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ICTA: enquêtes TGV et les autres…

26 novembre 2022, 18:51

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ICTA: enquêtes TGV et les autres…

L’Information and Communication Technologies Act (ICTA) est maintes fois évoquée lors des arrestations dans les «high profile cases» et, souvent, ces affaires sont rayées en cour. À côté de cela, il y a d’autres dépositions concernant le même délit qui sombrent dans l’oubli malgré l’intérêt général de résoudre ces cas. Qu’est-ce qui explique le grand écart dans la gestion de ces cas par la police ?

Le 10 novembre, les journalistes Nawaz Noorbux, Al Khizr Ramdin et Jean-Luc Emile avaient porté plainte pour breach of ICTA contre des posts diffamatoires sur Facebook. Les pages incriminées sont de Sun TV et Sun Power. Lors de leur déposition, les journalistes avaient soumis une affiche postée sur la page où figuraient des journalistes, des avocats et Bruneau Laurette avec le «slogan» BLD - Baron la drog. Après sa plainte, Nawaz Noorbux, directeur de l’information à Radio Plus, avait dit qu’il attendrait désormais de voir quelles actions seraient prises et si l’ICTA ferait enlever les pages incriminées. Il avait rappelé que «kan serten dimun fer depozision, lanket TGV». Quelques instants après la déposition, la page avait mis en ligne un clip reprenant les mêmes éléments.

14 jours après la déposition, Sun TV News est toujours en ligne. Les posts sont toujours réguliers. Le «slogan», qui fait l’objet d’une enquête policière, a été repris par le Premier ministre à l’Assemblée nationale mardi dernier. «(…) certains membres de l’opposition sont proches d’un certain monsieur B.L., dont le symbole ! est, s’il vous plaît ! Et dont le slogan est BLD – Baron La Drogue !», avait dit le Chef du gouvernement.

Enquêtes en souffrance

Nous sommes en mars 2021. Le scandale Telegram éclate. L’existence de centaines de groupes d’hommes est dénoncée. Ces groupes font circuler des photos intimes de filles à leur insu. Certains n’hésitent pas à en vendre. Les cas s’enchaînent. La «revenge porn» fait rage. Les dépositions pleuvent. L’implication d’un policier de l’unité de la cybercriminalité est alléguée. Il est arrêté et interrogé.

Le 2 avril de la même année, le ministère de l’Égalité des genres s’indigne et un comité technique est mis sur pied pour «study the phenomenon of child/revenge pornography following the circulation of indecent photos and videos against payment on the social media application Telegram». Un an après, soit le 14 avril, la ministre Kalpana Koonjoo-Shah est revenue sur ce comité qui doit «address the issue through a multi-sectoral approach and come up with recommendations as regards the development of collaborative institutional protocols for interventions to support victims».

Au-delà des déclarations techniques, les victimes, elles, sont toujours dans l’attente et, pendant ce temps, les groupes existent toujours, les photos s’échangent de plus belle. D’ailleurs, une autre plainte a été portée contre le policier suspendu le 19 octobre dernier pour le même délit. Un autre cas en souffrance est la plainte d’Ingrid Charoux du 17 septembre 2020 dénonçant les propos racistes de personnalités proches de la sphère politique contre elle. L’enquête suit son cours, il n’y a pas eu d’arrestations.

 Enquêtes TGV

Mais dire que la police n’est pas efficace serait faux. Il y a eu des enquêtes TGV par rapport au «breach of ICTA». Dans plusieurs cas, les arrestations sont survenues très vite. Le 15 avril 2020, Rachna Seenauth a été arrêtée suite à un post humoristique sur Facebook. Les policiers ont débarqué chez elle à 13h24. La plainte avait été faite par Kaushik Jadunundun, ancien membre du board de l’ICTA, le même jour à 13h10. Son avocat, Mᵉ Rouben Mooroongapillay, avait adressé une lettre à plusieurs hautes personnalités du pays pour demander pourquoi «such a rush for police to be at her residence at the same time when statement was still being recorded from declarant». Il n’a jamais eu de réponses.

L’autre affaire qui a fait sourciller est celle impliquant Kobita Jugnauth et Rigg Needroo. L’épouse du Premier ministre avait porté plainte contre cet internaute car, en août 2018, ce dernier avait partagé un article de l’express sur Facebook dans lequel Pravind Jugnauth disait : «Mo ena enn sel fam mwa.» Mais l’internaute avait commis l’impair d’écrire comme légende : «Me to fam ena enn ta mari.» Lors du procès, le 15 septembre dernier, l’enquêteur avait concédé que non seulement il avait pris la déposition de Kobita Jugnauth chez elle, mais que Rigg Needroo avait déjà été interrogé avant même que la plainte ne soit consignée…

«Il est intéressant de noter qu’entre 2017 et juin 2022, les autorités n’ont demandé des informations  sur des profils qu’à deux reprises.»

Puis, il y a le cas d’Akil Bissessur. Il avait été arrêté le 13 mars 2021 après la publication d’une bande sonore sur les réseaux sociaux. Une voix masculine faisait part de l’instauration de l’état d’urgence à Maurice. La charge de «breach of ICTA» avait été retenue contre lui. Mais en cour, l’enquêteur a affirmé qu’il n’y a rien qui prouve que c’est la voix d’Akil Bissessur ; qu’il n’y a pas de rapport de l’IT Unit pour authentifier la voix, et qu’Ivann Bibi, qui avait été arrêté pour avoir posté cette bande sonore, n’a pas dit que c’est la voix de l’avocat non plus.

Pourquoi a-t-il été arrêté alors ? Parce que quelques internautes ont dit que c’est la voix d’Akil Bissessur, a fait ressortir le magistrat dans son jugement. Il a aussi dit que ces internautes n’ont pas été questionnés 13 mois après alors que «police had more than a reasonable period of time to at least assess the trustworthiness of the information on which they were basing themselves to form a reasonable suspicion». Dans la foulée, il a précisé que : «Reasonable suspicion is no instinct, allows no guess, is no sixth sense. It is scientific.» La charge provisoire a été rayée.

Qui peut contrôler ?

Pour qu’un post soit enlevé de Facebook et autres réseaux, il faut qu’une demande émane de la force policière. Combien de temps cela prend-il ? La réponse a été donnée par Deepak Balgobin samedi dernier lors de sa conférence de presse. «À l’époque, lorsque les cas étaient rapportés, cela prenait énormément de temps. Mais la collaboration a été grandement améliorée et, aujourd’hui, il faut environ 14 jours pour enlever les posts à caractère communal et insultant», a-t-il expliqué. Malgré ce «response time» écourté, l’affiche rapportée à la police par les journalistes, un clip reprenant les mêmes propos, ainsi qu’une autre vidéo attaquant Mᵉ Azam Neerooa, du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), et la magistrate Vidya MungrooJugurnath (postée le 18 octobre) sont toujours en ligne. La raison évoquée est que l’enquête est toujours en cours et, de ce fait, qu’aucune demande n’a été envoyée à Facebook pour ces affaires précises. Puis, malgré toute sa collaboration, Deepak Balgobin avait précisé que personne n’avait de contrôle sur Facebook. Le Premier ministre avait tenu les mêmes propos le 17 novembre, affirmant que Facebook est hors du contrôle du gouvernement.

Cette déclaration a fait bondir Hassenjee Ruhomally. «En 2019, mon compte a été supprimé après une blague, et je suis resté comme ça pendant deux ans», avance l’informaticien. Il explique qu’à chaque fois qu’il a tenté de créer un compte, même avec une nouvelle adresse email, il a été bloqué tout de suite. «Un ami m’avait créé un compte en France. Tout marchait bien. Mais lorsque j’ai récupéré les identifiants pour me connecter à Maurice, c’était la même histoire.» Comme il a été développeur pour Facebook, il a pu solliciter ses contacts pour savoir d’où vient le problème. C’est là qu’il a appris qu’il a été bloqué par un centre de modération car il avait été signalé comme «security threat for the country».

Cependant, il est intéressant de noter qu’entre 2017 et juin 2022, les autorités n’ont demandé des informations sur des profils qu’à deux reprises.

Les raisons derrière les retards

Pourquoi certaines affaires prennentelles du temps alors que d’autres sont expédiées ? «Il est difficile de répondre. Cela dépend de l’enquête, des éléments qu’il faut réunir pour pouvoir aller de l’avant», répond l’inspecteur Shiva Coothen. Il explique cependant que, dans tous les cas, lorsqu’une plainte est enregistrée, c’est la police qui enquête. La Cybercrime Unit et l’IT Unit sont sollicitées s’il y a des examens d’appareils à faire. La force policière a aussi une unité de Cyber Patrol. Son rôle, comme expliqué en avril 2021 par l’ASP Chetanandsing Dawonauth, responsable de cette branche, est : «de patrouiller la Toile tout comme les policiers patrouillent les rues. Nous utilisons un ordinateur et nous circulons sur les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, WhatsApp, YouTube, entre autres. Si nous tombons sur des posts qui violent la loi ou la computer misuse, nous commençons une enquête et nous prenons les actions qui s’imposent.» Il avait aussi expliqué que, si les membres de cette patrouille virtuelle estiment qu’une publication porte préjudice à quelqu’un ou à un groupe de la société, des enquêtes peuvent être entamées sans qu’il y ait de plainte. Est-ce que cette patrouille est déjà tombée sur les posts de la page Sun TV News ? Du côté des Casernes centrales, on affirme officiellement que la police n’a pas vu ces publications, même pas celle où le judiciaire et le bureau du DPP sont attaqués.