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Crimes et agressions: quand la famille vole en éclats

13 juillet 2022, 17:38

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Crimes et agressions: quand la famille vole en éclats

«Nou tou lé dé inn fer plan pou touy li…» C’est ce qu’a déclaré Muhammad Usaamah Allumsaib aux enquêteurs. Cet homme de 32 ans a avoué l’assassinat de son cousin, Afzal Subdar, 31 ans, commis à Pailles. Ce crime a été commandité par Muniirah Bibi Areefah Mukada, 22 ans, la femme de la victime… Le suspect entretenait une liaison avec elle. Un meurtre que ces deux proches d’Afzal Subdar ont avoué. 

Parallèlement, la violence a aussi sévi à Résidence La Cure il y a quelques jours. Olivia Olivier, 61 ans, a été poignardée par son fils de 33 ans. Steve Olivier, le présumé agresseur, est connu des services de police pour des délits de drogue. Le 8 juillet, un jeune homme de 25 ans a agressé et tenté d’étrangler sa maman de 57 ans, à 16e Mille. Constat dès lors : la cellule familiale et les valeurs partent à vau-l’eau. 

Selon Statistics Mauritius, entre 2020 et 2021, Maurice a connu une hausse du nombre de victimes d’homicides volontaires, de tentatives d’homicides volontaires, d’homicides involontaires, d’agressions ainsi que de violences et d’exploitations sexuelles. Les chiffres concernant ces délits atteignaient 9 781 en 2021, contre 9 685 en 2020. La proximité avec les agresseurs est clairement établie… et même en progression. À ce titre, en 2020, 4 815 victimes étaient en relation avec leurs assaillants. En 2021, ce nombre est passé à 4 989, avec une augmentation significative des agressions et violences sexuelles. De plus, 34,1 % des victimes de délits de ce type ont des liens de parenté avec les agresseurs. 

Ce sont là des indicateurs démontrant que la famille mauricienne s’engonce davantage dans la violence. Face à cette escalade, risque-t-on, par exemple, de s’isoler de ses proches pour mieux s’en protéger ? Est-ce que le «chacun pour soi» primera plus que jamais ? Le sociologue Ibrahim Koodoruth constate une montée considérable de l’individualisme, car paradoxalement, la cellule familiale est le lieu où l’on est le moins protégé. «Les valeurs à l’égard des aînés et autres proches n’existent pratiquement plus. On est bien plus centré sur soi et on cherche à subvenir à ses besoins, pulsions et ambitions sans considération pour les autres. Voilà où nous en sommes aujourd’hui…» 

De plus, le cadre juridique doit être revu puisque les conditions de vie des Mauriciens ont changé, dit-il. À l’exemple des lois sur la violence domestique qui prévoient interventions et sanctions lorsque l’acte est commis sous le même toit. «Mais ces délits peuvent être perpétrés même si les conjoints n’habitent la même maison. Il faut intégrer ces réalités aux lois.» 

Tout comme la drogue, le jeu, entre autres addictions, aggrave la situation. Du coup, les proches des individus dépendants risquent-ils de se détourner d’eux pour contrer les agressions physiques, vols de pensions, entre autres ? «C’est tout à fait vrai ; cela va dans les deux sens. En sus de la drogue, on a normalisé cette pratique de jouer et gagner. Matin, midi et soir, on vous raconte des histoires de jackpots. Et quand vous ne le décrochez pas ou si vous n’avez pas d’argent, quelles sont les implications ? On n’en parle pas. Il faut tirer la sonnette d’alarme car tout le monde est pris dans cette spirale», fait valoir le sociologue. 

Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association, concède qu’il y a une récurrence de violence envers les membres de la famille, ce qui traduit la perte des valeurs et d’autres facteurs impactant sur la vie sociale. Elle cite la drogue mais aussi l’utilisation à outrance de la technologie et des réseaux sociaux. «Les gens convergent vers le matérialisme et l’individualisme au détriment de leur devoir familial. Il faut privilégier l’éducation à tous les niveaux au lieu de courir après du matérialisme.» Hélas, poursuit-elle, si ce facteur devance les principes prônant une bonne culture familiale, la société court à sa perte. Il incombe de situer les responsabilités individuelle, institutionnelle et sociétale. 

Pour Imran Dhanoo, travailleur social et directeur du centre Idrice Goomany, le stress psychologique, mental et physique subi par les proches d’une personne accro à la drogue est énorme. «Très souvent, la seule alternative pour des parents subissant ce calvaire est de solliciter l’aide d’autres proches. Mais de par la nature de notre société mauricienne aujourd’hui, l’ultime recours est d’exclure le jeune sous emprise de la drogue. Dans plusieurs cas, ces familles n’ont pas le choix. Ce fléau impacte largement sur cette cellule.» En somme, la famille mauricienne bat de l’aile… Elle souffre considérablement. 

Comment sera cette famille d’ici cinq à dix ans, d’autant que le taux de natalité baisse ? Selon Ibrahim Koodoruth, la cellule va se désintégrer davantage. «Désormais, chacun va chercher à se protéger, que ce soit les parents, les enfants, etc. Je ne vois pas cette entente familiale qui a prévalu pendant de longues années. La méfiance va régner.» Cela impliquera-t-il une coupure frontale des relations ? D’après lui, les proches se fréquenteront toujours mais cela restera superficiel. «Les membres de votre famille deviendront comme des étrangers vis-à-vis de vous. L’investissement dans la relation va diminuer. Cette confiance que nous avions jadis ne sera plus d’actualité car on ne sait quand on peut être trahi et devenir victime.» 

Depuis 2006, la baisse des naissances est au centre des préoccupations, avance Vidya Charan. «Il y a une disparité entre les familles ayant beaucoup d’enfants et qui ont besoin de soutien, et d’autres disposant de moyens mais qui ne veulent pas faire d’enfant. Indépendamment des circonstances, la famille demeure un pilier vital pour tout développement. À mon sens, elle le restera. Cependant, elle a et continuera d’évoluer. Par exemple, on a eu la famille étendue, nucléaire puis monoparentale. Puis, nous convergeons vers l’individu.» Un rééquilibrage est impératif. Une révision de la tendance à la baisse de la fertilité doit être entamée. «Si on maintient cette montée de l’individualisme, si on reste figé devant son écran, on se détournera encore plus de sa famille», prévient-elle. 

Pour Imran Dhanoo, dans le contexte économique actuel, la famille mauricienne est frappée par de lourdes conséquences. En Europe, à un certain âge, les enfants quittent leurs parents pour aller vivre avec leur conjoint ou seul. Dans les prochaines années, Maurice rompra avec l’image type de famille soudée et unie d’il y a 40 ans. «Peut-être que les aïeux se retrouveront davantage seuls ou dans un foyer. Maintenant, si on considère des classes sociales plus élevées, certains parents peuvent se permettre de vivre seul ou dans une institution huppée. En général, la société est malade comme la famille elle-même est malade et désemparée. Je m’inquiète énormément sur la santé mentale de la population…»