Publicité

Cancer: pourquoi les diagnostics sont souvent tardifs

4 février 2022, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Cancer: pourquoi les diagnostics sont souvent tardifs

Troisième cause de mortalité après le diabète et les maladies cardiaques et responsable de 12,8 % des décès en 2020, le cancer est fréquemment détecté trop tard. D’ailleurs, un cancer du poumon vient d’être diagnostiqué chez le chanteur Florent Pagny inopinément. Pourquoi ces détections sont-elles tardives ? Maurice est-elle bien outillée pour dépistages et traitements ? Tour d’horizon à l’occasion de la journée mondiale du cancer célébrée ce 4 février.

«Depuis 2020, nous cumulions toutes sortes d’examens médicaux dans diverses cliniques. À chaque fois, les médecins nous mettaient sur une nouvelle piste. Entre-temps, l’état de notre papa empirait», racontent Sanjiv, 45 ans, et sa sœur, Nimisha, 38 ans. En effet, leur père n’arrivait plus à manger et maigrissait drastiquement. Des tests sanguins de marqueurs au cancer et une coloscopie, examen interne avancé, ne révèlent aucune anomalie.

Songeant à sa dentition, ils entament une consultation chez un dentiste qui préconise l’extraction d’une façade entière de dents. «On croyait que c’était la source du mal mais peu après, notre père ne parvenait plus à se lever du lit. Un médecin à domicile l’a examiné et estimé qu’il pourrait s’agir d’une tumeur. Après une énième admission en clinique, ce fut l’effroi. Papa souffrait d’un cancer avancé de l’estomac inopérable. Comment se fait-il qu’aucun examen n’ait rien révélé ? Pourquoi les médecins n’ont-ils rien vu ?» s’insurgent-ils. Malgré une chimiothérapie en urgence, la maladie a finalement emporté leur père en 2021.

Cette découverte tardive de son cancer leur reste toujours en travers de la gorge. Pourquoi les diagnostics sont-ils trop tardifs pour les patients ? Selon Lise Salmy, 68 ans, opérée d’un cancer, la peur et le tabou perdurent autour de la maladie, décourageant ainsi le dépistage précoce. «Parfois, les patients ignorent qu’ils souffrent d’un cancer. Ils minimisent certains signes. Par exemple, on se dit que c’est juste une petite glande ou un simple kyste qu’on met de côté mais finalement, c’est trop tard. Au début, on ne ressent rien comme symptômes», explique-t-elle.

D’ailleurs, Jean-Claude Mungly, 62 ans, pensait que c’était sa consommation de piment qui irritait sa paroi digestive, entraînant des saignements dans les selles. «J’ai cessé d’en manger. Mais après des semaines, c’était du pareil au même», relate-t-il. Il renchérit sur l’absence de symptômes, et mentionne le cas d’une infirmière en Angleterre avec un cancer diagnostiqué en phase terminale. «Je me disais si celle-ci exerce dans le domaine médical et n’a pu le détecter à temps, cela montre bien que ce n’est pas une maladie aussi simple qu’une fièvre. Les cancers ne cherchent pas à se montrer», souligne-t-il.

Un constat partagé par Selvina Moonesawmy, Program Coordinator du Link to Life Cancer Support Centre, qui soutient les patients du cancer. «Les Mauriciens ne sont pas assez sensibilisés. Ils ne sont pas conscients des différents symptômes du cancer. C’est lorsque cela se manifeste qu’ils se précipitent vers un médecin ou à l’hôpital pour apprendre la triste nouvelle», observe-t-elle.

L’accent doit être mis sur le dépistage précoce pour garantir un traitement adéquat et rapide, martèle-t-elle. Le Dr. Moonindranath Sohun, cancérologue à la Clinique du Nord, souligne qu’hélas, le diagnostic intervient trop tard, par exemple, lorsque la pathologie est déjà à un stade avancé. «Même les pays ayant un système de santé avancé ne sont pas épargnés. Par conséquent, beaucoup de personnes souffrent inutilement et meurent prématurément», explique-t-il. Pour lui, il faut renforcer la connaissance des patients sur leur corps car ils sont les premiers à détecter toute anomalie au niveau de leur organisme. Ainsi, il faut les encourager à identifier les symptômes du cancer et consulter subséquemment.

Maurice est-elle tributaire d’un rajeunissement des patients du cancer ? Selvina Moonesawmy le confirme. «Effectivement, il y a des patients jeunes. Pour le cancer du sein, l’âge se situe autour de 30 ans à monter. Quelques rares cas surviennent en dessous de 30 ans ainsi que la leucémie chez les enfants.» Pourquoi la jeune génération est-elle plus vulnérable ? Le style de vie, la nutrition, la vie sédentaire et même le code génétique sont liés à l’augmentation des cas de cancer mondialement, indique-t-elle. Selon le médecin, ce rajeunissement prévaut aussi bien à Maurice qu’à l’étranger. Citant une étude de l’American Cancer Society publiée dans la revue scientifique The Lancet, il évoque une importante croissance du taux de cancer chez les personnes âgées de 25 à 49 ans. Les types touchant les jeunes adultes sont le cancer colorectal, le cancer de l’endomètre, le cancer de la vésicule biliaire, le myélome rénal, le myélome pancréatique ainsi que le myélome multiple et sont paradoxalement liés à l’obésité. La plus forte augmentation des cancers du rein concerne les patients âgés entre 25 et 29 ans, avec un accroissement annuel de 6,63 %, ajoute-t-il.

Sommes-nous bien équipés localement pour la détection et le traitement du cancer ? «À Maurice, nous avons le service de santé gratuit. Cependant, il nous faut investir plus dans le renforcement et l’équipement des services, soit du matériel dernier cri pour le dépistage, la mammographie et la radiologie», déclare Selvina Moonesawmy. Elle plaide pour davantage d’expertise et de médecins qualifiés surtout pour les enfants qui en sont atteints. L’aide de l’État pour investir dans un PET scan non disponible à Maurice est aussi mentionnée. En fait, le PET scan implique un examen par imagerie pour diagnostiquer ou suivre certaines pathologies. «Les patients du cancer doivent se déplacer à La Réunion pour y avoir accès», avoue-t-elle. Un argument sur lequel rebondit le Dr. Moonindranath Sohun en faveur d’un peaufinage des services existants. Car si Maurice possède bien l’infrastructure et les installations de base pour le diagnostic et traitement du cancer, il faut investir dans le renforcement et l’équipement des services de santé ainsi qu’en termes de formation des soignants pour un diagnostic correct en temps utile.

«Il est crucial d’offrir l’accès aux services de diagnostic efficaces en imagerie, des tests de laboratoire et de pathologie pour faciliter le dépistage des cancers et la planification du traitement», confie-t-il. Selon lui, les patients doivent pouvoir accéder à un traitement sûr et efficace, pour soulager la douleur, sans être en proie à des difficultés personnelles ou financières prohibitives.

Au sujet des soins contre le cancer comme la chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, greffe de cellules souches, l’immunothérapie, l’hormonothérapie et la thérapie ciblée, certaines difficultés sont récurrentes. Par exemple, le spécialiste déplore le manque de chirurgiens oncologues spécialisés en termes de diagnostic et de traitement incluant la biopsie et l’ablation d’organes et de tissus. Quant à la radiothérapie, qui utilise des rayons à haute énergie pour détruire les cellules cancéreuses, environ 60 % des patients atteints d’un cancer vont y recourir durant leur maladie. Un traitement disponible seulement dans le service public. «La radiothérapie conformationelle en 3D, qui fait correspondre, du mieux possible, le volume irradié au volume de la tumeur à partir d’images 3D de la tumeur et des organes avoisinants, n’est pas encore disponible ici», poursuit-t-il. Enfin, pour la chimiothérapie qui administre des médicaments pour tuer les cellules cancéreuses, il prône un contrôle plus strict des prix et de la qualité de ces produits sur le marché. Selon lui, la greffe de cellules souches du sang est également indisponible localement. Les autres soins sont chers, et pas accessibles à tous les patients malheureusement, conclut-il.

En chiffres

1 378 décès liés au cancer en 2020

D’après les «Health Statistics» de 2020, 649 hommes et 729 femmes étaient décédés des suites d’un cancer en 2020. Ceci équivaut à un total de 1 378 et à 12,8% des mortalités à Maurice. En 2000, ce taux était de 9,4%. En termes d’admission à l’hôpital, le rapport du ministère de la Santé fait mention d’un nombre total de 4 665 en 2020, soit 1 740 pour les hommes et 2 925 pour les femmes. Parallèlement, le «National Cancer Registry» répertorie 2 667 nouveaux cas de cancer en 2019 contre 1 400 en 2009. Chez l’homme, les cancers les plus fréquents sont ceux de la prostate, d’ordre colorectal et du poumon respectivement. Et chez la femme, il s’agit des cancers du sein, colorectal et de l’utérus.

Témoignages

Leur combat contre le cancer

Jean-Claude Mungly, 62 ans : «J’ai pu remonter la pente»

«Il n’y a plus de honte pour moi. J’ai accepté mon cancer et j’ai pu remonter la pente aujourd’hui», déclare Jean-Claude Mungly, 62 ans. Sujet à des saignements dans les selles et difficultés à uriner en 2021, il se rend chez le médecin après quelque temps. Des examens effectués en clinique révèlent un cancer du côlon. «Je me disais pourquoi moi ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Je suis quelqu’un de sportif et pratique les arts martiaux depuis des années. Je ne voulais pas l’accepter», confie-t-il. Ce bénéficiaire de Link to Life suit alors six sessions de chimiothérapie pour réduire la tumeur et n’a heureusement pas d’effets secondaires. «C’est la force de la prière qui m’a donné cette énergie. Ma famille m’a beaucoup soutenu. J’ai été opéré. Mon côlon a été dévié et un ‘‘colostomy bag’’ installé pour les selles. Ensuite, on allait reconnecter l’organe après la suppression de la tumeur», poursuit-il. Hélas, deux autres cellules cancéreuses étaient cachées. Et 3 centimètres manquaient pour réajuster son système. Le «colostomy bag» devait être porté à vie. Une onde de choc. «Mes proches m’ont soutenu à 200%. Ils disaient que j’avais la vie mais avec une petite croix. C’est difficile. On se sent diminué. J’ai accepté de vivre avec. Désormais, je me sens mieux et suis confiant», confie-t-il.

Lise Salmy, 68 ans : «Il ne faut jamais négliger toute détection»

«Il y a douze ans, j’ai remarqué une petite glande après mon bain. C’était comme un insecte qui m’avait piqué. Le lendemain, je me suis rendue au dispensaire. Le médecin m’a dirigé vers un spécialiste à l’hôpital de Rose-Belle», raconte Lise Salmy, 68 ans. Elle subit une biopsie qui révèle un cancer du sein. Une ablation est alors nécessaire. «Sur le coup, j’avais envie de crier, pleurer. Le médecin s’est mis à me réconforter et rassurer sur les traitements. Quelques jours plus tard, j’étais admise puis opérée», confie-t-elle. Ses deux fils et son époux restent à ses côtés dans cette épreuve. Après l’intervention, Lise Salmy entame neuf séances de chimiothérapie par intraveineuse à l’hôpital de Candos, suivies de la radiothérapie. Elle s’est ensuite jointe à Link to Life qui lui procure un encadrement essentiel. «C’était bien dur la chimiothérapie. J’avais la nausée, des douleurs, une perte partielle des cheveux et je ne voulais pas manger», explique-t-elle. D’autres traitements en comprimés suivent. Depuis deux ans, elle n’a plus de prescriptions médicales. «Je vais bien mais avec cette maladie, on n’a pas toujours confiance. Il faut se faire dépister régulièrement. Avant de découvrir mon cancer, je faisais un ‘‘screening’’ annuellement. Mais l’année où j’ai reporté l’exercice, c’est là que la maladie m’a affectée. Il ne faut jamais négliger toute détection. Le mot cancer fait peur mais il ne faut pas y céder. On peut guérir», indique-t-elle.