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Compensation salariale: d’où sortiront les milliards ?

7 décembre 2022, 22:00

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Compensation salariale: d’où sortiront les milliards ?

La quasi satisfaction affichée par les syndicats à l’issue de l’exercice de compensation salariale de la semaine dernière témoigne au moins d’une chose : elle traduit qu’entre les différents partenaires, il existe un sentiment que des efforts ont été faits de part et d’autre, plus particulièrement par le gouvernement pour compenser adéquatement les travailleurs du pays, dont 350 000 bénéficieront directement des Rs 1000 accordées across the board.

Sans doute, il faut voir dans la démarche du ministre Renganaden Padayachy – et accessoirement celle du Premier ministre – une volonté de préserver la paix sociale déjà exposée ces derniers mois aux mouvements d’humeur de la population face à une dégradation de leur niveau de vie avec une roupie fortement dépréciée couplée à une inflation galopante à deux chiffres.

Certes, le timing n’était pas pour le moins approprié pour une confrontation syndicats / GM en pareille circonstance, d’où l’idée largement véhiculée ces derniers jours que même si cette réunion annuelle s’appelle candidement tripartite, il n’y a au préalable aucune consultation tripartite car à la fin de la journée, le quantum est décidé d’avance après l’arbitrage de Pravind Jugnauth. C’est-à-dire que le ministre des Finances vient à la réunion avec un taux de compensation ; au milieu de la réunion après avoir écouté tous les représentants syndicaux et du patronat, c’est toujours le même taux et… après la réunion, le quantum demeure le même et ne changera pas d’un iota. C’est visiblement la pratique des négociations, version bâtiment du Trésor depuis 2019.

Comme on pouvait s’y attendre, l’opposition n’a pas tardé à réagir, qualifiant le quantum de la compensation d’insuffisant face à la conjoncture économique où la spirale inflationniste devient carrément une taxe punitive sur les familles. «Avec une compensation salariale qui revient à Rs 30 par jour dans un contexte où l’inflation est de 10,7 %, la population risque de s’appauvrir en 2023», insiste ainsi le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval. Son argument, largement souscrit d’ailleurs par des économistes et spécialistes financiers, est que l’inflation n’a pas encore atteint son pic et qu’elle est en grande partie le résultat d’une dépréciation accélérée de la roupie, elle-même liée à la faiblesse de la balance sheet de la Banque de Maurice.

Indépendamment des raisons avancées pour justifier, voire s’opposer à, ce taux de compensation, à la fin de la journée, il coûtera au pays Rs 5 milliards, dont la grosse partie sera assurée par le privé, soit Rs 4,2 milliards, qui juge déjà le fardeau financier trop lourd alors que l’État n’y contribuera que Rs 800 millions pour ses employés. Il va sans dire qu’avec la fragilité financière de certaines sociétés du privé, c’est l’État qui sera appelé en dernier recours à financer partiellement cette compensation, comme aux petites et moyennes entreprises avec une enveloppe de Rs 50 millions déjà allouée. Or, on peut poser raisonnablement la question : est-ce que l’État dispose de l’espace fiscal pour exécuter cette mesure ?

Réponse toute simple de l’économiste Pierre Dinan : «Non !» Mais le gouvernement va-t-il s’endetter encore ? Il répond que lors de la présentation du dernier budget, il était officiellement estimé que la dette publique dépasserait 75 % du PIB. Un message clair et net aux contribuables pour des années à venir alors même que le service de la dette publique (remboursement et intérêts), dit-il, risque de peser lourd. Au 30 septembre 2022, la dette publique s’élevait à 85,2 % du PIB lui-même estimé à Rs 540 milliards par Statistics Mauritius.

Imrith Ramtohul, analyste financier et consultant en investissement, pousse la réflexion plus loin et estime qu’il est hors de question que toutes les entreprises privées fassent la queue pour profiter de ce mécanisme de financement de la compensation salariale. La santé financière des entreprises, constate-t-il, s’est améliorée depuis plus d’une année, avec l’ouverture totale des frontières et l’enlèvement des restrictions sanitaires. Du coup, l’État ne devrait pas se retrouver avec une grosse enveloppe financière . «Nous ne nous attendons pas à ce que l’État doive emprunter pour financer cette compensation. En même temps, nous considérons cet exercice comme crucial pour permettre à la population active de rattraper la perte de son pouvoir d’achat. Tout comme nous espérons que cette augmentation salariale ne contribue pas à gonfler l’inflation.»

Seul indicateur

Faut-il pour autant utiliser le taux d’inflation comme seul indicateur pour décider du quantum de la compensation salariale ? La question est sur le tapis depuis quelques années sans que les partenaires sociaux n’aient pu trouver un consensus sur ce sujet. Toujours est-il que pour Pierre Dinan, ce n’est pas l’alignement sur le taux d’inflation qui est mis en cause. S’il reconnaît qu’un montant fixe de Rs 1 000 est plus favorable au petit salarié qu’au moyen ou gros salarié, on peut se poser la question : «Les salariés dans la partie élevée de l’échelle des revenus ne pourraient-ils pas se passer de cette augmentation, dans la mesure où ils pourraient réduire leur train de vie, compte tenu de la piètre situation économique au niveau international et les conséquences à venir pour l’économie de notre pays ?»

Si la compensation salariale est déterminée par le taux d’inflation estimé à 10,7 %, l’inflation affecte tout le monde mais d’une façon sans doute inégale. Ce qui fait dire à l’ex-ministre des Finances, Rama Sithanen que le poids du panier de la consommation varie selon le niveau des salaires et que ceux se trouvant au bas de l’échelle avec un salaire minimum et qui touchent jusqu’à Rs 25 000 par mois consacrent une part très importante de leurs revenus aux produits subissant l’effet inflationniste. Ainsi, il estime que pour cette catégorie de personnes, le taux d’inflation peut tourner autour de 20 %.

«On ne connaît pas le fonctionnement du mécanisme d’aide aux entreprises en difficulté. Est-ce un prêt remboursable par la suite ? N’empêche qu’on peut s’interroger, plus de deux ans après le covid-19, si c’est le rôle de l’état d’assister les entreprises pour compenser leurs employés de la perte de leur pouvoir d’achat ?.»

Pour autant, il ne faut pas occulter le fait qu’à la base de l’inflation de 10,7 %, calculée par Statistics Mauritius, il y a une part venant de l’extérieur avec l’effet de la guerre russo-ukrainienne sur les prix des commodités. Mais il y a aussi le facteur de la dépréciation de la roupie en raison notamment des milliards transférés de la BoM au Trésor public et à la MIC, d’où des pertes occasionnées ces jours-ci. Doit-on comprendre que le gouvernement est en train de récolter la tempête après avoir semé le vent ?

Rama Sithanen est catégorique : il ne faut pas être surpris de l’état financier de la BOM après avoir confisqué ses réserves à hauteur de Rs 156 milliards pour les transférer au Trésor public et monétiser son déficit budgétaire dans le sillage de la crise pandémique et créer la Mauritius Investment Corporation (MIC). Dans la même logique, Pierre Dinan trouve ironiquement que le recours aux réserves monétaires de la banque centrale a permis au gouvernement de continuer son train de vie d’avant la pandémie. «C’est comme si une entreprise continuerait à fonctionner comme auparavant, alors que son chiffre d’affaires a chuté largement. Dans le monde des affaires, ce genre de situation mène à la banqueroute. Dans le domaine public, la dévaluation ou la dépréciation de la monaie du pays, notre roupie, entre en scène non sans fracas.»

Pour le moment, on ne connaît pas le fonctionnement du mécanisme d’aide aux entreprises en difficulté. Est-ce un prêt remboursable par la suite ? N’empêche qu’on peut s’interroger, plus de deux ans après le Covid-19, si c’est le rôle de l’État d’assister les entreprises pour compenser leurs employés de la perte de leur pouvoir d’achat ? Imrith Ramtohul comprend que pendant la crise pandémique, il y avait une urgence d’assister financièrement ces entreprises avec les confinements du pays. Aujourd’hui, il se demande s’il y a toujours lieu de le faire, conscient que dans des cas extrêmes, l’État puisse intervenir. Pierre Dinan a une toute autre lecture qui appelle à la réflexion. Selon lui, «nous succombons hélas bien facilement à cette tentation de la vision d’un gouvernement tout puissant, alors que ce sont, nous les contribuables, qui lui fournissons, à sa demande et selon ses conditions, ses moyens financiers sous les formes diverses, telles que l’impôt sur les revenus et la sales tax».

Quoi qu’il en soit, d’une année à une autre, l’exercice de compensation salariale suscite toujours réactions et interrogations.