Publicité

Démission d’Ameenah Gurib-Fakim - Lettre «anonyme» de Ken Arian: lire entre les lignes

14 août 2022, 19:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Démission d’Ameenah Gurib-Fakim - Lettre «anonyme» de Ken Arian: lire entre les lignes

C’était il y a plus de quatre ans. La présidente démissionnait dans le sillage du scandale «Platinum Card». Depuis, il y a eu une commission d’enquête annoncée par le Premier ministre. Puis, il y a quelques jours, apparaissait une lettre «anonyme»…

Le 23 mars 2018, Ameenah Gurib-Fakim quittait la présidence du pays dans le sillage du scandale Platinum Card. Le même jour, Pravind Jugnauth, en conférence de presse, annonce la mise sur pied d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur toute cette affaire. Dans la foulée, il fait référence à «une lettre anonyme» et une enquête de l’Independent Commission against Corruption (ICAC). Quatre ans plus tard, cette missive anonyme revient hanter les proches du pouvoir…

Crise au sommet de l’état

La saga débute le 28 février 2018. L’express publie les relevés bancaires d’une carte de crédit Platinum émise par Planet Earth Institute et mise à la disposition de la présidente de la République. La carte devait être utilisée pour le financement de programmes de bourses d’études. Cependant, dans son autobiographie, Ameenah-Gurib-Fakim fait ressortir que cette carte était «linked up to the Advocacy programme and NOT scholarship funds». Toujours est-il qu’à plusieurs reprises, elle a été utilisée pour diverses dépenses personnelles. Le même jour, elle appelle Maneesh Gobin pour un conseil légal, mais ce dernier répond qu’il est occupé. «When you think the president is calling the AG and the AG is too busy to attend, you ask yourself what he is doing …)» Pendant ce temps, l’opposition monte au créneau et présente une motion de blâme contre la cheffe de l’État.

Si, en soi, l’utilisation de la carte n’était pas illégale, ce qui a fait basculer toute cette affaire du côté obscur, ce sont les liens de la présidente avec le milliardaire angolais hautement controversé, Alvaro Sobrinho. Durant les jours suivants, les choses se corsent. Ivan Collendavelloo tente tant bien que mal de défendre la présidente et cette dernière, quelques jours après que l’affaire a éclaté, remet en doute l’authenticité des documents. Sur les conseils d’Ivan Collendavelloo, apprendra-t-on par la suite. La crise s’accentue. Le 7 mars, lors d’un lancement de livre à la State House, aucun ministre ne répond présent sauf Ivan Collendavelloo. D’ailleurs, les liens entre ce dernier et Alvaro Sobrinho commencent à faire surface.

Les festivités entourant les 50 ans de l’Indépendance du pays approchent alors. Il y a de l’électricité dans l’air. La tension entre le chef du gouvernement et la cheffe de l’État est palpable à chaque fois qu’ils se voient en public. Le 9 mars, Pravind Jugnauth annonce le départ d’Ameenah Gurib-Fakim. Le 12 mars, lors du banquet officiel, alors qu’elle est toujours là, une entorse au protocole est faite à la demande du Premier ministre afin qu’il ne soit pas assis aux côtés de la présidente. Le lendemain, aucun membre du gouvernement n’est présent à la State House pour la traditionnelle Garden-Party, une première dans l’histoire. Le 14 mars, Pravind Jugnauth annonce qu’Ameenah Gurib-Fakim a confirmé qu’elle partirait le lendemain. Le même jour, un communiqué de la présidence dément la nouvelle. Le 16 mars, le Conseil des ministres décide de mettre sur pied un tribunal pour destituer la présidente. Un peu plus tard, coup de tonnerre. Ameenah Gurib-Fakim annonce la mise sur pied d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur les investissements d’Alvaro Sobrinho à Maurice et les exercices de «due diligence» des autorités et institutions pour ses investissements entre autres. Le Premier ministre parle alors de viol de la Constitution. Le lendemain, il est annoncé que la présidente partira le 23 mars…

La lettre anonyme signée Ken Arian

Ce jour-là, Pravind Jugnauth tient une conférence de presse, et c’est là que la lettre anonyme est évoquée pour la première fois. Mais avant, il explique qu’il y aura une commission d’enquête instituée par la présidente elle-même, de son propre chef. L’affaire Sobrinho n’en fera pas partie. Pourquoi ? Ce volet, dit-il, sera confié à l’ICAC. Et c’est là que la lettre anonyme entre en jeu.

«Monn gagn enn let dénonsiasyon kinn fer enn séri alegasion. Séki monn fer, monn refer sa let la toutswit a l’ICAC», avait lancé Pravind Jugnauth. Quelques jours après, il mentionnera une nouvelle fois la mystérieuse missive à l’Assemblée nationale. Il avait alors fait savoir qu’il allait la rendre publique, mais cela n’a jamais été fait. D’ailleurs, cette enquête a rejoint la multitude d’autres qui sont en souffrance en ce qui concerne cet épais dossier brûlant.

De plus, Ameenah Gurib-Fakim avait expliqué que lors de ses convocations à l’ICAC, elle n’a pas été interrogée sur cette affaire. Mais elle a souvent fait référence à cette lettre, qu’elle n’avait visiblement jamais vue jusqu’il y a quelques jours. «(…) The infamous anonymous letter that had highlighted my ‘wrongdoings’ while in office (that no one has seen including myself and yet I have been accused, judged and sentenced on same) that the PM was sent and which served as basis for my removal from office», avait-elle écrit le 7 février, pour rappeler que cela fait des années que les travaux de la commission d’enquête ont pris fin et que les conclusions se font toujours attendre. Plus récemment, lorsqu’une lettre anonyme dénonçant les agissements du chairman de l’Information and Communication Technologies Authority, Dick Ng Sui Wa – notamment l’affaire «rice cooker» –, avait fait surface et que ce dernier avait refusé d’y accorder de l’importance, Ameenah Gurib-Fakim avait fait ressortir que «one President of the Republic was forced to resign on an anonymous letter that allegedly decried her misdeeds and yet… hmmm… She NEVER saw that infamous letter!..»

Il n’y a pas que l’ancienne présidente qui a parlé de cette lettre. Déjà, en 2020, Navin Ramgoolam avait, lors d’une conférence de presse, évoqué les liens entre Ken Arian et la missive de la discorde. Il rappelle que celle-ci a fait surface après la commission d’enquête sur Alvaro Sobrinho annoncée par la présidente. «Mo demann Pravind Jugnauth al demann so Attorney General Maneesh Gobin, al demann Ken Arian, so mam kolé, al demann zot sipa banla kapav éklersi li lorla. Kot sa let anonim la sorti…»

C’est durant la semaine écoulée que les secrets de cette mystérieuse lettre ont été révélés. Il a été établi que Ken Arian, alors conseiller au Prime Minister’s Office (PMO), en serait l’auteur. La question qui se pose désormais: quel était le but de tout cela ?

Les raisons d’être de la missive

Lorsque l’existence de la lettre est évoquée par Pravind Jugnauth pour la première fois le 23 mars, Ameenah Gurib-Fakim est déjà partie de la State House. D’ailleurs, la lettre elle-même est datée du 20 mars, date à laquelle la démission était déjà annoncée. Quelle était alors l’importance de cette missive ? Était-ce pour mettre un terme à toutes les autres investigations sur Alvaro Sobrinho et ses liens avec des membres de la majorité gouvernementale ? Fort probable, répond un légiste. C’est une habitude de se cacher derrière une enquête en cours pour ne pas répondre aux interrogations. Donc, après les terms of reference de la commission d’enquête instaurée par Ameenah Gurib-Fakim, confier tout ce volet à l’ICAC afin d’éviter de répondre aux questions qui embarrasseraient potentiellement des membres du gouvernement serait l’une des explications. Et le moyen le plus simple de confier cette affaire à la commission anti-corruption était… une lettre anonyme.

Il y a aussi des proches du PMO de l’époque qui affirment qu’après la présidente, la cible était Ivan Collendavelloo. Une bonne partie de la lettre questionne le rôle des «hommes d’affaires, membres parlementaires (sic), ou fonctionnaires» qui ont bénéficié des largesses d’Alvaro Sobrinho. D’ailleurs, l’adjoint au Premier ministre a finalement été révoqué après que son nom a été cité dans un rapport de la Banque africaine de développement, dans l’affaire de la centrale St-Louis. Ou «enn tibout papié», comme le dit l’ancien no 2 du gouvernement lui-même...