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Énergies renouvelables: des objectifs pas si réalistes ?

9 juin 2022, 21:00

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Énergies renouvelables: des objectifs pas si réalistes ?

Atteindre 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, introduire un «Green Transformation Package», exempter les voitures hybrides et électriques de la taxe, maximiser les systèmes photovoltaïques : autant de mesures budgétaires visant à booster l’énergie verte. Mais qu’impliquent donc ces annonces ? Et surtout, peuvent-elles vraiment se concrétiser sans un plan d’ensemble ?

Le Budget 2022-23 fait la part belle à l’énergie verte. Plus d’une vingtaine de mesures ont été annoncées pour les énergies renouvelables et les véhicules plus écologiques. Mais pour Sunil Dowarkasing, ancien Global Strategist de Greenpeace, plusieurs d’entre elles figuraient déjà dans des budgets précédents, à l’exemple de la ferme solaire d’Henrietta du Central Electricity Board (CEB). Dans le Budget 2021-2022, provision était faite pour un tel dispositif à Tamarind Falls et à Henrietta, pour une capacité de 10 MW. D’ailleurs, en 2018, la pose de la première pierre pour la Henrietta Solar PV Farm avait déjà eu lieu sous la houlette d’Ivan Collen- davelloo, alors ministre de l’Énergie. Or, «la ferme solaire d’Henrietta est une chanson qu’on entend depuis des années, ce qui nous ramène à la case départ.»

C’est inévitable que certaines mesures n’aboutissent pas à défaut d’un plan d’action qui définit qui fait quoi et quand, renchérit Khalil Elahee, professeur de la faculté d’ingénierie de l’université de Maurice. Par exemple, la centrale d’un MW de Grenade à Rodrigues demande l’engagement de différents stakeholders de différentes façons. D’ailleurs, la proposition d’une batterie d’un MW à Rodrigues a cette fois disparu. «À Maurice, il est question de 20 MW de batterie à Amaury alors que le précédent Budget annonçait jusqu’à 40 MW additionnels s’ajoutant aux 18 MW déjà prévus auparavant. Les huit MW additionnels à Henrietta étaient déjà prévus aussi. Les projets renouvelables hybrides avec stockage étaient déjà annoncés auparavant. En revanche, on aurait pu s’attendre à des précisions sur le National Biomass Framework que je pense doit être intrinsèquement lié à la production locale de bioéthanol pour les véhicules surtout au moment où l’essence se vend à Rs 75.» Il faut un plan d’action cohérent et consensuel, car le vrai défi est l’implémentation, ajoute Khalil Elahee.

Sunil Dowarkasing revient sur l’annonce du Green Transformation Package. Un aveu de taille, selon lui, puisque le ministre concède que nous produisons 165 MW à partir de sources renouvelables sur 761 MW. «Si on veut toucher les 60 % d’ici 2030, il nous faut 435 MW supplémentaires d’énergies renouvelables sur notre système. Plusieurs mesures évoquées mardi avaient été annoncées l’an dernier. Donc, a-t-on perdu une année pour rien ? Que va-t-on faire et comment faire concrètement pour atteindre les 60 % d’énergies renouvelables en 2030 ?» Il mentionne d’autres enjeux absents du Budget 2022-2023 comme un plan solide pour l’élimination du charbon, les activités des Independent Power Producers, entre autres.

Des questions foisonnent chez d’autres spécialistes, à l’exemple de Vikash Tatayah, de la Mauritian Wildlife Foundation. «On est content de voir pas mal de mesures touchant à l’environnement. L’exemption de la taxe pour les voitures hybrides et électriques, les subventions sur les panneaux solaires, entre autres, s’alignent sur la dé carbonisation de l’économie. Cela aura un impact sur la consommation et l’autosuffisance énergétique. On accueille cela favorablement.»

Recharger grâce au... Charbon

Toutefois, comme le mentionne Sunil Dowarkasing, l’abolition de la taxe sur les véhicules hybrides et électriques implique un autre enjeu : la nature de la fourniture électrique. Puisque l’exemption de la taxe prend effet le 1er juillet, Maurice ne sera pas pourvue d’une production électrique renouvelable en intégralité. Donc, elle dépendra encore du charbon.

Un point sur lequel rebondit Vikash Tatayah. «On peut produire son électricité pour sa voiture et vendre l’excédent au CEB si on a un système photovoltaïque sur sa maison. C’est pour cela qu’il faut intégrer les choses. On a eu cette réflexion que si on achète un véhicule électrique, on devra le recharger avec de l’électricité produite avec du charbon. Est-ce que ça vaut la peine ou est-ce dépourvu de sens du point de vue écologique ? Si on produit de l’électricité avec du solaire pour alimenter sa voiture écologique, là cela devient intéressant. Il faut aussi penser à la recharge.»

Certes, des mesures en ce sens s’imposent, soit avec des bornes de recharge, de préférence solaire, pour ces véhicules qui seront fraîchement «détaxés». D’ailleurs, plusieurs pays ont annoncé leur intention d’interdire la vente de véhicules neufs carburant à l’essence et au diesel, à l’instar de la Norvège en 2025, le Royaume-Uni en 2030 et possiblement, l’Union européenne en 2035. Sauf que si l’initiative est louable, cette évolution présuppose des solutions durables pour la recharge des voitures écologiques. C’est souvent là que ces pays peinent à bien définir leur stratégie. Certains essaient d’intégrer énergie solaire et borne de recharge électrique murale. Quid de Maurice ? Rien n’est dit dans le présent Budget sur l’alimentation énergétique des futures voitures écologiques.

Concrètement, Khalil Elahee reprend le cas du negative excise duty pour les véhicules électriques. À son avis, il est impératif qu’ils soient chargés à partir d’énergies propres, notamment via les panneaux photovoltaïques. Même chose pour les autobus. Au cas échéant, le fardeau sera énorme sur le réseau du CEB. «Or, le gross tariffing que propose actuellement le CEB n’est pas attrayant car c’est le net-tariffing qu’il nous faut. Avec une possibilité de vendre à partir du solaire au CEB à Rs 4,20 le kWh, les individus et compagnies qui produisent jusqu’à 150 % de leurs besoins ne seront pas intéressés s’ils achètent en retour au CEB à environ Rs 8 le kWh.» Mais un riche qui a une voiture électrique ne peut être traité de la même manière qu’un client de la classe moyenne qui produit de l’électricité pour le réseau, poursuit-il. Il faut aussi savoir ce qu’il adviendra de l’Utility Regulatory Authority qui doit être un garant de transparence, d’efficience et surtout d’équité vis-a-vis de divers producteurs et consommateurs. Il faut un level-playing field pour ces prosumers, suggère Khalil Elahee.

Un autre élément fait rebondir les discussions : l’objectif des 60 % d’énergies renouvelables d’ici huit ans. Pour Vikash Tatayah, une telle ambition est réalisable à condition d’intégrer les incitations. Lesquelles ? «Je crois que la production à base d’eau a atteint plus ou moins sa limite. Par contre, on n’exploite pas assez le solaire. Ce domaine sera sujet à une révolution. La Chine est bien rodée dans ce sens comme elle produit 90 % des panneaux solaires. Ceux-ci s’améliorent et deviennent moins chers.» L’énergie des vagues est aussi à maximiser. Tout comme le projet visant à placer des panneaux solaires sur des réservoirs, ainsi que la réduction de la consommation électrique conventionnelle. Il cite égale- ment la construction verte qui se fait de manière plus intelligente et limite les pratiques énergivores comme la climatisation.

Maîtrise de la demande

Pour sa part, Khalil Elahee estime que nous pouvons relever le défi des 60 % des énergies renouvelables si deux conditions sont réunies : une bonne gouvernance énergétique et une maîtrise de la demande. Pour la première fois sans doute, l’Energy Efficiency Management Office a une place importante dans le discours budgétaire. «Il lui faut maintenant les moyens d’atteindre sa mission. Les derniers chiffres pour 2021 démontrent que la croissance de la demande repart avec la relance, alors que la part des renouvelables passe de 24 % à 21 %. Le duty-free sur les voitures hydrides est une mesure-phare qui mènera à une économie d’au moins de 30 % sur l’essence. Si le Metro Express veut faire des profits, il doit produire son énergie à partir du solaire.» D’après le professeur en ingénierie, les autobus électriques réduisent aussi la pollution des fumées noires sur les routes, pas uniquement les émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, il faut un plan d’action pour faire une synergie des ressources disponibles afin de mettre en œuvre toutes ces bonnes intentions.

Qu’en est-il des parcs éoliens qui connaissaient pourtant un grand engouement auparavant ? «Il y a un potentiel d’avoir encore plus de fermes éoliennes. Une ou deux verront le jour. C’est une option énergétique très valable, dépendant du positionnement de ces dispositifs», explique Vikash Tatayah. La rétribution des fonds en fonction des projets spécifiques doit être effectuée de manière adéquate. «On voit beaucoup d’argent injecté dans le National Flood Management Programme, soit Rs 3,8 milliards. J’ai l’impression qu’on essaie de résoudre l’effet et non la source du problème. J’aurai préféré qu’une partie de cet argent soit consacrée à la restauration de nos rivières, qui sont des drains naturels. Quand ces sites sont obstrués, ils seront hélas vecteurs d’inondations.» Il faut voir l’efficacité des mesures, par exemple en s’assurant que ces investissements par milliards donnent véritablement des résultats.

D’autres implications sont également étayées par Khalil Elahee. Le Budget 2022-2023 prévoit Rs 20 milliards d’investissement, du privé semble-t-il, sur les trois prochaines années dans les énergies propres alors que la feuille de route prévoit environ Rs 50 milliards d’ici 2030, dit-il. Est-ce pour le secteur privé et les petits producteurs seulement ? «Il faut les détails sur le plan d’investissement. Où sont les priorités? Le road- map sur les énergies renouvelables est un scenario parmi d’autres pour atteindre 60 % de renouvelables pour l’électricité d’ici 2030. Mais quel est le scenario qui sera le plus pratique et dans l’intérêt du bien commun ?»

Pour Khalil Elahee, le Budget montre que nous avons une destination et une volonté, mais pas de trajectoire connue. Les premiers pas sont les plus importants. «Il faut d’urgence un plan d’action afin de ne pas perdre de temps.»