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Rashid Hossen: «Seules les entreprises surendettées peuvent licencier pour une restructuration financière»

19 août 2021, 21:30

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Rashid Hossen: «Seules les entreprises surendettées peuvent licencier pour une restructuration financière»

Le 30 juillet, Rashid Hossen, a été reconduit à la présidence du «Redundancy Board». Deux ans après sa création et dans un contexte économique difficile, l’instance a du pain sur la planche et se penchera bientôt sur l’épineux dossier d’Air Mauritius. Entre-temps, le «Finance Bill» voté le mardi 3 août, apporte de nouveaux amendements à ses pouvoirs…

Démarrons par Air Mauritius. La vague de licenciements a-t-elle démarré ?
La compagnie d’aviation nationale a avisé le Redundancy Board (RB), il y a deux semaines que pour des raisons économiques, elle compte réduire le nombre de son personnel à 1 000. Actuellement, Air Mauritius (MK) emploie 2 300 personnes. La demande a été logée pour un licenciement économique. Les administrateurs ont commencé par les 18 pilotes, après la vente de deux avions. L’affaire a été appelée devant le RB qui entre-temps, a proposé aux pilotes et à Air Mauritius de considérer la possibilité de trouver un accord. C’est ce qui a été fait éventuellement car, lorsque l’affaire a été appelée pour être écoutée sur le fond, le samedi 7 août, les deux parties nous ont informé qu’elles ont pu trouver un accord. L’affaire a donc été classée et aucun jugement n’a été prononcé dans ce cas.

Quid des 1 300 autres dossiers ?
Les 1 300 dossiers ne sont pas encore devant le RB. Nous avons uniquement été prévenus du cas des 18 pilotes. Mais on a été informé d’autres cas qui seront soumis au RB car le but est de ramener le nombre d’emplois à MK à 1 000.

Air Mauritius a bénéficié de la dérogation du ministre du Travail. Que permet-elle au juste ?
Il faut comprendre que le RB a la juridiction pour trancher sur les cas des entreprises qui comptent un chiffre d’affaires annuel d’au moins Rs 25 millions, ou qui emploient au moins 15 personnes. Les compagnies sous cette catégorie ont l’obligation de négocier et de consulter leurs employés ou les représentants syndicaux de ces derniers avant d’entamer une quelconque action. Cependant, en raison de l’impact du Covid-19 depuis le premier confinement, une loi est venue empêcher ces entreprises de licencier pour des raisons économiques. Récemment, cette loi a été étendue au 31 décembre 2021. Mais, en cas de licenciement pour les mêmes raisons précitées, les employés concernés peuvent venir devant le RB pour demander leur réintégration ou le paiement d’une severance allowance, soit des indemnités équivalentes à trois mois de salaire par année de service.

Cependant, une dérogation est applicable pour certains secteurs, dont l’aviation. Elle permet aux entreprises concernées d’autoriser la non-tenue de négociations au préalable. Pour bénéficier de cette dérogation, les entreprises doivent formuler au ministère du Travail leur intention de réduire leur personnel pour des raisons économiques. À sa discrétion, le ministre de tutelle décide de l’accorder ou pas. Ainsi, l’entre- prise vient devant le RB, qui passe en revue sa situation financière et le choix fait par ses employés. On cherche, notamment, à comprendre le choix des employés ciblés ou encore si cette démarche est raisonnable. Si le RB trouve qu’il s’agit d’un licenciement justifié, la compagnie ne paie qu’un mois d’indemnité aux licenciés. En revanche, s’il est établi que le licenciement est injustifié, l’employé perçoit l’équivalent de trois mois de salaire par année de service.

Au total, depuis sa création en novembre 2019, combien de cas ont été référés au RB ?
À ce jour, le RB a reçu 253 demandes. Celles-ci incluent des entreprises qui ont signifié leur intention de réduire leur personnel, de mettre la clé sous le paillasson mais aussi des requêtes d’employés remerciés pour des raisons économiques. 238 demandes ont déjà été examinées, alors que les 15 autres sont toujours en cours.

Les licenciements ont-ils augmenté depuis les deux confinements ?

On ne peut pas dire qu’il y ait une tendance à la hausse, vu que la loi empêche les entreprises de licencier. Cela dit, certains employés remerciés viennent devant nous pour être réembauchés ou pour réclamer des indemnités. Il y avait beaucoup plus de cas de licenciements avant que cette loi n’entre en vigueur.

Le «Finance Bill» a apporté des amendements qui changent quelque peu le fonctionnement du RB. Qu’est-ce qui change pour les employés ?
Deux amendements majeurs ont été votés par le Parlement récemment. En tenant compte que la loi empêche les entreprises de licencier économiquement jusqu’au 31 décembre, il y avait et il y a toujours cette possibilité qu’une firme fasse une demande d’emprunt auprès des trois compagnies citées dans la Workers’ Right Act. À savoir la Mauritius Investment Corporation (MIC), la State Investment Corporation (SIC) et la Development Bank of Mauritius (DBM). C’est une sorte de dérogation. Si cette demande d’emprunt est rejetée, la compagnie peut alors venir au RB et nous dire qu’elle n’a pas d’autre choix que de licencier des employés. Encore une fois, si le licenciement est justifié, ceux lésés bénéficient d’un mois d’indemnité, alors qu’au cas contraire, l’employé percevra trois mois de salaire par année de service.

Pour revenir aux deux amendements, le premier concerne la demande de licenciement pour raison de restructuration financière. En d’autres mots, au lieu de faire une demande d’emprunt auprès des trois institutions précitées, la compagnie s’adresse au RB en avançant comme raison qu’une demande d’emprunt aurait pour conséquence une dégradation de sa situation financière, voire une éventuelle faillite. L’entreprise doit, de ce fait, prouver qu’elle est surendettée et que contracter un emprunt additionnel ne devrait qu’accroître en substance le risque qu’elle se dirige vers la faillite.

Pour être écouté, le demandeur doit d’abord satisfaire plusieurs critères. Il doit soumettre un document au RB attestant l’approbation du board of directors à ce recours. En absence d’un conseil d’administration, le demandeur doit soumettre une attestation de la demande de restructuration financière par la personne qui est aux commandes de la compagnie. Ensuite, au moment d’effectuer sa requête, des informations additionnelles relatives aux actifs et passifs de la compagnie doivent être soumises.

L’employeur doit fournir les données nécessaires sur l’entreprise, sa situation et ses difficultés financières. Il doit prouver que cette restructuration financière va l’aider à repayer ses dettes, à obtenir suffisamment de cash-flow pour mener à bien ses opérations et remettre l’entreprise sur les rails. L’employeur doit nous informer du nombre d’emplois qu’il pourra sauver en ayant recours à la restructuration financière.

Si tout ce qui est mentionné plus haut peut être prouvé, le RB pourra alors décider si la demande est justifiée et s’il n’y aura aucune severance allowance à payer. Mais si l’entreprise n’arrive pas à le faire ou s’il y a des manquements dans la présentation du dossier, toute demande de licencie- ment sera considérée comme injustifiée.

Donc, c’est un peu comme si l’on autorisait le sacrifice d’un bras ou d’une jambe au lieu de la tête ?
Cet amendement devrait aider une entreprise à ne pas disparaître et à maintenir l’emploi de pas mal d’employés. Il est vrai que le bonheur des uns peut faire le malheur des autres mais au moins, ce ne sera pas fait dans l’opacité. Les procédures seront suivies devant une institution quasi-judiciaire qui a tout examiné. Au lieu de faire couler le bateau complètement, on aura sauvé ce qu’on a pu. On n’est pas un rubber-stamp, ce n’est pas comme si une entreprise présentera devant nous des documents et qu’automatiquement, nous lui dirons de ne rien payer. Tous détails seront analysés à fond.

Le RB a-t-il un délai précis pour tout analyser ?
Tout doit être fait dans un délai de 30 jours. Ce délai inclut l’examen des documents, les témoignages, les plaidoiries des avocats et la préparation du jugement. Cependant, s’il y a un accord entre les parties, on peut étendre le délai pour écouter l’affaire mais ce sera toujours fait selon les paramètres de la loi.

Et si, en épluchant les comptes, vous vous rendez compte que le Covid n’est qu’un prétexte ? Et s’il est clair que la situation actuelle aurait pu être évitée si des décisions appropriées avaient été prises plus tôt ?
Il faut savoir que le RB n’entre pas dans le domaine du mismanagement. Il n’a pas ce pouvoir. Il est habilité à se prononcer uniquement sur le statut financier de l’entreprise. C’est-àdire, l’entreprise se trouve-t-elle dans des difficultés financières qui ne lui donnent aucun autre choix que de licencier économiquement ? Ce n’est pas qu’on ferme les yeux volontairement mais ce que vous dites n’est pas de notre juridiction. Ce sont des choses qui peuvent être portées devant d’autres instances.

Qu’en est-il du second amendement ?
Le deuxième amendement concerne la création d’un service de médiation et de conciliation au sein du RB. Celui-ci se penchera sur tous les cas de restructuration financière, technologique, structurelle et des cas similaires.

Le ministère du Travail ne compte-t-il pas déjà une commission de médiation et de conciliation?
Ce n’est pas le même que celle du ministère du Travail. Celle-ci n’est pas dotée d’attributs judiciaires. Elle ne concerne que les relations industrielles et non le licenciement économique. La médiation et la conciliation dont on parle doivent être effectuées avec le consentement des deux parties. Le RB va considérer, entre autres, le réembauchement des employés ou leur réintégration dans une autre entreprise, à savoir une sister company. Une considération qui peut être mise sur la table : l’employeur qui choisit de fournir une formation à ses employés à ses frais. Au lieu d’opter de ne rien payer comme severance allowance et d’avoir recours au licenciement, l’employeur peut dire que les employés seront en formation à ses frais, même si l’entreprise ne fonctionne pas à 100 %.

Quel que soit le cas, la loi oblige le paiement de 15 jours de salaire par année de service dans des cas de licenciement. Mais dans le cas d’une conciliation, on peut prendre en considération non seulement la proposition de l’employeur de payer au moins 15 jours par année de service et y ajouter le paiement de quelques semaines ou 1 à 2 mois supplémentaires (au lieu de 3 mois). Si cet accord est conclu, il doit être en écrit et signé par les deux parties. Cet accord devient un ordre du RB. Et si un ordre du RB n’est pas respecté, la peine encourue est une amende maximale de Rs 25 000 ou une peine de deux ans d’emprisonnement.

En quoi ce service de conciliation et de médiation changera-t-elle la donne pour les employeurs et les employés ?
Ce pouvoir étendu au RB sera destiné aux deux parties et permettra de travailler sur un plan plus flexible. La loi telle qu’elle est, lorsque des dossiers viennent devant nous, permet le paiement de trois mois de salaire par année de service ou rien du tout. La médiation et la conciliation peuvent permettre d’autres possibilités dans les paramètres de la loi. Par exemple, dans le cas d’une compagnie qui emploie 500 personnes et qui demande une réduction de 100 d’entre elles pour des raisons économiques, il peut y avoir un accord où seuls 25 ou 50 employés soient remerciées. Puis, on va voir dans le futur ce que ça donne, s’il y aura un redressement possible. Le paiement de trois mois de salaire par année de service peut être très coûteux à une entreprise et à l’employé qui, malheureusement, ne peut rien obtenir, si le licenciement s’avère justifié. La conciliation aide ainsi à être une in-between entre ces deux extrêmes.

Quand cette commission devrait-elle voir le jour ?
Vu que cette loi a obtenu l’approbation du président de la République le 5 août, la commission a déjà été créée sous ma présidence. Par ailleurs, les amendements votés récemment font état du compromised agreement. Jusqu’à récemment, celui-ci était discrétionnaire. À la suite de jugements du RB, le Parlement a vu la nécessité de le rendre obligatoire. Quand un employeur formule son intention d’un licenciement économique et qu’il conclut un accord avec l’employé/s et que les deux parties signent un document, avant que celui-ci n’ait lieu, le document doit être vérifié par une tierce personne – un avocat ou un syndicaliste, par exemple. Maintenant, cette procédure est obligatoire. C’est une étape importante car cela évitera beaucoup d’abus, soit forcer, par exemple, un employé à signer le document. Désormais, il doit être vetted par une tierce partie.

Avec les nouveaux amendements apportés, ne sommes-nous pas retournés au système «hire and fire» ?
Vous savez, quand la Labour Act a été votée au Parlement en 1975, elle a créé le Termination of Contract Service Board (TCSB). En 2008, le gouvernement a trouvé que le TCSB souffrait beaucoup de lenteur administrative surtout que, dans certains cas, l’entrepreneur et l’employé attendaient des années avant qu’une demande ne soit exécutée. Cette même année, c’est-à-dire en 2008, la décision de fermer le TCSB a été prise mais l’instance n’a pas été remplacée par une institution judiciaire avec un droit de regard sur les abus commis et les licenciements économiques. Pendant cinq ans, c’était cela la période de hire and fire. En 2013, on a introduit une unité au sein de l’Employment Relations Tribunal (ERT), connue comme l’Employment Protection and Promotion Division, dont moi-même j’étais le président.

Cette division se penchait sur les cas de licenciement, mais là encore, c’était dans un contexte très restreint. On ne pouvait que traiter les cas en- voyés par le secrétaire permanent du ministère du Travail. Si les licenciements étaient injustifiés, les employés pouvaient toucher des indemnités. En 2019, ce département de l’ERT a été fermé et le RB, beaucoup plus spécialisé, a été créé. Le RB compte huit membres, dont moi-même comme président, un vice-président, un comptable, un économiste, un représentant des ministères des Finances et du Travail, un représentant du patronat et un représentant syndical. Il faut bien comprendre que l’amendement autorisant le licenciement en s’appuyant sur la restructuration financière comme principale raison, ne concerne que des entreprises surendettées risquant fortement la faillite. Les demandes de celles qui arrivent à satisfaire les critères imposés par la loi et le fait, par exemple, qu’elles ne peuvent contracter d’autres emprunts, seront considérées par le RB.

Il y a quelques semaines, vous avez été reconduit comme président du RB par le Conseil des ministres. Avouons-le, le contexte s’annonce encore plus compliqué. Comment voyez-vous l’avenir ?
Je pense vraiment que le RB avait rendez-vous avec le destin. C’est vrai que juste après sa création en novembre 2019, le virus est apparu en Chine, le mois suivant. Depuis, le Covid-19 a fait le tour du monde et a entraîné des conséquences dramatiques partout, dont à Maurice. Au début même de l’avènement du RB, on analysait ces entreprises qui commençaient à souffrir des conséquences économiques du Covid. Il fallait trier les dossiers pour voir si les demandes de licenciement économique avaient trait aux répercussions car on ne pouvait pas tout mettre sur le virus. Quelques mois après, nous avons été confinés. On a rapidement instauré un système en ligne où on était en communication avec les employés et les entreprises.

Ensuite, la loi est venue empêcher les entreprises de licencier pour des raisons économiques. Cela nous a aidé en quelque sorte à examiner les dossiers qui étaient devant nous. C’est sans précédent, une loi qui empêche les employeurs de licencier. Malgré tout, il y en a qui le font, et les employés se tournent alors vers nous pour demander leur réembauchement ou le paiement de la severance allowance.

Le RB est à l’écoute des entreprises et des employés pour apporter une certaine solution et il continue à le faire. Les efforts du RB ont été reconnus, non seulement par le ministre du Travail au Parlement, mais aussi par le leader de l’opposition, qui a dit que l’institution a fait son travail et qu’elle a pu freiner des licenciements massifs pour des raisons économiques dans le pays.