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Portrait: Percy Yip Tong, un Africain né à Maurice

10 juin 2022, 21:00

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Portrait: Percy Yip Tong, un Africain né à Maurice

C’est un personnage multifacette du pays. S’il est sur plusieurs fronts et défend plusieurs causes souvent relayées dans la presse, il n’en demeure pas moins que Percy Yip Tong, dans son entièreté, reste méconnu. Alors qu’il est en ce moment au four et au moulin aux Championnats d’Afrique d’athlétisme seniors qui ont lieu à Côte-d’Or, où il est interprète. Zoom sur cet enfant du sol amoureux de «mama Lafrik».

Ferdinand Omanyala, l’homme le plus rapide d’Afrique, assure le spectacle à Maurice… dans un stade vide. Percy Yip Tong, l’activiste qui est pratiquement sur tous les fronts citoyens, se trouve être aussi interprète homologué aux Championnats d’Afrique d’athlétisme seniors. Il vient d’avoir le bonheur de rencontrer son idole, le Britannique Sebastian Coe, ancien champion d’athlétisme, devenu président de la Fédération internationale d’athlétisme. «Sebastian Coe est venu me voir pour me remercier pour l’excellente traduction simultanée que j’ai assurée. Un honneur, vu qu’il a travaillé avec de nombreux interprètes à travers le monde», nous relate un Percy Yip Tong, manifestement ému. 

À l’aise avec Cheny Wa Gune, du Mozambique.

L’activiste a plusieurs cordes à son arc : quand il ne milite pas sur l’asphalte pour sauvegarder «mo ti zil», son environnement, sa culture et les droits humains, il est interprète pour des conférences et rencontres internationales en Afrique ou producteur de musique ou directeur artistique à succès pour des groupes au Ghana ou en Somalie, entre autres. «Je fais plein de choses. Je suis un hyperactif, mais c’est vrai qu’on ne connaît pas toutes les facettes de mon moi. Le moi, ce concept africain qui implique qu’il y a en fait plusieurs moi en soi.» 

Avec son idole Sebastian Coe, ancien champion d’athlétisme à l’hôtel «Ravenala Attitude» cette semaine.

Percy Yip Tong parle vite et brasse beaucoup d’idées en même temps. Il n’est guère facile de le suivre. Il avoue qu’il est un peu «schizo avec un processeur dans le cerveau» et qu’il adore jouer sur plusieurs tableaux différents. Il produit un groupe de musiciens le soir et le matin il traduit des discussions techniques sur le commerce transnational au sein de la SADC. Il jongle avec les jargons et les tempos avec une dextérité qui force le respect. Il garde d’excellents souvenirs de ses interactions avec les grands Africains comme Kofi Annan et Thabo MBeki. Il est un Africaniste dans l’âme. 

Avec le grand reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly.

Pour revenir aux championnats d’Afrique, il nous livre ses sentiments comme Mauricien : «À cause de la restriction à 50 personnes, chaque pays a eu à défiler pour la cérémonie d’ouverture qu’avec deux personnes par délégation plus une hôtesse portant le drapeau ! Attention, je vous parle en tant qu’amoureux de l’athlétisme et trop heureux de rencontrer l’idole de mon enfance Sebastien Coe. Je ne dis rien de confidentiel vu que tout le monde voit que le stade est vide. Pas normal avec ces stades pleins à travers le monde. Je dis que ce n’est pas normal que les restrictions sanitaires Covid soient encore en place à Maurice. Quand l’Europe a mis en place ces restrictions, il y a deux ans, Maurice a suivi aveuglément. Maintenant que l’Europe lève ces mêmes restrictions, pourquoi Maurice ne suit pas ?» se demande Percy Yip Tong, avec pertinence. «Les autorités d’athlétisme mauriciennes, africaines et mondiales sont même plus frustrées que moi de voir l’élite africaine courir dans un immense stade quasivide et sans ambiance pour stimuler les athlètes à casser des records…» 

Percy Yip Tong lors de sa dernière tournée européenne avant le Covid-19 avec Afrika Mamas de l’Afrique du Sud. Ils ont même donné un concert au vieil opéra de Francfort.

Mais Percy a d’autres combats. Récemment on l’a vu, dans les rues de Port-Louis, au volant d’un camion bleu lors du rallye contre la vie chère. «Je fais mon travail de citoyen et assiste ceux qui veulent bouger les lignes. J’ai estimé qu’il fallait aider Jayen Chellum à mobiliser. J’ai appelé mes amis et on l’a soutenu. J’aide d’autres activistes mais je ne le fais pas pour la gloire, mais uniquement pour mo ti zil…»

Percy Yip Tong a toujours aimé se lancer dans des aventures difficiles. Fils de magistrat, il a toujours évolué en marge de la société, pour forger une identité plurielle et trouver sa voie culturelle, malgré les pressions multiples. En octobre 1990, triste de ne pouvoir raisonner Kaya, qui n’arrive pas à gérer son succès naissant, Percy Yip Tong fuit Maurice et se lance en solitaire dans une traversée de l’Afrique. «J’avais 30 ans et j’ai quitté Kaya et Maurice à contrecoeur. Cette traversée solitaire de l’Afrique était ma thérapie avant d’affronter sept ans de vie et fonder une famille en Allemagne…». Percy Yip Tong croyait faire un voyage mais c’est le voyage qui l’a fait… 

Il a été l’interprète anglais–kreol pour Kofi Anann à Maurice.

Des années plus tard, 22 ans après l’affaire Kaya, au pied du chantier Legend Hill, à Tamarin, où il a fini par poser ses valises avec sa famille, Percy Yip Tong sera arrêté par la police et son passeport saisi. Sous une charge farfelue. Il ne peut plus prendre l’avion alors qu’il a des conférences, des festivals, des groupes musicaux qui l’attendent en Afrique et en Europe. Il ne désespère pas pour autant. «Cette affaire a freiné mon élan. Cela fait 20 ans que je parcours l’Afrique pour faire l’interprète mais surtout pour la musique. Sur 54 pays africains, j’en ai visité 37. Je me sens plus africain qu’asiatique.» 

Il y a deux semaines, la charge contre Percy Yip Tong a été rayée. Le voyageur a repris son passeport et son aventure en terre africaine reprend. Il a obtenu avec son groupe Alostmen du Ghana le Songlines Newcomer Award (qu’on peut découvrir sur YouTube), sous son label Kool Kreol. Il a aussi raflé le Grand Prix Radio France à Marseille avec Gargar, un regroupement de femmes de Somalie et du Kenya… «Maurice est le seul pays où j’ai déprimé dans ma vie, c’est sans doute mo destin dan mo ti zil...»