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Libération conditionnelle: les preuves contre l’activiste peuvent-elles être évaluées à ce stade ?

12 décembre 2022, 10:10

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Libération conditionnelle: les preuves contre l’activiste peuvent-elles être évaluées à ce stade ?

Les demandes pour la libération conditionnelle de l’activiste se sont heurtées jeudi aux objections usuelles de la police et du Directeur des poursuites publiques (DPP), c’est-à-dire, risques de fuite, de récidive ou d’entrave au cours de la justice.

Mᵉ Shakeel Mohamed, qui était entouré de Mᵉˢ Rouben Mooroongapillay et Anoup Goodary, mais aussi de Mᵉˢ Sanjeev Teeluckdharry et Akil Bissessur qui ont rejoint le panel d’avocats défendant Bruneau Laurette, s’est attaqué, comme lors de sa demande de radiation des charges du 5 décembre, au «reasonableness» des soupçons de trafic de drogue pesant sur son client, qui est à la base de toute cette affaire.

Devant les refus continuels de la poursuite de communiquer les preuves à la défense avant le bouclage de l’enquête − le SP Rajaram prévoit au moins quatre mois, voire plus –, Mᵉ Shakeel Mohamed a martelé que si on écoutait la police, son client risquait d’attendre cinq ou dix ans en détention avant qu’il ne puisse faire face à un procès. Il faut savoir aussi que si l’activiste est libéré mais que les charges provisoires sont maintenues, il fera l’objet d’un contrôle policier qui entravera sa liberté.

La «qualité» de la preuve

Pour décider de la libération conditionnelle, l’ex-chef juge Eddy Balancy reconnaissait dans son fameux jugement «Maloupe» l’importance de la qualité des preuves contre un suspect : «If the evidence is, by its nature, unreliable, the presumption of innocence should weigh more heavily in the balance in favour of the applicant’s release on bail.» Et il citait le jugement Omarsaib où la cour avait bien pris en compte la qualité de la preuve, qui était en l’occurrence plutôt faible, car provenant d’un complice qui s’était rétracté. À noter que dans le cas de Laurette, les preuves sont issues exclusivement de la police…

Pour Mᵉ Shakeel Mohamed, les soupçons pesant sur son client ne sont pas raisonnables car la police n’a pas encore établi, entre autres, la valeur de la drogue qui détermine d’ailleurs s’il y a eu délit de trafic, ni soumis à la défense les vidéos de la descente de la Special Striking Team (SST) au domicile de l’activiste. Ces vidéos sont d’autant plus importantes que Bruneau Laurette avait fait de graves allégations contre cette même équipe, l’accusant d’avoir planté de la drogue dans sa voiture. Et toujours selon son avocat, l’activiste avait lancé de graves accusations de trafic de drogue contre certains policiers dont le chef de la SST. Il a aussi parlé de vendetta politique.

Pour le représentant du bureau du DPP, le Principal State Counsel Mᵉ Roshan Santokhee, les soupçons pesant sur l’accusé revêtent bien un caractère raisonnable car «les faits imputables à Laurette sont ‘undisputable’». Ce qui a fait bondir Mᵉ Shakeel Mohamed, qui en a exigé les preuves.

L’examen des preuves, c’est pour plus tard

Mᵉ Roshan Santokhee − un adversaire redoutable des hommes de loi de Bruneau Laurette − a également fait comprendre à chaque fois qu’il n’appartient pas à la magistrate examinant un recours contre une détention provisoire de rechercher si les charges sont étayées par des preuves suffisantes car celles-ci seront examinées en détail lors du procès. Il n’a pas tout à fait tort, car c’est ce qui semble être prévu par nos lois de procédure pénale et la jurisprudence jusqu’ici en la matière. Dans le jugement Maloupe, l’ex-chef juge Eddy Balancy avait écrit : «It would be improper, for a court, on the occasion of a bail application, to receive testimony as to the details of the evidence available to the prosecution and to make an assessment of its sufficiency or weight.» Mais l’ex chef-juge soulignait que les «witnesses in the course of the hearing of an application for bail should only be allowed to depone as to the ‘nature’, i.e., the kind of evidence available (including external circumstances which have a bearing on its quality…).»

La qualité de la preuve est donc importante et cet argument avait été soulevé également à l’audience du 5 décembre, lors des débats sur la radiation des charges provisoires. Et Mᵉ Roshan Santokhee avait objecté que jamais une cour de district n’avait procédé à une radiation des charges provisoires pour absence de «reasonable suspiscions». En réponse, Mᵉ Shakeel Mohamed a dit à la magistrate Jade Ngan Chai King que rien ne l’empêche de le faire et que cela fera jurisprudence.

«Égalité des armes», l’arme utilisée par Me Mohamed

Jeudi dernier, Mᵉ Shakeel Mohamed s’est aussi appesanti sur le principe d’égalité des armes mentionné dans l’arrêt Nikolova de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qu’il citera abondamment. Les juges de cette Cour avaient conclu qu’«il n’y a pas égalité des armes lorsqu’un avocat se voit refuser l’accès aux documents du dossier d’instruction dont l’examen est indispensable pour contester efficacement la légalité de la détention de son client». Plus loin, les juges écrivent que «la requérante (Nikolova) n’a pas pu consulter les pièces versées au dossier de l’instruction en vue de contester les motifs de sa détention… La procédure n’était donc pas réellement contradictoire et n’a pas garanti l’égalité des armes entre les parties». Alors que Nikolova avait «présenté des arguments substantiels mettant en doute la validité des charges retenues contre elle et des motifs à l’origine de sa détention». Les circonstances et les arguments soulevés dans ces deux affaires (Nikolova et Laurette) se ressemblent d’une manière frappante.

Me Shakeel Mohamed a remis de larges extraits de ce jugement européen à la magistrate. La CEDH résume bien la situation : «S’il est vrai que l’article 5 § 4 de la Convention n’entraîne pas pour le juge examinant un recours contre une détention l’obligation d’étudier chacun des arguments avancés par l’appelant, les garanties qu’il prévoit seraient vidées de leur sens si le juge […] pouvait considérer comme dénués de pertinence, ou omettre de prendre en compte, des faits concrets invoqués par le détenu et susceptibles de jeter un doute sur l’existence des conditions indispensables à la ‘légalité’ […] de la privation de liberté.»

On saura bientôt ce que la magistrate décidera. Les débats sur la libération conditionnelle reprendront aujourd’hui.