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Perspectives économiques: la chute des IDE néfaste à nos ambitions de croissance

31 janvier 2022, 19:00

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Perspectives économiques: la chute des IDE néfaste à nos ambitions de croissance

6,7 %. C’est le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) projeté par MCB Focus pour l’année calendaire 2022, malgré les incertitudes pesant sur la performance de certains secteurs clés à la reconstruction économique, soit le tourisme et les exportations, entre autres. Il ne faut pas négliger l’impact de la dépréciation de la roupie – avec un dollar s’échangeant à Rs 43,95 vendredi –, sur les recettes d’exportations, des revenus touristiques ou du flux d’investissements directs étrangers (IDE).

La conjoncture internationale s’annonce, par ailleurs, peu brillante pour 2022, la Banque mondiale (BM) prévoyant un ralentissement de la croissance mondiale, passant de 5,5 % en 2021 à 4,1 %. En cause : le taux de croissance du PIB de plusieurs pays du monde qui devrait chuter, à l’instar de celui de la Chine, qui devrait tomber à 5,1 % contre 8 % en 2021, les États-Unis à 3,7 % contre 5,6 % en 2021 et la zone euro qui prévoit un taux de croissance du PIB de 4,2 % cette année contre 5,2 % l’année dernière.

Quant aux pays émergents, la chute devrait être encore plus dure. En Amérique latine et dans les Caraïbes, par exemple, la croissance du PIB devrait ralentir à 2,6 % en 2022, contre 6,7 % l’année dernière. Des facteurs combinés qui devraient affecter la performance mondiale, d’autant plus que presque tous les pays, incluant Maurice, dépendent de la Chine pour leurs besoins de consommation. Du coup, on ne peut compter sur la dynamique à l’international pour contribuer à la croissance économique du pays.

Les taux d’intérêt à présent prennent l’ascenseur en raison de la poussée inflationniste, à l’instar des États-Unis, avec un taux de 7 %, le plus élevé depuis 40 ans, avec une tendance haussière appelée à perdurer. D’ailleurs, Goldman Sachs prévoit pas moins de cinq exercices d’augmentation du taux d’intérêt en 2022. Une posture qui aura bien évidemment un impact sur le remboursement des dettes extérieures du pays. L’impact des récentes tensions géopolitiques et l’imminence d’un renforcement de la politique monétaire de la Réserve fédérale des États-Unis contribuent aussi à la hausse du prix du pétrole sur le marché mondial. Ce qui se répercutera tôt ou tard sur le coût des importations de carburant avec une roupie dépréciée.

Avec la baisse du pouvoir d’achat, résultat de l’inflation passant à 6,8 % en glissement annuel en décembre dernier et de la dépréciation de la roupie, il est donc peu probable que la croissance du PIB soit principalement tirée par la consommation et les recettes fiscales associées, d’autant plus que Maurice est une petite économie important la quasi-totalité de ses besoins en consommation.

Si l’investissement public était estimé à Rs 50 milliards pour l’année financière 2021/2022, il est possible que le montant tourne finalement autour de la moitié, voire moins, comme ça a été le cas les années précédentes. Ensuite, force est de constater que l’augmentation des dépenses de l’État, avec la pension de vieillesse, le paiement de PRB et les différents plans d’aide post-Covid parmi d’autres, se sont fait au détriment des dépenses en capital, réduisant donc la capacité de l’investissement dans les projets de développement pouvant doper la croissance.

Lente reprise

Pour nos exportations, la tendance déjà à la baisse ne s’améliorera pas de manière substantielle, les recettes s’élevant à Rs 70,2 milliards en 2020 et à Rs 78 milliards en 2021, face à des notes d’importation de l’ordre de Rs 165,7 milliards en 2020 et Rs 198 milliards en 2021. Compte tenu de l’écart de plus en plus grand de la balance commerciale, nous ne pouvons pas non plus compter sur nos exportations pour contribuer grandement à la croissance du PIB.

La reprise du tourisme reste lente avec une incertitude sur l’avenir, avec des recettes s’élevant à Rs 17,6 milliards en 2020. Toutefois, l’Association des hôteliers et des restaurateurs de l’île Maurice prévoit que l’objectif d’accueillir 650 000 touristes d’ici juin 2022 pourrait être atteint, alors que le ministère du Tourisme vise déjà la barre d’un million de touristes pour la présente année calendaire.

En excluant une augmentation de la dette publique, il nous reste les investissements directs étrangers, sources de devises, pouvant contribuer à la croissance du pays. Or, selon les chiffres de la Banque centrale, les trois premiers trimestres de 2021 ne nous ont rapporté que Rs 8,5 milliards, incluant Rs 5,5 milliards pour le secteur de l’immobilier. Si nous pouvons mettre cela sur le compte du Covid-19 et l’ouverture récente des frontières en octobre 2021, il est à souligner que les flux d’IDE ont toujours évolué dans la même fourchette d’une année à l’autre.

En 2013, le montant total du flux d’IDE était de l’ordre de Rs 13,8 milliards pour atteindre Rs 18, 5 milliards en 2014 et retomber à Rs 13,7 milliards en 2015. En 2017, le pays a reçu Rs 22,3 milliards, Rs 20 milliards en 2018 puis Rs 22,3 milliards en 2019, le tout sujet à la valeur de la roupie lors de ces périodes. Nous pouvons donc voir que la qualité du flux d’investissement vers le pays n’a pas beaucoup évolué au fil du temps, tout en affichant une surdépendance à l’immobilier au lieu d’aller vers des secteurs productifs.

Pourtant, beaucoup plus de ressources ont été mises à la disposition de l’État et du secteur privé à travers la mise sur pied de l’Economic Development Board (EDB) et l’organisation des roadshows et la multiplication des accords bilatéraux. Or, dans le concret, il y a eu très peu de résultats. Qu’est-ce qui explique cette stagnation ? «Selon le rapport d’investissement des Nations unies, les flux mondiaux d’IDE ont chuté de 35 % en 2020. C’est sûr, l’incertitude et le ralentissement économique mondial liés à la pandémie ont pesé lourd sur l’IDE, mais je pense qu’il y a aussi d’autres facteurs qui ont contribué à cette stagnation. À mon avis, Maurice perd son attractivité à l’échelle mondiale et tout comme les flux d’IDE, notre croissance économique piétine aussi. La persistance du retard de productivité par rapport aux pays développés, les scandales politiques, et l’entrée du pays sur la liste noire européenne des pays à haut risque ont terni l’image du pays. Il faudrait maintenant du temps ainsi que des campagnes de promotion intelligentes et agressives pour renverser tout cela et regagner la confiance des investisseurs», explique Anthony Leung Shing, PwC Partner.

Perspectives incertaines 

Selon lui, après avoir atteint son niveau le plus bas en 2020, les flux mondiaux d’IDE rebondissent, mais bien que l’investissement vers les pays en développement ait bien résisté en 2021, les perspectives pour 2022 restent toujours incertaines et la baisse de croissance mondiale influencera le rythme de la reprise d’investissements. «À Maurice, tenant en compte les plans de relance, je pense que les projets d’infrastructures continueront à être le levier de la prochaine relance économique, alors que l’investissement dans les nouveaux projets restera relativement faible. Les étrangers aiment beaucoup l’immobilier et environ 60 % de l’IDE en 2021 a été investi dans ce secteur», précise-t-il .

«Les récents exercices budgétaires ont encouragé l’investissement dans l’industrie biotechnologique et pharmaceutique ainsi que le développement durable. D’autres secteurs tels que l’économie bleue, le knowledge hub, la fintech, la logistique régionale, etc., peinent à décoller mais il faut continuer à diversifier notre base économique. Toutefois, il est aussi important de consolider nos industries traditionnelles avec l’adoption des nouvelles technologies et la digitalisation des services», dit Anthony Leung Shing.

Pour sa part, l’économiste Bhavish Jugurnauth note que plus de la moitié des IDE proviennent d’Europe. Aussi, avec la pandémie, le marché immobilier a connu un ralentissement, principalement dû à l’incapacité pour les acheteurs étrangers de venir voir les propriétés disponibles sur le marché et aussi l’Europe, le principal marché d’IDE, est fortement touché par la pandémie. «Dans sa stratégie à long terme, Maurice devrait également essayer d’attirer plus d’IDE dans d’autres secteurs clés tels que l’industrie manufacturière et les services financiers, ciblant principalement le secteur de la fintech, de la blockchain et de l’intelligence artificielle en tenant compte de la position de Maurice comme plateforme pour investir en Afrique. Le marché africain est un facteur non négligeable pour les IDE à Maurice.»

Comment s’y prendre ? Par le biais des incitations, dit-il, telles que des exonérations fiscales pour les entreprises de haute technologie, afin qu’elles établissent leur siège social ici. Ces mesures peuvent également être étendues aux sociétés de gestion de fonds pour qu’elles domicilient leurs fonds à Maurice. «Pour stimuler l’industrie manufacturière en termes d’IDE, il sera important de mettre en place des incitations de smart-manufacturing pour réduire les coûts et attirer les investissements», ajoute Bhavish Jugurnauth.

Du côté de l’EDB, on nous explique que la baisse des IDE en 2021 était surtout liée à la fermeture des frontières mais les autorités restent confiantes de la reprise en 2022 et misent également sur les investissements privés. On ne le dira pas assez, le chemin de la croissance passera aussi par la productivité et l’investissement stratégiques. Une réflexion et une remise en question autour de cette stagnation de nos flux d’IDE sont importantes, il nous faut redoubler d’efforts, car nous devons identifier ce qui ne va pas depuis toutes ces années pour prendre les mesures correctives au plus vite.