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Projet de loi: les consommateurs de drogue ne seront plus passibles de poursuites

23 octobre 2022, 13:00

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Projet de loi: les consommateurs de drogue ne seront plus passibles de poursuites

Le consommateur de drogue n’est pas un délinquant mais un «malade» qui nécessite un traitement. C’est l’avis de plusieurs travailleurs sociaux. Dans cette optique, ne plus les poursuivre ou ne plus les mettre en prison pour des délits ayant un lien avec leur propre consommation de drogue est une excellente idée...

Le conseil des ministres a approuvé, vendredi 21 octobre, l’introduction du projet de loi sur le Dangerous Drugs (Amendment) Bill à Assemblée nationale. L’objectif principal est de modifier la loi sur les drogues dangereuses afin de mettre à exécution les recommandations de la Commission d’enquête sur le trafic de drogue (2018). Ainsi, lorsqu’une personne sera soupçonnée d’avoir commis une infraction liée à la drogue pour sa propre consommation, elle ne sera, sur recommandation du Directeur des poursuites publiques, pas poursuivie pour cette infraction, mais sera plutôt référée au Drug Users Administrative Panel. Après y avoir été orienté, l’usager de drogue sera dirigé vers la réhabilitation. 

Le projet de loi prévoit également des dispositions permettant à un patient d’être traité avec du cannabis médical lorsque celui-ci souffre de conditions thérapeutiques spécifiques et ces conditions thérapeutiques ont échoué à un traitement conventionnel. Un Medicinal Cannabis Therapeutic Committee sera mis en place dans chaque hôpital régional et déterminera, au cas par cas, si un patient a besoin de cannabis médicinal pour son traitement. L’utilisation, la délivrance et l’importation de médicaments à base de cannabis seront supervisées par le ministère de la Santé sous conditions très strictes. 

Par ailleurs, le Forensic Science Laboratory sera habilité, comme c’est le cas dans plusieurs autres juridictions, à analyser un échantillon de drogues dangereuses saisies plutôt qu’à analyser toutes les drogues saisies. En outre, la police sera dotée de pouvoirs élargis pour détecter les délits liés à la drogue et pourra, sur ordre d’un magistrat, détruire les drogues saisies plutôt que de les garder pour les produire au tribunal. 

Percy Yip Tong, membre fondateur du Collectif Urgence Toxida, qui a aussi siégé au High Level HIV & Drug Council, est d’avis que c’est une très bonne chose sur le papier mais qu’il faudra voir en ce qui concerne des centres de réhabilitation du pays qui sont actuellement débordés. Pour lui, il y a à peine 5 % de toxicomanes de Maurice qui y sont inscrits faute de place. «Nous avons toujours dit que la prison n’était pas la solution et qu’une fois que ces personnes-là étaient à nouveau libérées, elles étaient encore plus incontrôlables. Un usager de la drogue est une personne malade, il faut l’aider comme on aurait aidé un patient du diabète par exemple. C’est-à-dire lui donner l’accompagnement psycho-social qu’il faut.» Il explique que désormais, le gouvernement devrait faire une étude sur la réhabilitation afin de voir le taux de réussite mais aussi le taux d’échec. 

Une opinion partagée par José Ah-Choon, directeur du Centre d’Accueil de Terre-Rouge. Pour le moment, dit-il, il n’y a pas suffisamment de budget pour réhabiliter un maximum de personnes. «Il faudra donner plus de fonds pour pouvoir offrir plus de chances à tous dans le futur.» Pour lui, une bonne réhabilitation serait de pouvoir accompagner les usagers de drogue socialement mais aussi avec leur famille, renouer le contact qui s’est brisé entre la ‘victime’ et ses proches. Puis les réinsérer dans la société avec un suivi continu en prônant le «zéro produit». C’est-à-dire que ces ex-toxicomanes ne touchent plus à aucune autre drogue à l’avenir. 

Un grand pas en avant 

Danny Philippe, chargé de prévention à l’association Développement, rassemblement, information et prévention, confie également que c’est une décision qui est accueillie à bras ouverts. «Il faut soutenir ces toxicomanes, pas les punir. Mais il y a plusieurs modalités à voir pour le bon fonctionnement de cette mesure.» Comment se passera-t-il pour ces personnes qui consomment des drogues non addictives ou encore les mineurs de moins de 15 ans qui sont des consommateurs ? «Dans les deux cas nous avons vu que les rediriger vers des centres de réhabilitation ne servira à rien.» 

Ally Lazer, travailleur social, met, lui, en avant un mécanisme de contrôle. Oui pour ne pas les poursuivre une fois, mais si l’usager de drogue est envoyé en centre de réhabilitation et qu’il récidive par la suite en retombant dans l’enfer de la drogue, il faut qu’il y ait des actions en conséquence. «Pa bizin ki kumandir aster sa mesir la vinn enn esapatoir pou zot non pli.» Pour lui, ce sont les trafiquants qui doivent être envoyés en prison alors que les toxicomanes doivent, eux, bénéficier d’un traitement médical adéquat et un suivi psycho-social. 

Nous nous sommes aussi tournés à la police et les usagers de drogues eux-mêmes. La première nommée souligne, elle, qu’il y a une contradiction avec ce projet de loi. «Ce n’est qu’en les arrêtant et les poursuivant que l’on peut dans plusieurs cas, remonter aux trafiquants. Kuman li pou passé aster, nou bizin guet bann clauses ki pou accompagné ek sa.» En revanche, un toxicomane indique, de son côté, que c’est un grand pas en avant. Pour cet habitant de Ste-Croix, «lapolis fer tro boucou dominer ek ti droger. Bizin areté traite nou kuman criminel...» 

S’agissant du cannabis médical, les avis sont mitigés. Pour Percy Yip Tong, il faudra aussi parler du cannabis récréatif car cela aiderait à contrer le trafic de drogue et l’utilisation de la drogue synthétique alors qu’Ally Lazer parle de sa mise en application. «Le contrôle devra être plus que strict quand on voit comment est gérée la méthadone. Beaucoup de jeunes sont désormais dépendants de la méthadone, il faut veiller que cela ne se produise pas avec le cannabis médical. Nou bizin veyer ki sa pa vinn enn trafik.»