Publicité

John Onaiyekan, cardinal: «C’est insuffisant d’avoir des objectifs à court terme pour remporter les prochaines élections»

9 septembre 2022, 17:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

John Onaiyekan, cardinal: «C’est insuffisant d’avoir des objectifs à court terme pour remporter les prochaines élections»

Lauréat du Prix de la Paix de Pax Christi et nommé au Prix Nobel de la Paix en 2012, le cardinal John Onaiyekan, archevêque d’Abuja au Nigeria depuis 1994, était à Maurice jusqu’au 8 septembre. Son Eminence était l’invité d’honneur du 20e congrès de l’Association Panafricaine des exégètes catholiques (APECA) qui se tient au Foyer de l’Unité à Souillac. Au centre des discussions : la contribution des biblistes africains à l’écologie. Comment l’Église peut-elle changer la cause environnementale ? Quelles mesures s’imposent à Maurice ?

Quels sont les objectifs de votre visite à Maurice ?
Ce n’est pas la première fois que je viens à Maurice. Il y a quelques années, j’étais dans l’île pour une réunion du Standard Committee du Symposium of Episcopal Conferences of Africa and Madagascar (SECAM). En 2022, je participe à ce congrès qui se tient normalement à intervalle de deux ans. Pour la présente édition, nous avons opté pour l’écologie. Le monde entier en parle actuellement. D’ailleurs, il y a un impact sur l’Afrique. Le changement climatique et la dégradation de l’environnement sont des enjeux capitaux liés à la justice sociale comme mentionné par le prophète Amos. Le 6 septembre, j’ai rendu visite au Premier ministre de Maurice avec le cardinal Maurice Piat. Les échanges étaient fructueux. L’objectif est de déterminer la contribution que l’étude biblique peut avoir sur les idées par rapport à l’écologie. Le chef du gouvernement mauricien a montré son intérêt.

En 2019, le précédent congrès se tenait à Abuja, chez vous justement au Nigeria. Quelles en sont les retombées trois ans plus tard ?
Premièrement, les répercussions se ressentent sur chacun des participants. Deuxièmement, nous ne venons pas avec un message préemballé. En fait, après chaque édition du congrès, nous produisons une publication avec les retombées des discussions. Cela nous aide pour définir des directions à prendre par rapport à la thématique abordée.

Il y a deux ans, Maurice a été secouée par le déversement de fioul après le naufrage du «MV Wakashio». Les problèmes environnementaux sont considérables. Quelles mesures s’imposent ?
Le déversement de carburants résulte d’une erreur humaine. Les responsables de navires transportant des huiles lourdes savent que la prudence est de mise dans ce type d’opérations et lors de leur navigation, de par le risque de danger qu’une fuite entraînerait sur l’environnement.

Quant aux autres problèmes écologiques dont le réchauffement climatique, les émissions d’hydrocarbures, l’usage du plastique, l’élimination des déchets, les scientifiques ont déjà clairement dit qu’il nous faut agir. Par conséquent, les politiciens, qui sont des policy makers, ont pour défi de prendre les bonnes décisions dans ce contexte. Ce n’est pas toujours facile pour eux comme ils sont élus pour quelques années et veulent faire plaisir à leurs mandants. Il n’est pas évident de prendre des mesures de réduction de la consommation, sur un environnement sain ou encore de comptabiliser les coûts des groupes industriels. Les politiciens voudront propulser le nombre d’usines qu’ils ont permis d’implanter sur le devant de la scène mais personne ne s’interroge sur le type d’industries, de déchets qu’elles produisent et encore moins sur leurs lieux de déversements. Les politiciens ne s’aventurent pas sur de tels aspects.

Comment l’Église peut-elle changer la donne à ce niveau ?
Notre travail s’aligne sur celui de la société civile et des groupes de pression, c’est-à-dire de créer la conscientisation ainsi qu’un plaidoyer sur ces enjeux environnementaux auprès des dirigeants. En se basant sur les preuves scientifiques, il est du devoir de la société civile, entre autres organisations, de rappeler systématiquement ces enjeux environnementaux. Nous devons nous en assurer pour un meilleur futur ainsi que pour les prochaines générations. Nous vivons tous dans une demeure commune. De ce fait, personne n’a le droit de détruire ce foyer commun qu’est notre Terre. Puis, tous ceux qui le détruisent, doivent agir et inverser cette situation. Et ce, aussi bien en termes politiques et qu’économiques. Les pays sujets à de gros producteurs industriels doivent les responsabiliser pour qu’ils remédient aux dégâts causés à l’environnement. Par exemple, on ne peut juste déverser des choses dans la mer, ce qui affecterait Maurice et tout au long de l’Afrique.

D’ailleurs, nous observons souvent plus de promesses écologiques plutôt que d’actions étatiques…
Cela relève de la nature humaine. On sait ce qu’il faut faire mais peu de gens finissent par produire du concret. Cela ne vient pas que du gouvernement. De telles choses se produisent aussi bien dans la vie personnelle. C’est là qu’un bon leader trouvera le moyen de s’assurer que ses décisions sont vraiment prises pour le bien de son peuple, sur son bien-être à long terme. C’est insuffisant d’avoir des objectifs à court terme seulement pour remporter les prochaines élections. Un bon politicien ne visera pas uniquement les prochaines élections mais plutôt le futur de la nation. Il faut donc que des voix s’élèvent pour les conseiller. Aussi, les leaders religieux, qui représentent la société civile, peuvent produire les messages requis et interreligieux aux politiciens. Il est de notre responsabilité de ne pas nous murer dans le silence mais de faire des rappels aux dirigeants sur les besoins du peuple. Parallèlement, les leaders religieux ne sont pas là non plus pour plaire aux dirigeants. Je ne vais pas parler de corruption mais plutôt d’entretenir de bonnes relations avec ces derniers. Ce n’est pas tout d’avoir la critique facile mais en même temps, si on ne les critique pas, qui le fera ?

Pendant des décennies, l’Église était conservatrice et rétrograde. Désormais elle s’ouvre davantage au dialogue en particulier sur l’écologie. Pourquoi ce changement ?
La religion implique qu’on écoute la voix de Dieu. Les temps changent. Je pense que Dieu en donne la directive. Bien évidemment, l’Église change aussi avec des messages œuvrant pour le bienfait de l’humanité. Parler d’écologie et de réchauffement climatique en fait partie. Avant, personne n’en parlait comme un enjeu sérieux. Maintenant, on comprend que l’Église, les temples et mosquées, entre autres, ne peuvent ignorer les impacts écologiques. La politique doit réaliser que les organisations religieuses possèdent des contacts réguliers avec le peuple. Nous incarnons la voix entre les dirigeants et les citoyens. C’est une position privilégiée. Un bon leader religieux saura utiliser cette facilité.

Parlons de paix à présent. Comment la restaurer entre les communautés locales, surtout les politiques qui s’entrechoquent dès la moindre polémique verbale ?
Sur le plan local, je dirai que la plupart des gens sont raisonnables. En considérant le Nigeria, notre population est de 220 millions d’habitants. Celle-ci est composée d’environ 100 millions de chrétiens cohabitant avec environ 100 millions de musulmans. Et cette cohabitation se fait dans une multitude de situations, notamment au travail, au marché entre autres. Mais dans certains cas, quelqu’un peut avoir des propos ou agir d’une manière qui cause des perturbations. Il faut être vigilant et développer des «early warning signs» pour contrer ce risque. Mais cela provient d’une minorité, qui peut toutefois faire du tort aux communautés. Maintenant, il faut identifier la source du problème et qui peut intervenir. Dans cette optique, un leader de la même religion aurait de meilleures chances de raisonner la personne dissidente. Nous avons réussi dans divers cas.

Et sur le plan international avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
Historiquement, nous avons été témoins d’activités d’organisations terroristes, AlQuaïda, les talibans etc. La présente guerre globalisée entre la Russie et l’Ukraine symbolise une opportunité pour atteindre la paix mondiale. La guerre va au-delà de ces deux nations mais concerne les continents. D’ailleurs, les pays soutenant l’Ukraine sont également pris en grippe. Il est dommage qu’en 2022, un tel conflit se produise en Europe. Les impacts sont multiples. Par exemple, mondialement, cela a affecté l’approvisionnement alimentaire. Ce conflit n’aide personne. Chaque parti en souffre. Il faut que cela cesse pour que la vie puisse continuer. C’est là que les politiciens entrent en jeu, poursuivant leurs objectifs, mais négligent les implications. La meilleure solution est d’atteindre la paix. Le monde a subi de nombreuses guerres. Ne faudrait-il pas s’asseoir et utiliser son énergie à bon escient au lieu de sacrifier des milliers de vies ? Combien ont perdu leurs proches ? Tout cela doit cesser.