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Consommation: vers un Budget «kouyonn lizié» ?

1 mai 2022, 21:00

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Consommation: vers un Budget «kouyonn lizié» ?

Les ‘pneus brûlés’ ont fait ‘réfléchir’, semble-t-il, les décideurs. Des subsides, bien que minimes, ont été revus sur certains produits. Des hausses annoncées, qui devaient prendre effet incessamment, ne montrent plus le bout de leur nez, du moins pour l’instant. Et pour calmer davantage les tensions sociales, faute de pouvoir enfiler tout le costume, le ministre des Finances sortira-t-il ses savates Dodo de Père-Noël ?

La traditionnelle formule «bidzé labous dou» ne fera pas passer l’amère pilule de la hausse des prix. Le Budget national viendra-t-il avec une salve de mesures correctives ? Cette possibilité est évoquée par des acteurs de l’économie et de la société civile. Comment les autorités jongleront-elles avec le coût de la vie et les dettes pour faire baisser les prix ? Les a-t-on maintenus pour que le Budget vole à la rescousse des Mauriciens ?

«Après les récents incidents, le ministre des Finances et son équipe n’ont pas droit à l’erreur. J’estime qu’il sera crucial que le Budget national contienne des mesures palliatives si nous voulons aplanir les tensions sociales et relancer l’économie», affirme d’emblée Sanjay Matadeen, économiste et Senior Lecturer à Middlesex University Mauritius. En juin, ce sera l’oral du Grand argentier. Comme les prix des denrées alimentaires, du gaz et des carburants ont flambé, suivis de manifestations des consommateurs la semaine dernière, des interrogations fusent sur la tournure que prendra l’exercice budgétaire. Puisque l’amertume s’est installée chez les Mauriciens, des mesures labous dou resteront en travers de la gorge des consommateurs.

La probabilité d’enchaîner avec une version kouyonn lizié est bien là. «Avec les dernières échauffourées, un message fort est passé. Le Budget devra s’articuler sur les manquements et favoriser les citoyens vulnérables», déclare Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM). D’ailleurs, le gouvernement doit pouvoir économiser et rediriger certains fonds de son budget d’investissement et de fonctionnement pour soulager la population en introduisant des mesures à court terme, indique Sanjay Matadeen. Cela implique des bons alimentaires ou une assistance financière pour ceux inscrits au registre social. «Il faut que toute personne puisse prétendre à une assistance au-delà du registre en fonction des circonstances. Il faut aussi renverser la dépréciation de la roupie pour réduire les coûts des importations.»

Avec une échéance électorale éloignée, Chandra Rungasawmi, sociologue et membre de la Mauritius Tax Payers’ Association, penche pour un Budget réaliste au lieu de labous dou. En période de crise, des moyens plus ingénieux doivent être élaborés pour relancer le pays. «Maurice a une vocation agricole. Pourtant, elle dépend trop des importations. Il faut optimiser nos lagons. Notre main-d’œuvre est sous-utilisée. Cessons de donner des jobs dans la fonction publique et les corps parapublics où il n’y a pas de rentabilité. L’autosuffisance alimentaire et l’investissement dans la pêche sont vitaux.» Trop de mesures budgétaires mirobolantes surviennent chaque année et elles ne se concrétisent pas. Le sociologue estime que le ministre, encore nouveau dans l’arène, «soignera son image», et penchera vers des mesures kouyonn lizié, donc, comme des baisses et subventions ici et là. «Fer labous dou n’est qu’un remède à court terme. Il faut des soutiens aux classes défavorisées», ajoute-t-il.

Parmi les propositions : l’exonération de taxes/contributions au prix des carburants pour soulager la population. «De nombreux produits alimentaires sont frappés par la taxe à valeur ajoutée que nous espérons seront reclassés en zero-rated pour réduire leurs prix. Les subventions existantes seront toujours d’actualité et de nouveaux produits comme le pain, les tickets d’autobus et d’autres rejoindront la liste afin de ne pas affecter davantage le moral de la population», souligne Sanjay Matadeen. À ce stade, ni une augmentation des pensions, ni une compensation salariale ne sont apparemment au menu du jour, vu la situation financière du pays, argumente-t-il. Car une augmentation brutale de la masse monétaire déclenchera une spirale inflationniste, précise-t-il.

N’empêche, en sus d’une allocation de soutien et des bonds alimentaires, Jayen Chellum s’aligne sur une compensation salariale pour les catégories les plus vulnérables et la révision du salaire minimum. «Ce sont des possibilités avec lesquelles le ministère des Finances peut jouer. Il préconisera un Budget correctif avec des allocations. L’ACIM entame d’ailleurs une campagne pour faire baisser les prix des carburants», avance-t-il. Mais si un tel Budget est présenté, comment l’État jonglera-t-il entre la baisse de certains prix et la hausse sur d’autres ? Là est l’épineuse question.

Abus des commerces

Une réflexion qui pousse Jayen Chellum à une autre : quelle forme prendra l’aide du gouvernement indien promise pendant la visite de Pravind Jugnauth dans la Grande péninsule ? «Le Premier ministre n’a rien précisé là-dessus. Nous ne savons pas s’il a obtenu un prêt de l’Inde à des taux d’intérêts faibles. Peut-être qu’il va utiliser cet argent pour renflouer les caisses. Et dans ce cas, adopter des mesures correctives plus approfondies.» Par ailleurs, certaines commodités, dont l’alcool et les cigarettes, n’échapperont pas aux majorations.

Chandra Rungasawmi est d’avis que l’État doit faire le tri entre les produits de base et de luxe (véhicules, voyages, etc.). Le prix du gaz, produit phare régulier au Budget national, rebaissera-t-il avec une nouvelle subvention ? «Ça c’est le côté démagogique pour faire plaisir aux consommateurs. On ne peut l’empêcher. Tou gouvernman bizin tap latab inpé.» La récente hausse a-t-elle été délibérée pour que l’État arrive tel Zorro pour soulager les consommateurs ? Si certains le pensent tout bas, les langues ne se délient guère, même si on confirme cette éventualité. «Avec le manque de contrôle des prix, le gouvernement viendra-t-il avec des règlements et sera-t-il plus interventionniste pour empêcher des abus des commerces ?» se demande par ailleurs Jayen Chellum.

D’après Chandra Rungasawmi, la taxe doit dépasser les 15 %, en particulier la TVA, mais elle doit être sélective et s’appliquer davantage sur les produits de luxe au lieu des denrées de première nécessité, comme le fromage et les céréales qui devraient être exemptés. Selon le sociologue, la pandémie et la guerre Russie-Ukraine ont lourdement ébranlé notre société, ce qui a diminué le pouvoir d’achat et vulnérabilisé ceux déjà au bas de l’échelle. L’exaspération est palpable face aux fraudes, à la corruption et les gaspillages de fonds publics. «L’exemple doit venir d’en haut. Il y a les pensions faramineuses des dirigeants ou encore des allocations mirobolantes, des per diem, et autres qu’il faut revoir. On veut une politique de vérité. Épargnons-nous des mesures populistes comme des bonbons qu’on donne à un enfant pour qu’il cesse de pleurer», ironise-t-il. Parmi les mesures attendues, le rétablissement du pouvoir d’achat, selon lui, l’augmentation du salaire minimum par 15 à 20 % et des impôts plus justes et équitables. Une révision de la taxe résidentielle est aussi nécessaire. «Le gouvernement est resté sourd aux rapports de l’Audit. C’est une insulte à la population…»

Dana Chengan, secrétaire de l’Union Sociale Mauriciens (USM), groupe d’observateurs politique, social et économique, revient sur la colère légitime du peuple face aux multiples majorations de prix. «Que l’État vienne avec des mesures pour contrer les majorations de prix. Il est temps d’agir avec des mesures rassurantes pour réconforter la population et éviter le pire, en particulier ceux enlisés dans la pauvreté, les pensionnés et ceux affectés par la pandémie, les pertes d’emploi et le chômage technique. Ils ont besoin d’un soutien d’urgence», indique-t-il. Comme stratégie d’urgence, il évoque notamment une ‘carte’ pour les produits essentiels et les médicaments pour ceux qui sont en situation de précarité, des médicaments génériques en pharmacie, qui coûtent trois fois moins.

Selon lui, le Budget 2022- 23 doit contenir des mesures à court, moyen et long termes et ne doit surtout pas être «un budget de tromperie ou de farce» pour redonner le pouvoir d’achat aux ti-dimounn mais aussi à la classe moyenne, qui souffre. Le gaspillage n’est pas permis. Tout comme les voyages inutiles avec des affichages luxueux devant un peuple affamé. Le secrétaire de l’USM évoque aussi des dons de semences pour relancer l’agriculture, l’élevage et une industrie de production d’aliments de base. Ainsi, on développera la production et la consommation locales. «Un arrêt temporaire du développement des infrastructures comme le métro pour se concentrer sur la production alimentaire est requis ainsi qu’une baisse de prix de la pomme de terre», indique-t-il. Les idées ne manquent pas. «Il suffit de bonne volonté, de compétence et d’une bonne stratégie politique accompagnée d’un plan d’implémentation.»

Autres graines qu’il faut à tout prix planter: des mesures audacieuses pour revoir les fondamentaux économiques du pays comme le ciblage des aides sociales/pensions et la réforme du système fiscal. Une économie forte signifiera aussi une roupie forte, conclut Sanjay Matadeen.