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Violence domestique: coups et coût

13 décembre 2022, 19:00

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Violence domestique: coups et coût

La violence domestique a un «coût». Un chiffre colossal évoqué lors d’une table ronde organisée par la délégation de l’Union européenne hier au Caudan Arts Centre. Autre constat alarmant : l’application des lois et la nécessité de les revoir pour protéger les victimes.

Les récents crimes et actes de violence perpétrés à l’encontre des femmes choquent une fois de plus. Un fléau qui suscite bien des débats alors qu’un cadre légal – la Protection Against Domestic Violence Act – existe depuis 1997 et a été amendée en 2004, 2007, 2011 et 2016. Or, cela ne suffit pas, indiquent les intervenantes de la table ronde de la délégation de l’Union européenne (UE) à Maurice.

Le panel, composé d’Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links ; Mᵉ Mokshda Pertaub, avocate et formatrice juridique indépendante pour l’égalité des genres ; Mᵉ Navina Parsuramen, procureure générale du State Law Office, et Rajeshree Jaunky de la Brigade pour la protection de la famille, avec la participation de Vincent Degert, l’ambassadeur de l’Union européenne auprès de la République de Maurice, a passé en revue la situation. D’emblée, Vincent Degert a déclaré que «la violence à l’encontre des femmes et des filles est l’une des plus grandes injustices de notre époque, qui touche tous les pays et toutes les communautés». Cependant, selon lui, cette violence s’est aggravée avec la pandémie du Covid-19. «Il ne s’agit pas simplement de faits divers ou d’accidents, ni d’une fatalité. Il s’agit vraiment d’un phénomène social face auquel nous avons une responsabilité collective», a-t-il soutenu. Et de rappeler que l’UE est particulièrement attachée à la lutte contre toutes les formes de violence faites contre les femmes et les filles dans le monde. «Nous serons donc aux côtés des Mauriciens et des Mauriciennes pour qu’ensemble nous puissions faire une différence», a-t-il affirmé. D’ailleurs, il s’agit d’un fléau qui pèse psychologiquement, socialement et aussi financièrement. Anushka Virahsawmy a évalué le coût à Rs 2 milliards lors des débats…

D’autres questions ont fusé, notamment en termes de counselling. «Qui adhère à ces séances ? Est-ce que la police peut contraindre un agresseur à prendre part au counselling ? Pourquoi y a-t-il des retraits des plaintes pour violence domestique ? Nous faisons face à une mentalité patriarcale», a déclaré Mᵉ Mokshda Pertaub. Pour elle, la police doit recevoir une formation appropriée. De plus, les forces de l’ordre doivent considérer la gravité quand il s’agit de violence domestique au même titre que d’autres crimes. Elle a aussi remis en question le fonctionnement du Domestic Violence Perpetrators’ Rehabilitation Programme. «Hormis la police, il faut aussi former les magistrats et les avocats, sensibiliser les victimes potentielles ainsi que les agresseurs sur les lois et conséquences qui en découlent. Il faut aussi des sanctions plus sévères.»

Quant à Mᵉ Navina Parsuramen, elle est revenue sur les failles légales, notamment dans le monde moderne où des offenses ne sont pas incluses. Elle a évoqué, entre autres, les cyberattaques et les diffusions d’images en ligne. Parallèlement, les règlements doivent aussi prendre en compte les cas d’abus de la conjointe en la contraignant à la prostitution. De même, le besoin de soutien des enfants, témoins de la violence domestique, constitue une autre réalité. Elle a aussi abordé la violence entre personnes du même sexe.

Soutien psychologique

Selon l’avocate, entre le nombre de cas dénoncés et celui qui atterrit finalement en cour, il y a un écart considérable. «A-t-on des gens qualifiés au sein du système ? Les tribunaux appliquent-ils efficacement la loi ? Les victimes réalisent-elles les risques en laissant revenir les agresseurs dans leur vie ? Il faut qu’elles en prennent conscience. Ce n’est pas juste la loi qui les protégera mais il faut également un soutien psychologique», exhorte-t-elle. Les «proceedings» sont censées se tenir «in camera» mais nos cours ne sont pas équipées des facilités appropriées pour cela. Aussi, les victimes ne bénéficient pas du soutien nécessaire en venant au tribunal. «En cour, il faut une approche adaptée et non les antagoniser davantage. Il faut beaucoup de courage pour venir de l’avant face à la violence domestique», ajoute-t-elle. Pour toutes ces raisons, un amendement des provisions légales doit être apporté, poursuit-elle.

Pour sa part, Rajeshree Jaunky, qui compte 32 ans d’expérience au sein de la force policière, s’est focalisée sur l’évolution de celle-ci dans le traitement de la violence domestique, en revenant sur plusieurs histoires vécues personnellement. «Il ne faut pas émettre de jugements et respecter la confidentialité car il y va de la sécurité des victimes. Nous devons aussi leur expliquer les procédures légales et les implications», a-t-elle souligné. Au sujet du programme de reconstruction et de «recovery», elle a souligné que 137 personnes avaient suivi des séances de janvier au 7 décembre 2022 contre 64 en 2021 et 309 en 2020. «Il est primordial de travailler en collaboration avec toutes les instances concernées et mettre l’emphase sur l’être humain qui vit ce fléau.»

Au terme des échanges, l’assistance est aussi intervenue. À l’exemple de Shirin Aumeeruddy-Cziffra, ancienne Ombudsperson for Children, qui a plaidé en faveur d’investir les milliards que coûte la violence domestique dans des unités pluridisciplinaires pour aider les victimes. Des représentantes du ministère de l’Égalité des genres ont fait état de l’introduction du Family Support Service sur une base pilote dans six localités ainsi que des assistances gratuites aux victimes. Et de conclure que le travail sur l’amendement légal est bien à l’agenda de l’État.