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Mᵉ Zubeida Salajee: «C’est mieux qu’un tribunal indépendant traite les plaintes contre la profession juridique»

25 octobre 2022, 19:00

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Mᵉ Zubeida Salajee: «C’est mieux qu’un tribunal indépendant traite les plaintes contre la profession juridique»

L’ancienne présidente de la Mauritius Law Society et «Senior Attorney» se dit en faveur du «Law Practitioners Disciplinary Bill». Faisant allusion aux expériences du passé, quand l’Ordre des avoués avait été appelé à se prononcer sur des plaintes contre ses membres, Mᵉ Zubeida Salajee trouve qu’il est mieux que les plaintes de la profession juridique soient traitées par un tribunal indépendant. «La procédure telle que prévue sous la ‘Law Practitioners Act’, voulant que les actions disciplinaires soient entendues devant trois juges, est pesante. Vu le nombre d’affaires qui sont toujours en suspens et dans l’attente d’une date pour être entendues, la Cour suprême n’est pas en mesure de nommer trois juges pour chaque affaire disciplinaire», fait ressortir la «Senior Attorney».

Vous étiez présidente de la Mauritius Law Society (MLS) quand lord Philipps présidait le «High Level Committee of Experts» et avait invité les trois corps de la profession juridique – avoués, avocats et notaires – à faire des suggestions sur «the institution and conduct of disciplinary proceedings against law practitioners». Pouvez-vous nous dire ce que le «Council» d’alors avait recommandé ? 
Oui, effectivement, j’étais la présidente de la MLS à l’époque (NdlR, en avril 2019). Après consultation avec nos membres et les délibérations du Council, nous avions recommandé la mise sur pied d’une commission pour enquêter sur les plaintes et, au cas où la commission allait trouver qu’il y avait un «prima facie case», alors elle allait référer le dossier à un tribunal. Nous avions également recommandé que la commission et le tribunal soient tous deux présidés par un ancien juge de la Cour suprême et que les membres soient composés d’un Senior Attorney, d’un Senior Counsel et d’un notaire. Nous avions aussi suggéré que ce ne soient pas les mêmes personnes qui siègent au sein de la commission et du tribunal.

Pourquoi pensez-vous qu’il est nécessaire d’avoir un corps indépendant pour enquêter sur les plaintes et prendre des actions disciplinaires contre les avoués et, par extension, les avocats et notaires, alors que jusqu’ici, les trois professions étaient «self regulated» ? 
Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, durant mon mandat de deux ans et trois mois, le Council que je présidais avait traité 146 plaintes, tenu 21 conciliation meetings – parfois avec les plaignants et les avoués simultanément et d’autres fois, en les rencontrant séparément, tour à tour –, sans compter les nombreuses réunions des Council Members pour examiner les plaintes et les explications des avoués. 

Il faut comprendre que les Council Members siègent sur le Council tout en exerçant leur profession d’avoué. En Angleterre, la présidence de la Law Society est un full-time job. Le président est logé et reçoit une rémunération durant son mandat. 

Les Council Members de la MLS ne peuvent pas consacrer le temps qu’ils auraient souhaité aux affaires de la société. Nous le faisons au détriment de notre vie professionnelle et sociale. Si j’avais le choix, j’aurais préféré consacrer plus de temps à promouvoir les intérêts des avoués et régler les problèmes auxquels ils ont à faire face tous les jours, plutôt que de prendre des actions disciplinaires contre mes confrères et consoeurs. 

Il faut aussi savoir qu’il y a environ 200 avoués qui sont enregistrés auprès de la MLS. Si on ne compte pas ceux qui ne pratiquent plus, ceux qui sont des in house/ corporate lawyers, ceux qui sont au Parquet, il ne reste qu’environ une centaine d’avoués dans la filière litiges qui se côtoient tous les jours. 

Il y a cette perception dans le public que la MLS protège ses membres et ne prend pas de sanctions contre eux. 75 % des plaintes sont – heureusement – non fondées et résultent d’une mauvaise communication entre avoués et clients ou une mauvaise compréhension du système judiciaire par les membres du public. 

Quand les avoués sont sanctionnés, nos confrères nous regardent d’un mauvais oeil et accusent les Council Members de régler leurs différends personnels entre eux-mêmes. 

Pire, durant mon mandat, un avertissement avait été émis contre un avoué, décision qui a été renversée en appel au cours d’une assemblée spéciale des avoués, et une suspension de trois mois avait été infligée à un deuxième avoué, sanction qui a été entérinée en appel au cours d’une assemblée spéciale des avoués. Il se trouve que ces deux avoués ne sont pas de la même confession religieuse que moi. Je sais que certains m’ont accusée d’être «communale» alors que les décisions ont été prises, pas par moi seule mais par la majorité des Council Members. 

La MLS n’a pas le pouvoir de forcer un témoin à venir déposer. Ce qui fait que le pouvoir d’investigation de la MLS est très limité. 

Les Council Members de la MLS n’ont aucune immunité, donc, ils ne sont pas à l’abri d’une action en dommages et intérêts par un avoué qui a été sanctionné. 

Dans le passé, certains hommes de loi ont été rapportés à la Cour suprême sous la section 18 de la Courts Act mais aucune sanction n’a été prise contre eux. Cela a suscité un sentiment d’invulnérabilité chez ces hommes de loi. 

La procédure, telle que prévue sous la Law Practitioners Act, voulant que les actions disciplinaires soient entendues devant trois juges, est pesante. Vu le nombre d’affaires qui sont toujours en suspens et dans l’attente d’une date pour être entendues, la Cour suprême n’est pas en mesure de nommer trois juges pour chaque affaire disciplinaire.

Que pensez-vous du rôle de l’Attorney General d’enquêter sur les cas de «gross misconduct» des membres de la profession juridique ? 
C’est déjà le cas. La Section 13 de la Law Practitioners Act prévoit que : 

(1) The Attorney-General may, either proprio motu or on receipt of a complaint under subsection (2), enquire into any act done by a law practitioner. 

(2) (a) Any person who is aggrieved by an act done by a law practitioner in the exercise of his profession may report the matter to the Attorney-General. 

Comme vous l’avez vousmême souligné, l’Attorney General ne pourra qu’enquêter mais pas sanctionner. Donc, si ce n’est pas nouveau, je ne comprends pas cette levée de boucliers.

Donc, vous êtes en faveur du «Law Practitioners Disciplinary Bill» ? 
Pour toutes les raisons que j’ai énumérées plus haut, je pense que c’est mieux que ce soit un tribunal indépendant qui traite les plaintes et prenne des sanctions contre les membres de la profession légale. Ceci étant dit, je pense que certaines provisions du projet de loi peuvent être améliorées. D’ailleurs, j’ai déjà soumis mes commentaires sur le bill au présent Council de la MLS.