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Shirin Gunny: «La production locale, une question de fond, de réformes, de choix de société, qui nécessitent un consensus national»

20 décembre 2021, 20:00

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Shirin Gunny: «La production locale, une question de fond, de réformes, de choix de société, qui nécessitent un consensus national»

Se recentrer sur la production locale pour réduire la note d’importation... Ce débat date... Mais la pandémie, qui a fortement perturbé le commerce mondial, nous pousse maintenant plus que jamais à produire et à consommer local. Shirin Gunny, qui lutte depuis huit ans pour revaloriser le «fait-à-Maurice», évoque les réformes à entreprendre et les défis à relever...

À l’aube de 2022, quel bilan faites-vous de la production locale face à l’urgence de se recentrer sur nos capacités de production avec l’émergence du Covid ?

Cela fait plus de 25 ans que notre association-mère, l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), mène un plaidoyer pour la reconnaissance de la production locale. Le label Made in Moris fêtera ses 10 ans en 2022. La pandémie a été révélatrice des faiblesses de notre modèle économique liées à notre forte dépendance des importations et à notre insularité. Cela fait près de deux ans que nous subissons les conséquences de la hausse du coût des matières premières et de l’interruption des chaînes logistiques mondiales. Du point de vue du label Made in Moris, il y a des actions spécifiques à mener. On parle de l’avenir de nos marques et il serait impensable de se limiter à leur simple promotion. Il faut en même temps promouvoir auprès de nos marques locales ces re-questionnements stratégiques sur nos modes de production et de consommation. Ces réponses, nous devrons les cocréer avec tout l’écosystème autour de nous. De 2021, nous retenons que le label est plus attractif que jamais. Nous avons accueilli 38 nouvelles marques contre 20 seulement en 2020 et les demandes viennent autant de petites entreprises que de grandes organisations, qui voient la valeur ajoutée du label. Nous avons aussi posé de vrais jalons pour devenir une agence de local sourcing et d’expertise pour l’industrie touristique. Soulignons surtout qu’en 2021, l’AMM a obtenu une première consultation pré-budgétaire historique avec le ministre des Finances dans laquelle Made in Moris avait son importance.

Face à la dégringolade constante de la valeur de la roupie, les dernières statistiques confirment la tendance haussière du déficit de notre balance commerciale. On en parle encore et toujours, mais dans le concret, comment réduire notre dépendance à l’importation à court et moyen termes ?

En soutenant nos produits locaux, en achetant local et en encourageant ces entrepreneurs qui ne cessent d’innover et de s’engager sur le marché domestique. Il faut reconnaître que ce message passe déjà auprès de l’État, qui inclut Made in Moris et la production locale dans son ensemble dans ses exercices budgétaires depuis 2018. Le plan Made in Moris du SME Mauritius Scheme, la marge préférentielle de 40 % pour les produits Made in Moris des PME dans les achats publics, plus de shelf space pour les produits locaux dans les supermarchés sont autant de mesures qui donnent de l’espoir. Maintenant, c’est la traduction de ces mesures budgétaires sur le terrain qui tardent à se structurer.

Il est clair qu’il nous faut une réforme solide pour que les investissements privés et étrangers soient redirigés vers la production locale, ce qui créera des emplois et de la valeur tout en rétablissant notre balance commerciale. Par où commencer ?

Rediriger veut bien dire changer de direction, c’est très certainement ce qu’il faut pour les investisseurs comme pour ceux qui ont la vocation à lever ou à capter ces investissements. La complexité se situe sûrement au niveau de notre diversité économique, qui est une force et qui donne à la fois la liberté aux opérateurs d’aller au plus profitable. Sur ce point, l’AMM a toujours insisté pour que la production locale revienne au-devant de la scène économique et des priorités ; le label Made in Moris en a été l’outil principal et maintenant il faut reconnaître qu’il appartient à tout le monde de faire des choix de plus en plus éclairés sur notre balance commerciale.

Une roupie dépensée sur un produit local plutôt que sur un produit importé, réduit notre déficit commercial, une roupie investie dans la production locale rapporte plus à notre économie. À un moment où la devise étrangère est précieuse, ce n’est pas négligeable. Si on parle d’investissement, il faut se poser une question fondamentale : que veut-on trouver sur nos étagères et dans nos caddies aujourd’hui ? Il faut effectivement une nouvelle vague d’investissement dans la production locale. L’objectif fondamental est de perfectionner les savoir-faire pour fabriquer des produits essentiels et sophistiqués. Discutons ensemble de la production locale d’items consommables au quotidien sur un territoire insulaire avec un potentiel à l’export. Sur ce sujet, le label Made in Moris aura aussi sa part à jouer ; l’avenir du label est de faire rayonner nos marques locales hors de nos frontières. Il s’agit d’une question de fond, de réformes, de choix de société qui nécessitent un consensus national.

 

«On parle de l’avenir de nos marques et il serait impensable de se limiter à leur simple promotion.»

 

Par exemple, l’AMM prépare des projets pilotes de relance de filières agroalimentaires et adopte une approche interprofessionnelle. Ainsi, l’on peut faire converger les activités de l’agriculture, l’élevage, la pêche avec celles de nos industriels. Cela permettrait de dégager de vraies perspectives et des ressources à affecter à ces métiers, créant ainsi un environnement viable à des investisseurs. Rappelons que l’industrie locale pèse 8,5 % du PIB et génère Rs 27 milliards par an. Elle représente aussi 150 000 emplois directs et indirects. Tout investissement doit nous permettre d’engager la transition vers des modes de production et de consommation durables.

Nous sommes signataires de plusieurs accords dont l’AfCFTA, le CECPA avec l’Inde et l’accord de libre-échange avec la Chine. Autant d’opportunités, mais y accordons-nous suffisamment d’importance ?

Voici notre réalité : le marché domestique est limité ; la petitesse de notre marché est un fait. Cela implique des contraintes et limites en termes de croissance et de pérennité. Il faut s’intéresser aux opportunités qui existent sur nos marchés régionaux, notamment les pays africains et ceux de la région océan Indien. De notre côté, nous croyons beaucoup dans le potentiel de la région océan Indien. Nos îles ont une histoire commune avec des défis communs et des opportunités à développer ensemble. La région pourrait devenir un hub de production, en circuit court, pour desservir les pays avoisinants et se défaire, par exemple, de la dépendance des compagnies de fret qui estiment que notre région n’est plus attractive.

L’absence d’une économie d’échelle et le besoin d’importer des matières premières sujettes à une hausse des prix sont les raisons qui découragent la production locale. Que répondez-vous à cela ?

Ce n’est pas simple, en effet. Il y a la question du level-playing field. Je vois le découragement mais en même temps, la persévérance de chefs d’entreprise qui se battent pour maintenir leurs activités. Un producteur local est avant tout animé par un sens des responsabilités. Car sa responsabilité est de produire pour des familles mauriciennes qui comptent sur vous et de conserver l’emploi de milliers de Mauriciens.

Tout est aujourd’hui une question de leadership, de volonté et de vision. Il faut re-engineer toute notre politique économique en faveur d’une production locale de qualité, basée sur de nouveaux savoir-faire, de nouvelles technologies et de nouveaux investissements productifs. À l’heure où on se parle, il y va de la survie de toutes les entreprises locales du pays, pas seulement celles qui sont membres de l’AMM et de Made in Moris.

Cette année, malgré les difficultés, 30 entreprises de l’AMM et de Made in Moris ont suivi un parcours sur l’écoconception pour s’inscrire dans une démarche de production responsable. 15 entreprises de Made in Moris ont, de leur côté, suivi le programme de Sustainable Island Mauritius de la Tourism Authority pour développer de nouveaux produits et services pour l’industrie touristique. Nous terminons l’année avec 40 marques qui ont déjà fait leur demande pour entrer dans Made in Moris dès 2022.

La production locale reste attractive. Il faut aujourd’hui un mouvement des secteurs public et privé pour la rendre compétitive. Le capitalisme traditionnel ne peut plus drive nos orientations économiques. Tout ne peut pas être vu seulement à travers le prisme du prix. Il faut penser à cette roupie que l’on dépense, qui soutient une entreprise locale et qui reste dans notre économie, avec un effet multiplicateur.

Quels sont vos projets pour 2022 ?

2022 sera une année charnière pour Made in Moris qui fêtera ses 10 ans. Nous sommes désormais installés aux Kocottes et avons une équipe de trois relationship executives. Nous allons entamer une collaboration avec la MTPA et continuons notre partenariat avec la Tourism Authority. Le tourisme et la production locale, c’est une win-win pour les deux. Nous dévoilerons en 2022 notre nouveau cahier des charges qui nous permettra d’accueillir enfin des entreprises dans l’industrie des services. Ensuite, avec notre association-mère, l’AMM, nous lancerons un nouveau véhicule pour accélérer la transformation de la production locale.