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Dr Reuben Veerapen: «Les femmes meurent beaucoup plus que les hommes quand elles font une complication cardiovasculaire»

25 octobre 2022, 17:00

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Dr Reuben Veerapen: «Les femmes meurent beaucoup plus que les hommes quand elles font une complication cardiovasculaire»

Les maladies cardiovasculaires et les cancers pulmonaires affectent différemment l’homme et la femme. Ces spécificités féminines sont souvent méconnues, tant au niveau du diagnostic que du traitement, d’où la décision de l’association de chirurgie thoracique et vasculaire de l’océan Indien (VASCO) d’axer son 13e congrès sur les pathologies affectant la femme. Le Dr Reuben Veerapen, chirurgien thoracique et vasculaire, et président des médecins spécialistes à l’Union régionale des médecins libéraux (URML) de l’océan Indien (OI), qui a fondé la VASCO, nous en parle.

La VASCO tiendra son 13e congrès du 29 au 31 octobre à l’hôtel «Ravenala Attitude». Pourquoi avoir choisi d’axer cette conférence sur les pathologies de la femme et quels en seront les temps forts ? 
L’association a été fondée en 2009 suite à mon installation à la clinique Sainte-Clothilde, en 2008, pour promouvoir la connaissance de la pathologie cardio-vasculaire et thoracique à l’île de La Réunion et dans les îles de l’océan Indien. Nous sommes une région très spécifique au niveau de nos populations, avec des vagues migratoires de différentes régions du monde, à travers les siècles. Par ailleurs, nous sommes très éloignés géographiquement des grands centres de savoir médical, même si la visioconférence a facilité les contacts, d’où la nécessité d’apporter ces connaissances au plus grand nombre. 

Chaque année, nous avons choisi une thématique différente en fonction des nouvelles données scientifiques et des réalités sociétales. L’année dernière était consacrée à la pathologie cardio-rénale et diabétique au vu des avancées majeures dans ces trois domaines, étroitement liés. Depuis 2020, l’idée me trottait en tête, en côtoyant mes collègues femmes, notamment la Pr Bura Riviere, cheffe de service de médecine vasculaire au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse. Puis, depuis 2021, plusieurs articles s’intéressant exclusivement aux pathologies cardiovasculaires chez les femmes, ainsi qu’à la pathologie cancéreuse pulmonaire, avec des spécificités féminines au niveau de la thérapeutique, sont parus. Ces spécificités au niveau de ces pathologies sont souvent méconnues, tant au niveau du diagnostic que du traitement, d’où la thématique retenue cette année.

Quelles sont ces pathologies et disposezvous de statistiques les concernant ? 
Contrairement aux croyances du public, la première cause de mortalité chez la femme en France comme à Maurice ou au niveau mondial n’est pas le cancer mais bien la pathologie cardio-vasculaire. En France, 75 000 décès par an sont dus à la pathologie cardio-vasculaire contre 12 000 décès par an causés par le cancer du sein. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé a lancé une alerte en 2018 concernant les maladies cardio-vasculaires pour les 20 prochaines années. Contrairement à une croyance toujours tenace, elles concernent aujourd’hui aussi les femmes et ne sont plus réservées aux hommes. Chaque jour, elles tuent 200 femmes en France et 25 000 d’entre elles dans le monde. De nombreux retards de diagnostic et de prise en charge sont liés au fait que les femmes ne se sentent pas concernées par ces maladies, en présentent des formes atypiques, se négligent ou encore ne sont pas prises au sérieux par les professionnels de santé. In fine, on les dépiste insuffisamment et on les traite de manière moins optimale. 

Pourtant, huit accidents cardio-vasculaires sur dix sont évitables avec une information, une éducation à la santé et un dépistage dédié. Depuis les années 2005, le risque de faire un infarctus, un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’avoir une artérite des membres inférieurs a augmenté considérablement chez la femme, de presque 5 % par an. En 2003, une femme de moins de 65 ans avait un risque sur six de faire un infarctus alors que ce risque a considérablement augmenté, passant à 25 % en 2020. Les femmes meurent beaucoup plus que les hommes quand elles font une complication vasculaire, que ce soit au niveau des jambes, du cerveau ou du coeur (jusqu’à 15 % de plus). Ces spécificités touchent aussi bien le diabète, les AVC, les anévrismes, les artériopathies des jambes que la pathologie rénale ou encore les risques liés à la pilule, au tabagisme (une femme qui fume a 20 fois plus de risque de faire une complication vasculaire qu’une non fumeuse alors que chez les hommes, ce sur-risque est de 6). 

La mortalité cardio-vasculaire a tendance à baisser, tous sexes confondus, dans les pays à forts revenus mais paradoxalement chez les femmes, cette mortalité continue à progresser de manière inquiétante, liée aux responsabilités professionnelles croissantes, aux contraintes de la vie familiale, aux difficultés financières (niveau de rémunération plus faible…), avec des rythmes de vie de plus en plus éprouvants. Le congrès va essayer de balayer ces spécificités dans chaque domaine.

En quoi le diabète, les maladies cardio-vasculaires, pulmonaires et rénales diffèrent-elles chez la femme en comparaison à l’homme ? 
Il y a des diabètes spécifiques aux femmes et on va en parler, mais aussi tout ce qui tourne autour de la grossesse avec le diabète gestationnel ou encore les variations glycémiques pendant le cycle ovarien. Au niveau cardio-vasculaire, il faut savoir que les femmes sont plus sensibles au tabac. Aussi, les accidents, aux niveau cérébral, cardiaque ou des membres inférieurs, sont tous corrélés à un taux de mortalité, ou de complications supérieures à ce qu’on retrouve chez les hommes, d’où la nécessité d’informer pour mieux dépister et traiter. 

Il faut inverser cette spirale négative dans le pronostic des pathologies cardio-vasculaires chez les femmes. Pour la pathologie pulmonaire, on verra les spécificités au niveau de la bronchite chronique, la gestion de l’asthme pendant la grossesse, ou encore concernant le cancer pulmonaire. Au niveau rénal, il faut savoir que moins de femmes évoluent vers la dialyse alors qu’elles sont plus nombreuses dans les cohortes au stade pré-dialyse. Il faut également une gestion particulière de la dialyse pendant les grossesses, ou encore prévenir une insuffisance rénale chez des patientes faisant des complications du type hypertension artérielle pendant la grossesse. 

S’il existe des différences entre l’homme et la femme, est-ce à dire que la prise en charge médicale/chirurgicale doit différer aussi ? 
Effectivement, les femmes sont moins bien traitées médicalement que les hommes avec les mêmes symptômes. Elles ont moins souvent des médicaments recommandés de type statines, qui font baisser le cholestérol ou encore des inhibiteurs de l’enzyme de conversion pour les artériopathes, qui sont de la famille des antihypertenseurs. Il faut être plus agressif dans le traitement médical de la pathologie cardio-vasculaire chez la femme, être plus incisif pour l’arrêt du tabac, entre autres. Au niveau pulmonaire, la prise en charge est également différente, notamment dans les cancers broncopulmonaires. Au niveau chirurgical, les artères des femmes sont d’un diamètre plus petit, ce qui gêne la navigabilité, mais entraîne surtout potentiellement plus de complications sur les sites opératoires ou de ponction quand on fait de la dilatation au ballon/ stent par exemple.

Outre ces pathologies affectant davantage les femmes, un autre thème de ce congrès sera une pratique médicale écoresponsable. Qu’est-ce que c’est ? 
Depuis quelques années, l’ensemble des pays et la plupart des individus ont pris conscience de la nécessité de faire preuve d’économie dans notre gestion de l’eau, de l’énergie et d’avoir une gestion circulaire des déchets. Ces efforts doivent concerner tous les domaines d’activité et les médecins doivent également s’y mettre. Cela commence par le tri des déchets souillés et à risque. On définira ce qui est à risque au niveau infectieux, et comment les gérer. 

On verra aussi comment, par des actions simples et une organisation différente, un cabinet médical peut devenir vertueux. Cela s’applique aussi au bloc opératoire ou aux salles interventionnelles, que nous utilisons au quotidien pour traiter nos patients. Cela passe alors par un meilleur tri, une économie au niveau des consommables et se poser la question d’utiliser ce qui est restérilisable plutôt que du matériel à usage unique. Finalement, on parlera de la télémédecine, on évaluera si elle est aussi écoresponsable que cela car elle implique l’utilisation d’énormes quantités d’énergie, ainsi que le stockage de données en très grande quantité. On aura la réponse dans l’après-midi du dimanche 30 octobre, juste avant une conférence sur la pollution et la pathologie cardio-vasculaire.

Pourquoi une conférence sur la gestion médico-juridique des violences intrafamiliales ? 
Au moment de faire ce programme, il y a six mois, ce n’était pas une question d’actualité. Par contre, depuis quelques semaines, il s’agit d’un sujet que nous retrouvons toutes les semaines à la une de la presse mauricienne, réunionnaise ou française. Outre la mise en danger physique et psychologique de nos concitoyennes, cette violence intrafamiliale est omniprésente et participe, mais aussi les conforte dans leur isolement. Pour gérer ce type de problème, il faut que les violences physiques et psychologiques fassent l’objet d’une expertise médicale réalisée par des médecins experts, qui servira l’intéressée au moment voulu. Il faut des mesures de protection et d’éloignement qui relèvent d’une décision juridique et qui seront mises en place par les forces de l’ordre (gendarmerie et police en France). Il faut pouvoir repérer ce type de violences, pouvoir les qualifier et ensuite aider les femmes et les enfants à s’en soustraire avec un soutien médical, psychologique, humain, financier et matériel. Ne l’oublions pas, les femmes sont dans une précarité financière plus importante que les hommes dans notre société actuelle.

Quelles sont vos attentes par rapport à ce 13e congrès de la VASCO ? 
Avant tout, il faut que ce soit un moment d’échanges entre les médecins des îles de l’océan Indien, Madagascar, Maurice et La Réunion réunissant médecins spécialistes et généralistes. C’est l’ADN même de ce congrès avec quatre sessions animées conjointement par les sociétés savantes de Maurice et de La Réunion en chirurgie endovasculaire et vasculaire, en cardiologie, en diabétologie et en néphrologie. Nous souhaitons faire prendre conscience aux professionnels de santé, mais aussi aux décideurs et à la population en général, de la spécificité féminine au niveau de la pathologie cardio-vasculaire et pulmonaire. Il faut souligner leur vulnérabilité médicale mais aussi économique et sociétale.