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Saint-Brandon - Échouage du Yu Feng: Wakashio bis ?

13 décembre 2022, 10:00

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Saint-Brandon - Échouage du Yu Feng: Wakashio bis ?

Il a des tonnes de carburants à son bord. Le propriétaire a abandonné le bateau. Cela fait plus d’une semaine qu’il s’est échoué au large de l’archipel. Et si les autorités affirment le contraire, des témoins affirment que le diesel a atteint la plage… Ça ne vous rappelle rien ?

5 décembre-13 décembre. Cela fait plus d’une semaine que le Yu Feng, bateau de pêche battant pavillon taïwanais, est drossé sur les récifs de l’île du Sud, à proximité de Saint-Brandon. Il était sorti pour une campagne de pêche le 3 décembre lorsqu’il s’est retrouvé en difficulté. Pendant ce temps, le propriétaire a abandonné son bateau, le laissant ainsi «entre les mains» des autorités mauriciennes. Il a non seulement résilié le contrat de son représentant local mais également celui de son assureur. Et ce n’est pas le pire…

D’abord, revenons sur ce qui s’est passé jusqu’à présent. Si l’on se fie aux dires des autorités, la National Coast Guard (NCG) a dépêché le CGS Barracuda à Saint-Brandon, pour ramener les 28 membres d’équipage qui se trouvaient à bord du Yu Feng. Selon la NCG toujours, quelque 60 mètres de booms anti-pollution ont été déployés en cas de fuite d’hydrocarbures. Un Incident Command Post installé sur l’île du Sud permet de surveiller le bateau.

À hier, selon les autorités, il n’y avait aucune fuite. Il n’y a pas d’oil spill, assurent-elles. Mais selon des témoins, il s’avère qu’il y a bel et bien eu un déversement de diesel, qui a atteint la plage jeudi matin, comme en témoignent les photos que l’on publie ci-dessus. Des étendues noirâtres sont ainsi visibles sur le sable, on en trouve des traces ici et là. On parle aussi d’une odeur de diesel qui émane du site du naufrage.

S’il est vrai que le diesel est volatil et qu’il s’évapore rapidement, n’empêche qu’il a des effets sur la faune et la flore, alors que le lagon autour de l’archipel pullule de poissons. «Si d’aventure ce diesel se rependait dans l’eau, sa nature volatile aidera à une évaporation rapide mais en causant quand même, de par ses composantes, des dégâts à la flore et à la faune marine», écrit Alain Malherbe, directeur général d’Island Maritime Services, sur sa page Facebook.

Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement, parle, lui, de l’écosystème marin de SaintBrandon qui est «unique et riche en biodiversité et qui est de ce fait très fragile». Selon lui, le naufrage d’un bateau sur les récifs à cet endroit représente un danger réel. «Cet archipel est isolé et ces bateaux contiennent du diesel ainsi que des appâts pour la pêche et quelques fois des prises. La peinture anti-algues utilisée pour la coque est aussi souvent toxique car ces embarcations ne se soumettent pas à la réglementation internationale contre les TBT», explique-t-il. L’ingénieur estime qu’il faut suivre la situation de près car même si Saint-Brandon a connu nombre de naufrages par le passé, celui du Yu Feng suscite l’inquiétude.

Urgence et frayeur encore

D’où l’urgence d’enlever l’épave au plus vite. Du coup que deviendra-t-elle ? Sera-t-elle transformée en récif artificiel ? Les autorités vont-elles élaborer un plan de sauvetage ? Et cela aux frais des contribuables ? Autant de questions qui méritent des réponses. Mais nos appels au ministère des Affaires maritimes sont restés sans réponse. Cependant, selon une source, aucune décision n’a été prise pour le renflouage du Yu Feng.

Joint au téléphone, Alain Malherbe dira que c’est à Maurice de prendre les dispositions appropriées. «La MPA n’a pas déployé de remorqueur pour le renflouage. C’est le directeur du Shipping qui doit réquisitionner les remorqueurs mais l’ordre doit venir du PMO», souligne-t-il. Pour lui, cet incident ressemble beaucoup à celui du Wakashio. Il rappelle qu’alors, l’ex-Port Master avait affirmé durant le naufrage du vraquier japonais que «les remorqueurs sont conçus pour opérer uniquement dans les limites portuaires». De faire ressortir qu’un de ces remorqueurs «portuaires» (NdlR,le sir Gaëtan avait prêté mainforte pour le nettoyage sur le site du Wakashio à Pointe-d’Esny) a sombré au large de Poudre-d’Or et que «quatre innocents» ont perdu la vie.

Pour rappel, le désormais tristement célèbre MV Wakashio, vraquier nippon battant pavillon panaméen, s’est échoué sur les récifs de Pointe-d’Esny le 25 juillet 2020. Il avait à son bord 3 894 tonnes métriques de fioul à faible teneur en soufre, 207 tonnes métriques de diesel et 90 tonnes métriques d’huile lourde. Ce drame restera graver dans les annales comme un des pires accidents maritimes s’étant produits au large les côtes mauriciennes.

Le Wakashio était resté 12 jours sans que les autorités ne réagissent alors que le pays se trouvait en confinement à cause du Covid19. Face à l’inertie des autorités, le vraquier se dégradait au contact de l’eau saline et la coque heurtait violemment les récifs. S’ensuivie le 6 août, la pire catastrophe écologique de l’histoire du pays. Environ 1 000 tonnes d’hydrocarbures se sont déversées dans le lagon.

La similitude avec l’incident du Wakashio ne se résume pas avec sa cargaison de carburants. Même si le Yu Feng contient 7 tonnes d’huile et 70 tonnes de diesel dans ses réservoirs, c’est surtout l’inaction des autorités que dénoncent les détracteurs, qui affirment que celles-ci n’ont pas retenu la leçon. «Comment se fait-il qu’après une semaine le bateau est toujours prisonnier des récifs ?» lance un membre de l’opposition. Il est très critique envers la NCG. «Leur radar ne fonctionne pas. Les deux bateaux postés à Saint-Brandon ne sont pas opérationnels. Pourquoi la NCG n’a rien détecté ? Pourquoi la NCG n’a pas participé au sauvetage ?»

L’inspecteur Shiva Coothen, porte-parole de la police, monte lui aussi au créneau. «Il n’y a pas de radar à Saint-Brandon. La NCG a vu sur l’AIS que le bateau s’était immobilisé.» D’ajouter : «Les bateaux de la NCG sur place fonctionnent.» À savoir que dans une déclaration à la presse samedi, le SP Veerasamy avait fait ressortir que, le 5 décembre, la NCG avait tenté en vain d’établir une ligne de communication avec le capitaine du bateau taïwanais.

L’on se souvient que lors du naufrage du Wakashio, les nombreux appels de la NCG sont restés sans réponse. D’ailleurs, lors des travaux de la cour d’investigation pour faire la lumière sur les circonstances de ce drame, des incohérences ont été notées dans les dépositions des officiers chargés de la surveillance maritime. L’inspecteur Mahendra Nundlall, qui était Officer in Charge à l’Operations Room de la NCG le 25 juillet 2020, avait concédé qu’il y a eu des lacunes lors de la surveillance du vraquier, pointant du doigt les officiers chargés de scruter le C-Vision et ceux du CSRS de Pointe-du-Diable.