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Balwant Thakur: «Je suis l’homme de théâtre le plus décoré en Inde»

14 mars 2022, 21:00

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Balwant Thakur: «Je suis l’homme de théâtre le plus décoré en Inde»

Un CV long comme le bras. Le palmarès de Balwant Thakur est éloquent. Parmi ses récompenses : le Padma Shree pour sa contribution au théâtre en 2013, le Sangeet Natak Akademi Award for Direction in theatre, etc. Depuis juin 2021, Balwant Thakur est le directeur de l’Indira Gandhi Centre for Indian Culture (IGCIC), à Phoenix. Convaincu que le théâtre a le pouvoir de changer les êtres, d’améliorer la société, le dramaturge partage ses convictions. Jetant au passage un regard critique sur la «rat race» du système éducatif, en Inde comme à Maurice.

(NdlR, Balwant Thakur commence d’emblée par se présenter)

Je viens de l’État de Jammu-et-Cachemire. Je suis plus de la région de Jammu que du Cachemire. Ma langue, c’est le dogri.

Parmi tous vos prix, il y en a aussi un pour la promotion du théâtre en dogri.

I’m the highest honour holder in performing arts. I am an Academy awardee, c’est la plus haute distinction en performing arts en Inde.

Une fois qu’on a décroché la plus haute distinction de son pays, que fait-on ?

Les prix vous rendent plus responsables. Les gens disent que c’est un encouragement. Je vois les choses différemment. Quand on reconnaît ce que vous avez fait, cela vous rend plus responsable. Vous devez faire très attention, cela crée des attentes. (Il énumère d’autres prix reçus).

Où conservez-vous vos prix ? Les avez-vous tous apportés à Maurice ?

(Il rit) Je les ai laissés chez moi. C’est le travail accompli qui parle pour lui-même.

Tous ces prix, c’est lourd à porter ?

Très lourd. C’est une trop grande responsabilité. Certains travaillent beaucoup pour obtenir la reconnaissance. Une fois qu’ils l’ont eue, le job est terminé. Pour moi, c’est après les prix que le travail commence. Je dois répondre de ce que cela a créé auprès du public.

C’est maintenant que vous travaillez le plus dur ?

I am a workaholic. C’est l’étiquette qu’on me colle.

Être nommé directeur de l’IGCIC, c’est votre plus grand rôle ?

Avant de venir à Maurice, j’étais en poste en Afrique du Sud…

Au centre culturel Swami Vivekananda, dit votre bio.

Pour être honnête, j’étais très bien là-bas. Tout à coup, les autorités ont décidé de m’envoyer ici, dans le plus grand centre culturel indien au monde. We have to make it bigger. C’est ce que je souhaite faire. Je ne suis pas quelqu’un qui se cantonne à son mandat. Je veux aller au-delà.

Depuis que vous êtes en poste, qu’avez-vous fait pour aller au-delà du mandat fixé ?

Dans toute organisation, il y a des objectifs clairement identifiés. À l’IGCIC, il y a des classes, c’est bien. Il y a des programmes culturels, c’est bien. Mais quels sont les domaines où on peut aller plus loin ? On n’est pas obligé de perpétuer ce qu’on a l’habitude de faire. Les scientifiques disent que les êtres humains n’utilisent qu’une petite partie de leur cerveau. Ce qui nous laisse de vastes possibilités pour en faire plus. Pourquoi ne pas se lancer ?

Quand je suis arrivé, j’ai vu que les opportunités pour les enfants sont quantité négligeable. Si vous voulez façonner une société, il faut toucher les jeunes générations. Je viens du théâtre. The longest living and most powerful children’s plays of India were written by me.

D’où vous vient cette passion pour le théâtre spécialement conçu pour les enfants ?

Quand je suis arrivé à Maurice, je me suis renseigné : combien d’écoles de théâtre est-ce qu’il y a ? À quel point le théâtre est-il pratiqué par les enfants ? Its not at all. Les enfants suivent surtout le programme scolaire. J’ai beaucoup voyagé, j’ai travaillé dans plus d’une centaine de villes. Partout où je suis passé, j’ai observé ce qui se fait dans le domaine du théâtre pour les enfants. En Europe surtout, on insiste pour que les enfants soient exposés au théâtre. Education for me is not just academics.

«I’m not there to follow conventions. J'ai déjà été controversé.»

Comment convaincre les parents ?

Même quelqu’un qui ne fait que regarder du théâtre peut faire une différence. Mais pratiquer le théâtre peut transformer quelqu’un. À un moment donné de ma carrière, où je ne pensais pas du tout m’intéresser au théâtre pour les enfants, j’ai eu un déclic.

Racontez-nous.

Certains font du théâtre pour les enfants comme une mode. En 1989, j’étais l’invité d’honneur d’une cérémonie de remise de prix dans une école prestigieuse en Inde. Ils m’ont invité pour la bonne raison qu’ils ont monté Macbeth de Shakespeare. Ils voulaient me montrer ce qu’ils avaient accompli.

J’ai regardé cette pièce. It was magic on stage. Sauf que pendant toute la représentation, quelque chose m’a dérangé. Comment est-ce qu’une fille de 7th grade (NdlR, âgée d’environ 12-13 ans), pouvait-elle jouer un personnage aussi cruel que celui de Lady Macbeth avec sa sensibilité d’enfant ? La pièce s’appelle Macbeth, mais c’est Lady Macbeth qui tire les ficelles.

Après la représentation, on m’a demandé mes impressions. Tout le monde s’attendait à ce que je félicite les enfants et leurs professeurs. Mais je me devais d’être honnête. Je n’arrêtais pas de me demander jusqu’à quel point cette enfant avait assimilé toute la violence qu’il y a dans ce rôle de Lady Macbeth. This is not the time for her to play this character. À son âge, elle ne devrait pas être exposée à ce type de personnage.

Cela a dû jeter un froid dans la cérémonie de remise de prix ?

Ils ont apprécié mon commentaire. Et puis, ils m’ont demandé quelle était la solution ? J’y ai beaucoup réfléchi. J’étais très mal à l’aise. J’avais endossé une énorme responsabilité. Petit à petit, j’ai exploré le théâtre pour les enfants. Et j’ai élaboré une méthode de formation pour apprendre aux enfants à faire du théâtre.

Vous serez surprise d’apprendre qu’à ce moment-là, je n’enseignais pas le théâtre à des enfants. J’ai commencé par apprendre d’eux, en leur donnant beaucoup de liberté et en observant leurs mouvements, leurs expressions spontanées.

Le système éducatif, que ce soit en Inde ou à Maurice, a un énorme défaut. On vous dit que telle chose est noire. À votre tour, vous dites que cette chose est noire parce qu’on vous l’a enseignée. Au final, vous voyez le monde à travers les yeux des parents, des enseignants, ceux qui ont fait votre apprentissage. I started a theatre where children look at things with their own eyes. I started challenging the system of education.

Comment vous y êtes-vous pris ?

Si quelqu’un me dit qu’untel est un très bon élève, pour moi, c’est parce que l’élève donne à cette personne toutes les réponses que cette personne a en tête. Why can’t you think that there are other answers? De là, j’ai écrit des pièces qui montrent le monde tel que les enfants le voient. J’ai été le premier choqué par les visions du monde qu’ont les enfants. They show us the mess we have created. (Il cite ses pieces) Mere Hisse Ki Dhoop Kahan Hai (qu’il traduit par Where is my share of sunlight ?) À la fin de cette pièce, les enfants sortent de scène et vont dans le public (il fait le geste d’empoigner quelqu’un par le revers de la chemise) et secouent les spectateurs. En disant : « Why have I been brought up?»

Qu’ont dit ces spectateurs littéralement secoués ?

What kind of theatre is coming up? J’ai ensuite écrit Bagh beta bagh (qui signifie Run my son, run). Cette pièce parle des aspirations du père, de la mère. Les enfants eux, sont comme des cochons d’Inde dans une expérience. They just have to run, its a rat race. Le père dit à son fils : voilà tout ce que tu dois accomplir. Personne ne demande à l’enfant ce qu’il veut faire. Chaque génération pointe du doigt la suivante.

Encore une fois, j’ai été inspiré par des enfants. Juste en les regardant et les écoutant. Ils disaient : «Je veux faire telle chose, mais mes parents ne veulent pas.» J’ai aussi demandé à des parents pourquoi est-ce qu’ils forcent leurs enfants à pratiquer telle ou telle activité. Ils répondaient : «I’ve seen the world. Les enfants n’ont pas d’expérience.» La pièce dit qu’il faut laisser les enfants faire l’expérience du monde. Quand je suis venu à Maurice, j’ai vu les mêmes situations. Here also there is the rat race.

Ma troisième pièce de théâtre pour enfants, c’est Aap Hamare Hain Kaun (qui signifie Who are you to me ?) Un enfant pose des questions sur les relations : es-tu mon père ? Si tu es mon père, joues-tu bien le rôle du père ? Es-tu vraiment intéressé par mon éducation ? De mes trois pièces, c’est la plus populaire. This went to the ultimate. Je suis parti en tournée dans toute l’Inde avec cette pièce. Quand c’est un enfant sur scène qui pose des questions, cela a un plus grand impact que si cela avait été un adulte. Savez-vous qu’après représentations de Mere Hisse Ki Dhoop Kahan Hai, des jeunes venaient me voir en promettant de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfant.

Vous vous attendiez à ces réactions ?

Depuis que j’ai commencé à faire du théâtre, j’ai voulu apporter quelque chose de nouveau. I’m not there to follow conventions. J’ai été controversé.

Cette critique sociale vous a-t-elle déjà valu d’être censuré ?

The system was not happy. On m’a dit que je ne connais pas la réalité. Mais cela a poussé certains à se poser des questions. L’art est l’un des moyens les plus puissants pour changer la société. Mais souvent, ce sont les considérations financières qui priment : un artiste investit telle somme dans une pièce de théâtre ou un film, combien cela va-t-il lui rapporter ? J’essaie toujours de créer pour contribuer au bien-être de la société.

Le plus important c’est que malgré les critiques, il y a aussi eu des changements d’attitudes. Le pourcentage de changement était plus élevé que celui des critiques. In India we are very fortunate, there is lots of freedom of expression.

À Maurice, les pièces de théâtre doivent passer par le Classifications board avant les représentations. Y a-t-il un équivalent en Inde ?

Dans certains États oui. But not to that extent. You have the liberty of raising questions in the name of human interest.