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Dr Sudesh Kumar Gungadin: «À Maurice, nous n’avons pas de loi sur le féminicide»

14 avril 2022, 22:00

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Dr Sudesh Kumar Gungadin: «À Maurice, nous n’avons pas de loi sur le féminicide»

En mars, trois mères de famille âgées entre 19 et 50 ans ont été tuées par leur conjoint, en l’espace de quelques jours. Que signifie le terme féminicide ?

La violence faite aux femmes comprend un large éventail d’actes, allant du harcèlement verbal à d’autres formes de violence et d’abus psychologiques, en passant par la violence physique et/ou sexuelle. À l’extrémité du spectre, nous avons le féminicide, c’est-à-dire le meurtre.

Dans la plupart des cas, les crimes sont commis par des partenaires ou ex-partenaires et impliquent des abus continus, des menaces ou des intimidations, de la violence sexuelle.

Quels sont les différents types de féminicides ?

Il existe le féminicide entre partenaires intimes et le féminicide familial. Il y a le féminicide en temps de guerre et de conflit, etc. Nous avons aussi des cas de féminicides liés à des dots. En Inde, de jeunes mariées ont été tuées par leur belle-famille, celle-ci n’étant pas satisfaite du montant ou de la nature de la dot reçue.

En 2020, 13 femmes ont été tuées et 11 en 2021. Qu’est-ce qui explique ces chiffres ?

Au plus fort de la crise du Covid-19, pendant les périodes de confinements, les femmes ayant des partenaires violents se sont retrouvées isolées de leurs proches et amis, mais également incapables d’accéder aux services d’urgence. Cela, alors que toutes les ressources étaient transférées vers les centres hospitaliers, pour prêter main-forte dans le combat contre la pandémie. Il y a eu beaucoup de morts engendrées par la violence. Les principales raisons: le manque de confiance entre partenaires, l’infidélité, l’alcool et la drogue, la jalousie, les troubles psychologiques et mentaux, de même que les difficultés financières.

Y a-t-il une évolution dans le profil des suspects-tueurs ?

La plupart du temps, les tueurs sont des partenaires immédiats; maris, conjoints, petits copains, concubins, ex-époux. C’est la catégorie où l’on recense le plus de féminicides à Maurice, qualifiées «d’homicides entre partenaires intimes». Mais les proches sont aussi malheureusement concernés. Nous avons eu des cas de fils tuant leur mère. Récemment, il y a le meurtre bouleversant, qui a secoué le village de Camp-de-Masque, où un homme de 72 ans a mortellement agressé sa petite-fille de 19 ans. Les disputes familiales étaient le lot quotidien de cette famille.

Quels sont les facteurs qui expliquent ces actes ?

À la suite de violences et d’intimidations continues, les femmes ne peuvent parfois pas se défendre contre le tueur. La grossesse hors mariage et les relations extraconjugales sont les principales raisons notées derrière les tueries. Il y a aussi le mode de vie qui a évolué. Les femmes qui travaillent veulent être plus indépendantes et autonomes et les hommes ne sont pas préparés psychologiquement à cela. Parmi les facteurs, il y a aussi des familles brisées, je pense aux mères célibataires, aux conjoints déjà condamnés, il y a également les problèmes de santé mentale. Ceux qui commettent des meurtres ont peut-être aussi été témoins eux-mêmes de violence conjugale ou victime de viol, par exemple. D’autres encore ont eu une enfance difficile ou sont au chômage.

Nous avons en outre des éléments déclencheurs, qui peuvent surgir des mois avant le passage à l’acte. Cela peut se traduire par un mal-être, engendré par des facteurs comme la jalousie, lorsqu’un des membres du couple reprend le travail ou entreprend une activité sociale. Il faut noter aussi que parfois, la violence surgit sans crier gare, alors qu’elle n’était pas pré- sente au sein du foyer.

Comment prévenir au lieu de guérir ?

La clé du succès, c’est est l’éducation. Il n’y a pas de cause unique quand on parle de féminicide, cela résulte de l’interaction complexe de facteurs. L’entourage, c’est-à-dire les parents, amis, collègues doivent dès lors être attentifs aux petits changements de comportement qui peuvent donner des indications de mal-être. Il faudrait en outre inscrire le féminicide comme une priorité à l’agenda politique, dans les dis- cours publics et les campagnes de sensibilisation. Il faudrait soutenir la mise sur pied d’une cellule de «féminicide watch» et renforcer la surveillance et le «screening» quant à ceux susceptibles de commettre des meurtres.

Dites-nous en plus sur les signes qui peuvent alerter.

Des violences répétées et des visites qui s’enchaînent à l’hôpital suite à des blessures non expliquées. La victime est troublée psychologiquement. Certaines femmes connaissent aussi des perturbations menstruelles et certaines plongent dans l’alcool. Les enfants sont négligés. La victime préfère passer son temps à l’extérieur de la maison. Des absences répétées au travail peuvent également être des signaux d’alerte.

Quid des lois ?

À Maurice, nous n’avons pas de loi sur le féminicide. Une section du Code pénal fait mention de l’infanticide, mais le terme féminicide n’est pas inclus. Les cas de féminicide sont considérés comme des assassinats ou manslaughter. Un assassinat signifie qu’il y a eu préméditation et dans ce cas, la peine maximale est prévue. L’article 242 du Code pénal fait en outre mention de «manslaughter adultery», qui stipule que si un partenaire a été tué après avoir été infidèle, l’acte est «excusable» et la sentence est réduite…

Vos conseils pour prévenir la violence ?

Le dialogue est important. Il ne faut pas s’enfermer dans sa coquille. Si vous êtes victime de violence, il ne faut pas hésiter à parler à votre entourage et aux autorités. Tout le monde doit se sentir concerné, impliqué. Un témoin, qui sait qu’un membre de sa famille ou un de ses collègues est en danger, doit lui apporter son aide et avertir les autorités concernées. Il faut prendre au sérieux toute forme de violence et d’abus.