au long de la matinée. Elles sont venues par groupes des régions où mes camarades sont allées les voir. Certaines sont déjà organisées et connaissent leurs problèmes, qu’elles ont décrits dans leurs propres termes. Certaines femmes ont pris acte des problèmes des autres et c’est ce qui a enrichi cet échange. Elles ont aussi présenté des propositions.

Les anti-femmes ont tendance à dire que les femmes activistes ne savent que ‘blablater’ et que rien de concret n’en résulte ? Concrètement, quelles actions ce groupe de femmes va-t-il prendre ?
Il est facile de jeter des pierres dans notre jardin. Depuis le temps, nous avons appris à construire des ponts avec celles-ci. Si les hommes étaient plus clairs et constructifs dans leurs débats, cela se saurait. Mais hommes et femmes sincères, épris de justice sociale et de justice tout court, dialoguent, de manière constructive, même s’il faut du temps pour trouver les meilleures stratégies. Pour cela, il faut une consultation la plus large possible. Il faut être à l’écoute et ne pas croire qu’une seule personne détient la vérité, ni qu’un seul groupe peut agir efficacement. Nous sommes très conscientes de ces pièges et nous adoptons les méthodes proposées par les unes et les autres, avec l’esprit le plus ouvert possible.

«En revanche, nous ne nous laisserons pas récupérer par un parti politique, quel qu’il soit.»

Quelles sont ces méthodes ?
Nalini Burn, qui a beaucoup travaillé avec l’Organisation des Nations unies, a préparé le groupe à employer l’approche basée sur les droits humains, ce qui implique de se poser des questions telles que «Ki finn amenn nou la ?»et «Ki sitiasion nou pe viv ?»Ce qui nous permet alors de comprendre pourquoi c’est ainsi et qui est responsable de cette situation. Maintenant que nous avons recueilli beaucoup de données, nous allons les analyser et discuter de la suite.

Ce regroupement envisage-t-il de faire de la politique dans le futur ?
Pas en tant que groupe. C’est dans le sens le plus noble du terme que notre action est politique. Mais il y a des femmes, qui sont déjà impliquées en politique dans notre groupe et parmi les jeunes, qui se rapprochent de nous. Tant mieux ! En revanche, nous ne nous laisserons pas récupérer par un parti politique, quel qu’il soit. Je me suis personnellement assurée de cela avant de me joindre au groupe.