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Chagos: excision d’hier, divisions d’aujourd’hui

5 septembre 2022, 15:00

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Chagos: excision d’hier, divisions d’aujourd’hui

L’archipel des Chagos a-t-il été vendu ou pas ? Les documents historiques ont été déclassifiés, mais les points de vue sont divergents. Cela s’est vérifié le vendredi 2 septembre lors de la conférence «À table avec…» au Labourdonnais Waterfront Hotel. Au pupitre : Milan Meetarbhan, avocat spécialiste de la Constitution, ancien ambassadeur de Maurice auprès des Nations unies, chargé de cours à la Sorbonne International School of Law. Il a défendu son interprétation dans un exposé intitulé «La Constitution mauricienne, genèse et perspectives». Dans l’assistance, Jean Claude de l’Estrac, journaliste, auteur de «L’an prochain à Diego…», ancien ministre des Affaires étrangères ayant présidé le «select committee» chargé d’enquêter sur l’excision des Chagos (1983), lui a donné la réplique.

SSR: «Diego, it’s a detail» 

Là où les deux intervenants sont d’accord : la question chagossienne n’a pas été discutée au cours de la conférence constitutionnelle de 1965 à Lancaster House, mais en marge de celle-ci. L’avocat spécialiste de la Constitution a expliqué que les documents historiques montrent que le Premier ministre britannique de l’époque, Harold Wilson, a fait comprendre au Dr Seewoosagur Ramgoolam qu’il pourrait rentrer avec l’indépendance du pays s’il donnait son accord à l’excision des Chagos. Au cas contraire, cela pourrait retarder l’accession à l’indépendance. 

Milan Meetarbhan a ajouté que les documents montrent aussi que les ministres mauriciens de l’époque ont donné leur «accord formel». Alors que pour Jean Claude de l’Estrac, «ce qui s’est réellement passé», c’est qu’une note a été envoyée à Wilson lui disant qu’il «faut faire craquer le vieux bonhomme. Les Mauriciens sont en train d’ouvrir leur grande gueule, il faut qu’ils rentrent dans les rangs rapidement ». Il a précisé que les documents l’attestant sont déclassifiés depuis 1995. «J’ai vu la note.» 

Le journaliste, auteur, ancien ministre des Affaires étrangères a ajouté que c’est là que Wilson dit à SSR qu’il peut rentrer à la maison soit avec l’indépendance, soit sans. Et qu’il fallait régler la question de Diego, même si cela ne faisait pas partie des discussions constitutionnelles. Jean Claude de l’Estrac a affirmé : «Ramgoolam a répondu – c’est verbatim dans les minutes du tête à tête Wilson-Ramgoolam – 'Oubliez Diego. Diego, it’s a detail'.»

Amendements à la constitution renvoi des élections générales possible ou pas ? 

Autre sujet abordé lors de la conférence : les amendements à la Constitution. Jean Claude de l’Estrac a souligné qu’il y a «au moins un amendement à la Constitution qui va nous servir par les temps qui courent. On va se rendre compte à quel point le gouvernement de 1982 a été bien inspiré de faire amender la Constitution pour quasiment empêcher le renvoi des élections. Je pense que les tentations auraient été là». 

Milan Meetarbhan a alors exprimé son «désaccord total» avec ce point de vue. Si cet amendement est bien une «avancée», il a déclaré que «c’est très facile et tout à fait possible pour un gouvernement détenant une majorité de trois quarts de modifier la disposition introduite dans la Constitution en 1982, qui prévoit la tenue d’un référendum. La Constitution peut être modifiée de la même manière qu’elle a été introduite, c’est-à-dire avec un vote d’une majorité de trois quarts». 

Selon lui, une réforme électorale devrait assurer une «meilleure corrélation» entre le vote populaire et le nombre de sièges à l’Assemblée nationale. Mais aussi «s’assurer qu’aucun gouvernement ne puisse à lui seul modifier la Constitution. Quand les pères fondateurs ont prévu l’obligation d’une majorité de trois quarts pour modifier la Constitution, à l’époque, on imaginait mal un gouvernement 60-0. On pensait qu’il fallait consensus avec l’opposition pour avoir la majorité requise. Or, depuis 1982, on a vu qu’il est possible pour un gouvernement seul d’avoir cette majorité».

Archipel vendu ou pas ?

Pour Milan Meetarbhan, en termes juridiques, «on ne peut pas parler de vente. Les Britanniques ont toujours maintenu que les Chagos leur appartiennent depuis 1810. On ne peut vendre aux Britanniques ce qui selon eux, leur appartient déjà». 

Selon l’avocat spécialiste de la Constitution, il est aujourd’hui «évident» que la raison pour laquelle le gouvernement britannique a insisté sur un accord formel des ministres mauriciens de l’époque – alors qu’il n’était pas tenu de le faire –, c’était pour éviter «d’avoir à affronter les Nations unies sur la décision de détacher les Chagos de Maurice». Remis dans le contexte, cela nous plonge au coeur des débats sur la décolonisation des années 1960. 

Lui donnant la réplique, Jean Claude de l’Estrac a souligné qu’au moment du versement des 3 millions de livres sterling de compensation, «il a fallu déclarer cet argent dans les comptes de Maurice». Ce qui, dans les documents de l’Accountant General, porte le libellé «sale of Diego Garcia». «Il n’y a pas de discussion possible sur cette question. Du point de vue des Britanniques, ils ont acheté, ont payé et Maurice a reconnu avoir obtenu cet argent en contrepartie d’une vente.» 

Milan Meetarbhan a alors ironisé : «L’ Accountant General n’avait de formation en droit constitutionnel ou en droit international. Ce n’est pas cette mention qui détermine le statut juridique.» Il a maintenu que les Anglais ne pouvaient pas acheter ce qui leur appartenait déjà. 

L’homme de loi a ajouté que Ramgoolam a demandé un bail, «au lieu d’une excision. Cela a été refusé par les Amér icains. Ils ont dit aux Britanniques qu’ils n’étaient pas prêts à accepter cela». 

Le conférencier a également expliqué qu’au moment où les Mauriciens ont vu que ce n’était pas possible d’éviter l’excision, «Ramgoolam a exigé que le détachement se fasse sous certaines conditions. Ce sont ces conditions qui ont conduit le tribunal international sur le droit de la mer a statué sur l’illégalité de la création de la Chagos Marine Protected Area» en 2015.