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Sortie de Maurice de la liste grise: Semaine cruciale pour la juridiction qui retient son souffle

20 octobre 2021, 20:30

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Sortie de Maurice de la liste grise: Semaine cruciale pour la juridiction qui retient son souffle

Sur papier, tout indique que le pays quittera la liste des juridictions à risque à l’issue de la réunion plénière du Groupe d’action financière prévue du 17 au 22 octobre. Pour cause, les efforts déployés pour se mettre dans les bons papiers de l’organisme ont été impressionnants. Mais rien n’est encore joué même si l’«International Cooperation Review Group» a déjà donné un avis favorable.

Dans deux jours, l’île Maurice sera soit en larmes soit en joie. En joie, si les travaux de l’assemblée plénière du Groupe d’action financière (GAFI), organisme chargé «d’examiner et d’élaborer des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux», annonce officiellement que la juridiction mauricienne ne figure plus sur sa liste grise pour manquements dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En larmes, si en dépit de tous les efforts de Maurice pour démontrer sa détermination à se mettre aux normes dans ce domaine, le GAFI décide que la juridiction doit rester sur sa liste grise et par ricochet sur la liste noire du Royaume-Uni et de l’Union européenne.

Si la tendance générale chez la grosse majorité des acteurs des services financiers locaux indique une forte possibilité d’une sortie de cette liste grise du GAFI, qui a jeté de la boue sur la réputation du secteur, la prudence est de mise. Celui qui démontre une «prudence optimiste» n’est autre que l’ex-ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance, Sudhir Sesungkur. Il donne les raisons de son sentiment. «Lorsque j’étais ministre des Services financiers, je me suis fait un devoir d’assister aux travaux des instances du GAFI. J’ai été témoin de leur fonctionnement. Il ne faut jamais se laisser emporter par un optimisme débordant même si tous les facteurs d’une éventuelle sortie de cette liste grise sont en faveur de la juridiction mauricienne. Le GAFI a ses propres raisons et peut décevoir ceux qui sont trop convaincus que Maurice quittera cette liste. C’est ce qui motive mon optimisme prudent.»

Extrait d’un document pour l’incorporation d’une compagnie avec les services de Trident trust, aux îles Vierges britanniques. Parmi la cheklist, il faut que la source de fonds et que ls activités ne se tiennent pas dans une juridiction «grey-listed».

Invité à donner son avis, l’actuel ministre de tutelle, Mahen Seeruttun, préfère poser non pas un doigt mais toute une main sur sa bouche. «Attendons le 21 octobre.» Pour cause. Le GAFI reste intransigeant à l’égard des dirigeants d’un pays placé sur sa liste grise, si l’un d’eux ose le devancer pour annoncer une décision favorable même si ces dirigeants savent que les choses vont dans ce sens. Cela pourrait pousser le GAFI à revenir sur sa décision. Autrement dit, la confidentialité doit être respectée à la lettre.

Pourtant les signes d’une sortie possible existent bel et bien. L’un d’eux vient du dernier rapport de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering ( ESAAMLG), bureau régional du GAFI. Maurice est en conformité sur 26 des 40 recommandations du GAFI. 12 autres sont qualifiées de largement conformes et une seule est partiellement conforme. Cela signifie que sur papier, Maurice n’est plus sur la liste des mauvais élèves. Se basant sur ces données, Sudhir Sesungkur estime que puisque le GAFI va se baser sur les observations de son bureau régional pour se prononcer sur le sort de Maurice, techniquement, il n’y a aucune raison de maintenir le pays sur cette liste.

Pour Samade Jhummun, le CEO de Mauritius Finance, qui regroupe les acteurs des services financiers, les efforts déployés par la juridiction pour démontrer que son placement sur la liste grise du GAFI n’a été qu’un accident de parcours témoignent de sa volonté de se conformer. Pour lui, ce sera un événement de taille, en 2022, au moment de l’évaluation de la compatibilité de la juridiction au respect des recommandations du GAFI. «Je suis très satisfait des efforts déployés par les autorités publiques et privées pour se conformer aux exigences du GAFI. La juridiction a fait montre d’une capacité remarquable à soigner sa résilience et à s’adapter dans le contexte difficile de l’émergence inattendue de la pandémie de Covid-19. Une éventuelle sortie de la liste grise du GAFI devrait inciter la juridiction à se positionner comme une juridiction de renom dans cette partie du monde.»

Marc Hein, de Juristconsult Chambers, un cabinet spécialisé dans les activités du secteur financier, estime que Maurice a toutes ses chances. «Les étoiles sont bien placées pour que Maurice sorte de cette maudite liste du GAFI. On ne peut rien faire d’autre maintenant, sauf attendre le résultat. Alea jacta est. Rien n’est plus entre nos mains. Sauf s’assurer que cela ne se reproduise plus en mettant tout en œuvre pour que chacun, du privé au public, fasse son travail selon la bonne gouvernance.»

Vu dans les «Pandora Papers»: «Jurisdiction not on FATF grey or black list»

«Où se tiendront les activités qui alimenteront les actifs de la compagnie ?» «La juridiction est-elle sur la liste grise ou noire du FATF?» Ces questions figurent sur les formulaires classiques de Trident Trust aux îles Vierges britanniques (BVI). Trident Trust est une des 14 sociétés dont les données ont fuité jusqu’à l’ICIJ et les 600 journalistes qui ont travaillé sur les «Pandora Papers», une enquête internationale sur les richesses dissimulées dans l’offshore. Jaye Jingree, financier proche de feu sir Anerood Jugnauth, et dont l’«express» a révélé les «dealings» aux BVI, par exemple, a lui-même utilisé les services de Trident Trust, selon les documents que nous avons consultés. À l’époque, Maurice n’était pas sur la liste grise, et il a bien pu cocher la case «Jurisdiction not on FATF grey or black list», que ce soit dans la section des activités de ses compagnies ou bien dans la partie «Beneficial Owner Information».

Techniquement, les BVI – comme toutes les juridictions du monde – déclinent des fonds provenant de juridictions se trouvant sur la liste grise du FATF, jusqu’à une vérification approfondie. Mais les «Pandora Papers» ont démontré la faiblesse des procédés de KYC et «due diligence» dans toutes les juridictions ciblées par l’enquête. Aujourd’hui avec l’éventuelle sortie de Maurice de la liste grise du FATF, le commerce international et les échanges de services entre Maurice et d’autres pays ainsi que le mouvement de fonds à partir de Maurice devraient être moins laborieux. Une sortie de la liste grise voudrait aussi dire que le FATF est moins inquiet face au mouvement de fonds «illégaux» de Maurice vers d’autres pays.