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Éclairage: la révision problématique du salaire minimum face à la tempête inflationniste

21 avril 2022, 16:25

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Éclairage: la révision problématique du salaire minimum face à la tempête inflationniste

Après plus de trois ans, la problématique du salaire minimum est de nouveau projetée dans l’actualité. Cela, à la faveur des pressions syndicales et politiques poussant vers sa révision sur une toile de fond de la cherté de la vie avec la flambée de prix dans le sillage de la guerre russo-ukrainienne. Pour le moment, le ministre des Finances se dit ouvert à toutes négociations à cet effet et n’objecte pas à une éventuelle augmentation du salaire minimum.

Pour autant, la question est plus complexe et ne suscite pas nécessairement l’adhésion de tous les stakeholders, plus particulièrement les opérateurs économiques qui sont concernés en premier lieu. Le principe même d’un salaire minimum reste une avancée incontestée pour les travailleurs et présuppose que les entreprises ne peuvent pas rémunérer un employé en dessous d’un montant défini. Il est aujourd’hui à Rs 11 075, soit Rs 10 575 venant de l’employeur et la différence sous la forme d’une contribution de l’État. Demain, il pourrait grimper à Rs 12 000 ou plus

Pour autant, la question est plus complexe et ne suscite pas nécessairement l’adhésion de tous les stakeholders, plus particulièrement les opérateurs économiques qui sont concernés en premier lieu. Le principe même d’un salaire minimum reste une avancée incontestée pour les travailleurs et présuppose que les entreprises ne peuvent pas rémunérer un employé en dessous d’un montant défini. Il est aujourd’hui à Rs 11 075, soit Rs 10 575 venant de l’employeur et la différence sous la forme d’une contribution de l’État. Demain, il pourrait grimper à Rs 12 000 ou plus.

«Objectivement, il n’y a pas débat sur la pertinence d’une révision du salaire minimum mais est-ce que les entreprises ont tous les moyens financiers de souscrire à une telle demande si le gouvernement légifère en ce sens.»

Or, si on s’en tient à la population active qui s’élève aujourd’hui à 525 900, on trouve donc presque 450 000 personnes qui touchent un salaire bien au-dessus du minimum mais moins du salaire médian qui tourne autour de Rs 18 000 à Maurice. Venir cibler les employés touchant le salaire minimum en proposant une meilleure protection sociale face aux pressions inflationnistes n’est pas une source de contestation pour le secteur privé même si Business Mauritius insiste que certains secteurs seront affectés. «Il est certain que des PME, des entreprises de construction, usines textiles, établissements touristiques, sociétés agricoles ou encore le commerce et le BPO seront directement affectés. Car l’impact d’une hausse salariale exercera de fortes pressions sur les barèmes salariaux déjà appliqués et entraînera un réajustement naturel des salaires dans ces secteurs», affirme son Chief Operating Officer, Pradeep Dursun.

Pressions sur les charges sociales

Si cela coule de source que le privé offre des salaires largement supérieurs au Rs 11 075, il va de soi que les charges sociales comme la Contribution sociale, le Portable Retirement Gratuity Fund (PRGT) et d’autres frais liés vont les alourdir après une éventuelle hausse du salaire minimum. D’ailleurs, l’analyste financier Imrith Ramtohul pousse la réflexion plus loin pour soutenir que la conjoncture économique actuelle due aux effets de la crise pandémique est venue fragiliser financièrement les entreprises, pesant lourd dans leur trésorerie. «Objectivement, il n’y a pas débat sur la pertinence d’une révision du salaire minimum mais estce que les entreprises ont tous les moyens financiers de souscrire à une telle demande si le gouvernement légifère en ce sens.» Il s’appuie sur le fait qu’il y a forcément des secteurs qui ont pu sortir la tête hors de l’eau mais aujourd’hui avec un choc inflationniste à l’échelle mondiale, qui a entraîné une hausse vertigineuse des cours des matières premières et des carburants, les coûts de production ont visiblement pris l’ascenseur.

En même temps, faut-il rappeler qu’une hausse du salaire minimum peut contribuer à faire grimper l’inflation. Cela, vu que les employeurs, confrontés aux nouveaux coûts de production se trouveront dans l’obligation de les passer aux consommateurs en révisant à la hausse les prix des produits et services. Résultat, les ménages entrent carrément dans un cercle vicieux où ce que les travailleurs obtiennent d’une main, ils le rendent de l’autre. Sans compter que les employeurs sous la pression de nouvelles charges pourront réduire les avantages sociaux comme l’assurance médicale, les passage benefits ou encore leur contribution à un plan de pension privé.

Or, les spécialistes estiment que rehausser davantage le salaire minimum n’est pas en soi suffisant mais il existe un train de mesures que le ministre des Finances sera appelé à proposer dans le cadre de son exercice budgétaire en juin prochain. Pourquoi pas des bons d’achat destinés aux plus vulnérables de la société, comme proposé d’ailleurs par l’ex-ministre des Finances, Rama Sithanen, et soutenu par le leader de l’opposition, XavierLuc Duval, dans sa PNQ il y a deux semaines. «C’est une approche ciblée touchant les travailleurs se situant dans une grille salariale spécifique permettant à ces derniers de s’approvisionner en produits essentiels. Dans le même registre, on peut distribuer des paniers de vivres», remarque Imrith Ramtohul. Tout en sachant, dit-il, que dégager une politique ciblée de protection sociale implique des coûts administratifs qui peuvent faire réfléchir les décideurs politiques à deux fois avant de l’exécuter.

Reste que le privé est catégorique. Une révision du salaire minimum pour rattraper les pertes du pouvoir d’achat ne peut pas se faire seulement par les entreprises. Business Mauritius souhaite partager les coûts de cette opération avec l’État, comme c’est le cas d’ailleurs aujourd’hui où ce dernier apporte une contribution, aussi symbolique soit-elle. «Dans le monde, le salaire minimum est dans une fourchette de 40 % à 70 % du salaire médian. À Maurice, l’État a souhaité qu’elle soit entre 60 % et 65%, donnant un meilleur confort financier à cette catégorie de travailleurs. Donc, au départ même, le quantum du salaire minimum a été plus élevé. Aujourd’hui, face à un contexte économique qui impose une révision il faut que tous les partenaires sociaux au National Wage Consultative Committee soient plus flexibles», précise Pradeep Dursun. Il rappelle dans la foulée que ce comité est le seul habilité à décider de cette révision et que les opinions émises ici et là à ce sujet ne peuvent être prises en considération dans cet exercice.

Sujet de controverses et de choix électoral comme en France, où le débat fait rage sur les propositions autour du salaire minimum des deux candidats au deuxième tour de l’élection présidentielle du 24 avril, le sujet gagne du terrain à Maurice et chauffe déjà les esprits. Il s’agit pour chaque partenaire d’avancer son pion et de protéger sa paroisse.