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Tous les liens tissés avec Constance Couronne, esclave déportée à huit ans

12 septembre 2022, 21:00

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Tous les liens tissés avec Constance Couronne, esclave déportée à huit ans

Une véritable épopée. Le fruit de quatre ans de recherches – et d’obsession – de Nicolas Couronne, pour retrouver tout ce qui le lie à Constance Couronne. Esclave née à Maurice, en 1834, elle est déportée à l’âge de huit ans en Australie. Elle y a eu 11 enfants et y est décédée en 1891.

Déclic et déceptions

Tout part d’un ami de Nicolas Couronne qui vit en France. Il lui envoie la photo d’une dame inconnue en 2018. «Je tombe des nues. Je vois les miens dans le visage de cette dame. Mo dir disan sa, péna baré.» Encore plus intrigant, cette dame «créole en costume anglais» porte le même nom de famille que lui : Constance Couronne. «Il y a un déclic.» Accentué par l’association de la région du sud de Maurice à Constance Couronne. «Ma famille est de Mahébourg. Mon grand-père a été pendant pratiquement un demi-siècle le sacristain de l’église Notre Dame des Anges. La famille a eu des terrains près de l’église, ce qui plus tard a occasionné des conflits», raconte Nicolas Couronne.

Sans filtre, il confie : «Nous sommes des créoles, mais je n’avais jamais pensé que j’avais de la famille esclave. Pour moi, l’esclavage, c’était encore plus bas dans la société.»

Son intérêt piqué à vif par la seule photo et le nom de Constance Couronne, il entame des recherches. Lors d’une commémoration de l’abolition de l’esclavage, il en profite pour demander si les sommités présentes sont au courant qu’il y a eu des esclaves déportés en Australie. «C’est Satyendra Peerthum (NdlR, historien de la Research Unit de l’Aapravasi Ghat Trust Fund) qui est venu me voir après. Il m’a mis en contact avec la professeure Clare Anderson de l’université de Leicester.» En 1995, Clare Anderson était à Maurice pour travailler sur les «136 condamnés, dont des esclaves, des Indiens et des Anglais déportés en Australie entre 1825 et 1845. C’était sa thèse de doctorat».

Enthousiaste, l’universitaire «m’a dit que cela faisait longtemps qu’elle cherche quelqu’un qui serait lié à Constance Couronne». Elle guide Nicolas Couronne dans ses recherches en lui fournissant les références des documents à trouver aux Archives nationales. «Sinon, pauvre de moi, n’ayant jamais fait ce type de recherches, où est-ce que j’aurais été ?» Il lit aussi – sous la direction de l’universitaire – tout ce qu’il trouve sur Internet.

Plus tard, il s’enrichira de livres offerts par l’une des d e s c e n d a n t e s australiennes de Constance Couronne : Fom the edges of empire de Lucy Frost et Colette Mc Alpine, ainsi que Convicts capitalist and corruption de Kate Gadsby. Des ouvrages qui consacrent des chapitres à Constance Couronne. Sans oublier Gumfat, un document réalisé par la famille de Trudgett, descendante de Constance Couronne.

Une histoire de résilience

«Dans la famille, on dit que je suis obsédé par cette histoire. Tous se sont moqués de moi, mais cela ne m’a pas découragé», sourit Nicolas Couronne. Constance Louisa Couronne est née le 18 juin 1824. «Son histoire porte un message à tous ceux qui triment. C’est une histoire de résilience.»

Le grand-père de Constance Couronne, Lindor, figure dans le recensement de Maurice de 1826 et 1832. «Lindor est d’origine indienne.» Le recensement parle d’Adèle, «créole de Maurice», qui est la fille de Lindor. «On ne parle pas de la femme de Lindor.» Adèle est la mère de Constance. «Le recensement ne mentionne pas son mari, mais ses quatre enfants : Belonie, Théophile, Constance et Julie.»

Le recensement montre que le maître de cette famille d’esclaves est Henri Isidore Morindelasablonnière. «L’orthographe du nom varie selon les documents. Au début, c’est un seul mot ensuite plusieurs.»

Constance, huit ans, et sa cousine Elizabeth Verloppe, 12 ans, sont envoyées chez madame Morel pour apprendre la couture. Mais la dame aurait maltraité les deux enfants. Au point où celles-ci auraient tenté de l’empoisonner en lui faisant boire un thé mélangé à des herbes.

La professeure Clare Anderson, historienne de l'Université de Leicester, a été d’une aide précieuse en fournissant les références des documents disponibles aux Archives nationales.

Nicolas Couronne a retrouvé tous les documents du procès, grâce aux descendants australiens. «Dans sa déposition, Elizabeth Verloppe indique que c’est Constance qui lui a dit d’ajouter quelque chose au thé et que c’est Elizabeth qui l’a servi à Madame Morel.» Après l’avoir consommé, Madame Morel se sent mal, fait venir le docteur Cox qui confirme qu’il y a eu tentative d’empoisonnement. «Malgré leur jeune âge, les deux enfants, Constance, huit ans, et Elizabeth, 12 ans, restent en détention provisoire pendant un an, entre 1832 à 1833.»

Les deux enfants sont jugées à Port-Louis en 1833. «On avait peur que cela donne des idées à d’autres. C’est sans doute pourquoi la sentence est aussi dure.» Constance Couronne et Elizabeth Verloppe sont condamnées à la déportation à perpétuité.

Nouveau choc pour Nicolas Couronne. Une lettre du Colonial Secretary datée du 28 septembre 1833 indique que la sentence des deux filles est d’être envoyées à Robben Island, en Afrique du Sud, ce qui servira d’île-prison à Nelson Mandela plus d’un siècle plus tard. «C’est un élément qui montre à quel point on ne connait pas notre histoire.»

Les deux enfants échappent à Robben Island à cause de leur jeune âge et sont envoyées à New South Wales, en Australie, qui est alors une colonie pénale. En 1834, elles embarquent à bord de The Dart avec deux autres prisonniers mauriciens et une cargaison de sucre. «En Australie, Constance qui ne parle pas anglais, qui est noire, aura de la chance.»

Direction la Paramatta Female Factory, «qui est aujourd’hui un musée». Sur place, le directeur de cette prison est «touché» par leur sort. «Il décide qu’elles travailleront à son domicile, pour sa fille de 19 ans, Marcia.» Marcia Wilson crée des liens «très forts» avec les deux enfants. Quand Marcia Wilson se marie dans la famille Flynn, Constance Couronne l’accompagne. «Henry Wilson adresse des demandes de pardon pour que Constance et Elizabeth puissent rentrer à Maurice. Mais les Anglais n’ont jamais accepté.»

À 16 ans, Constance Couronne rencontre un prisonnier britannique, Robert Trudgett, qui travaille chez les Flynn. «Il avait été condamné et déporté en Australie pour vol.» Constance et Robert Trudgett ont eu 11 enfants. Elle est sage-femme et «devient un personnage connu de sa région». Elle meurt à 67 ans, en 1891.

Désaccord avec les descendants australiens

Nicolas Couronne prend contact avec les Trudgett, descendants australiens de Constance Couronne. «J’ai trois choses en ma faveur : le même nom, les ressemblances physiques et la région du sud de Maurice. Jusqu’à présent c’est tout ce que j’ai. Je ne sais pas encore quel est mon lien de parenté avec Constance Couronne.»

Photo non datée de Constance Couronne et son acte de condamnation pour tentative d’empoisonnement.

Première réaction de certains descendants australiens : «Yes, there is the same bone structure.» Mais, pour d’autres, il existe un désaccord fondamental. À 16 ans, quand Constance épouse Robert Trudgett, «elle ne dit pas qu’elle s’appelle Couronne, mais de la Sablomière, pas de la Sablonnière, du nom de son ancien maître.»

Nicolas Couronne se réfère aux documents du procès qui dit : «Constance au sieur de la Sablonière». Il y a aussi un document non authentifié qui circule sur Internet qui parle de la reconnaissance de Constance Couronne par Morin de la Sablonnière. Selon ce document non authentifié, le sieur de la Sablonnière aurait donné le titre de vicomtesse Gaton à Constance Couronne, mais sans lui donner aucune terre, ni ressources financières. «Koumansman mo rant dan siro, mo krwar. Je suis fier d’avoir pour une vicomtesse pour lointaine parente», raconte Nicolas Couronne.

Mais vient le temps de la réflexion. Le père supposé de Constance Couronne, monsieur de la Sablonnière a une fille légitime qui se marie dans la famille De Rochecouste, propriétaire du Château de Riche-en-Eau. «Qui est le propriétaire qui reconnaît une enfant esclave en 1826, dans un tel contexte alors qu’il est allié à une famille renommée, les Rochecouste ? Pour moi, c’est une histoire inventée par des Australiens pour ‘whitewash’ Constance Couronne.»

Une thèse appuyée par Cassandra Phoebus, historienne, selon qui le titre de noblesse Gaton n’existe pas. «Mais une partie des descendants australiens croit mordicus dans ce mythe d’une filiation française. C’est vrai qu’il y a eu des viols des femmes réduites en esclavage par les maîtres. Il est tout à fait possible que Constance Couronne soit issue d’un tel viol. Mais pour qu’un propriétaire reconnaisse cela sur papier, sa péna simé», clame Nicolas Couronne.
 

 

Parcours

<p>Linley et Rodolphe sont les deux frères aînés de Nicolas Couronne. Il a été élève du Collège Royal de Curepipe. Il a eu une carrière de 33 ans chez Air Mauritius et a terminé comme Grounds operations supervisor. <em>&laquo;Ma vie c&rsquo;était le ventre des avions.&raquo;</em> Il décide de partir à 53 ans, en 2016. L&rsquo;année suivante, il devient le manager du collège Saint-Esprit de Rivière-Noire.</p>

<p><strong>Test ADN </strong></p>

<p>Nicolas Couronne a investi Rs 18 000 et attendu plusieurs mois (sans parler des longues procédures) dans un test ADN, réalisé en Amérique. Cela a été fait en 2022. Le test montre notamment une filiation indienne.</p>