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Yamini Moothoosamy: «La marge de profit des pharmaciens est restée la même malgré la hausse des prix»

10 août 2021, 14:15

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Yamini Moothoosamy: «La marge de profit des pharmaciens est restée la même malgré la hausse des prix»

L’augmentation du prix des médicaments à la vente est source d’inquiétudes chez les consommateurs. Les raisons avancées sont principalement la dépréciation de la roupie et la hausse sévère du coût du fret. Or, la marge de profit pour les pharmaciens est restée la même. Peut-on la réduire davantage ? La déficience structurelle de notre économie ne devrait pas causer la mort du secteur pharmaceutique privé, prévient-on.

La hausse des prix des médicaments fait débat. Comment le prix à la vente est-il fixé ?
D’abord, il faut rappeler qu’il y a eu une hausse des prix de toutes les commodités importées, y compris des médicaments, depuis la pandémie du Covid-19. Les médicaments sont importés de grossistes de différents pays. L’achat se fait en devises étrangères et l’expédition réalisée par voie maritime ou aérienne. Le taux de change dépendra de la date d’arrivée de la livraison à Maurice. Ainsi, si le produit est transporté en différents lots, différents prix sont appliqués, selon cette date.

On a analysé trois produits pharmaceutiques de 2008 à 2020 où le prix du producteur est resté le même mais, sur le marché mauricien, une hausse de leur prix a été notée en raison de l’augmentation du fret et de la dépréciation de la roupie. Le fait qu’on importe les médicaments a donc un impact sur les prix. En fait, le prix des produits pharmaceutiques est déterminé par le ministère du Commerce, sous les Consumer Protection (Consumer Goods) Maximum Mark-Up Regulations 1998– GN No.174 of 2004. Ces prix sont basés sur un système d’annotation. Ils sont fixés en se basant sur un taux maximal de 35 % sur le coût du prix du médicament, incluant les frais d’assurance et du fret, et 2 % comme une allocation spéciale sur le prix au débarquement. Ces 35 % constituent la marge totale du profit entre le coût du producteur et le prix final du produit vendu en pharmacie.

Lorsqu’une pharmacie grossiste reçoit une nouvelle cargaison, elle calcule le prix selon un système d’annotation fixé. Ce montant est soumis au ministère du Commerce à travers une unité dédiée. Lorsque la price fixing unit donne son aval, les pharmacies grossistes mettent les labels du prix au détail sur les médicaments et les livrent aux pharmacies pour la vente au client. Ainsi, ce dernier achète des médicaments dont les prix ont été approuvés par les autorités.

Quid de la marge de profit des importateurs et des revendeurs?
La chaîne d’approvisionnement des médicaments passe par plusieurs étapes. L’importation se fait dans le respect des protocoles stricts pour assurer la qualité et la température requise pendant le transport. Par exemple, certains médicaments doivent être stockés à 2-8 degrés et transportés par avion. Cela a un impact sur le prix final du produit car le fret est plus élevé. Vous me demanderez pourquoi avoir recours au transport aérien dans ce cas. C’est pour s’assurer que l’importation de médicaments sous température contrôlée se fasse sous des conditions strictes. Sans compter que si un produit est en rupture de stock à un moment donné, il peut être importé par voie aérienne afin de se réapprovisionner pour que le consommateur n’en souffre pas.

La marge totale de profit, soit les 35 % mentionnés plus haut, est divisée en trois catégories: 11 % pour les pharmaciens grossistes, 21, 6 % pour les pharmacies qui vendent ces médicaments au détail, et finalement 2 % en guise d’allocation spéciale. Cette marge de profit de 35 % figure parmi les profits les plus bas de la région et du monde.

Dans ce cas, qu’est-ce qui explique cette hausse drastique des prix des médicaments à la vente ?
La dépréciation de la roupie reste un des facteurs principaux qui affectent la hausse du prix. Les autres facteurs sont le coût du fret aérien et maritime. La roupie s’est dépréciée de 79,22 % depuis 1999, alors que le fret a connu une hausse de 400 % en deux ans. Il y a aussi eu une augmentation de plusieurs prix à savoir, celui de l’active pharmaceutical ingredient (API), des excipients (lactose, amidon, sucre, glycérine, solvant et capsules, entre autres) qui entrent dans la fabrication des médicaments. Raison pour laquelle des fois l’on trouve que différentes pharmacies vendent le même produit à différents prix. Si une pharmacie a stocké une grande quantité d’un même produit, son prix pourrait rester le même pendant un moment. Le prix de ce même produit, stocké en petit nombre dans une autre pharmacie, pourrait être différente car celle-ci reconstituera son stock plus souvent. Le prix du produit de ce lot va, à son tour, dépendre du l’importation par avion ou bateau.

Le rapport de la “Competition Commission” fait mention des lacunes du mécanisme de fixation des prix qui provoquent cette hausse des prix des médicaments à la vente. Ce mécanisme est-il dépassé selon vous ?
Au vu des explications données plus haut, seule l’appréciation de la roupie et des coûts de fret plus abordables pourraient amener une réduction des prix. Bien que la marge de profit ait été ramenée à 35 % en 2004, cela n’a pas mené à une baisse des prix pour les clients. La Competition Commission fait mention d’un système d’annotation régressif comme solution à la hausse des prix, mais avec l’insistance qu’une étude du secteur doit être effectuée pour examiner sa viabilité. Cependant, même si on introduit un système d’annotation régressif, avec la dépréciation de notre roupie et le fret qui ne cesse de prendre l’ascenseur, le prix des médicaments sera toujours à la hausse dans les années à venir. Car, on dépend des facteurs externes liés à l’importation.

Le leader de l’opposition a mentionné l’importation parallèle de médicaments pour apporter plus de flexibilité dans les prix, dans le concret est-ce réalisable?
À Maurice, on a déjà accès à bon nombre de médicaments génériques. Bien qu’on ait accès aux originaux et aux génériques, avec le processus d’importation, les deux sont affectés par la dépréciation de la roupie et le coût du fret. En dépit de l’arrivée de plus de génériques sur le marché privé, on sera toujours touché par des facteurs externes liés à l’importation. Dans la foulée, on doit aussi s’assurer qu’avant l’importation, des conditions financières, techniques et opérationnelles infaillibles soient imposées aux importateurs parallèles. On doit également veiller à ce qu’il y ait une conformité stricte à la pharmacovigilance, la traçabilité et la stabilité optimale du produit. Tout importateur devrait soumettre des données de bioéquivalence pour soutenir la qualité et l’authenticité du produit afin d’assurer la sûreté du client.

D’autre part, un laboratoire de tests national doit être mis sur pied le plus tôt possible à Maurice en vue d’assurer la qualité et la bioéquivalence des produits acquis à travers l’importation parallèle. Cela, en raison de la sévérité des répercussions techniques et économiques de l’introduction de l’importation parallèle. Toute demande d’importation parallèle irresponsable ou hâtive pourrait non seulement mettre en danger la santé des Mauriciens, mais aussi causer des dommages collatéraux incontrôlables.

Encourager l’utilisation des médicaments génériques a aussi été abordé, pourquoi ne pas l’appliquer?
Le générique est créé dans l’optique d’être le même qu’un médicament original approuvé en termes de dosage, sûreté, force et mode d’administration, de qualité et des caractéristiques de performance. En d’autres mots, le médicament générique fonctionne de la même façon et octroie les mêmes avantages que la version originale. Ce type de médicament doit être soumis au même processus d’enregistrement et avoir un même certificat de bioéquivalence que son homonyme original.

À Maurice, on a des médicaments originaux et suffisamment de génériques auxquels le public a accès. Malgré la disponibilité des génériques sur le marché, on est toujours affecté par la hausse des prix des médicaments, dont les génériques en raison des facteurs liés à l’importation.

Entre la hausse du coût de la vie et celle du chômage, une augmentation des prix des médicaments tombe mal, à court terme, alors que l’achat de médicaments soit subventionné pour les plus vulnérables est une option?
À Maurice, on a l’avantage d’avoir un service de santé gratuit qui permet aux personnes vulnérables d’y avoir accès et aux médicaments. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de subsides sur les médicaments vendus en pharmacie, du fait qu’on peut obtenir des médicaments gratuitement dans des institutions de santé publiques. Le gouvernement est en train d’assurer que le public dispose d’un accès continu à ces médicaments.

L’association des pharmaciens est très concernée par les discussions en cours, sur les modifications du système d’annotation relatif aux médicaments. Toute réduction du profit actuel amènera des conséquences sévères pour le secteur car les pharamcies opèrent une marge de profit finale de 1 % à 5 %, après la déduction des dépenses. Ainsi, toute baisse dans la marge du profit ou l’introduction d’une annotation régressive va affecter directement le secteur et risquer de le mettre en danger. Les pharmacies d’officine comprennent principalement 400 petites et moyennes entreprises, qui contribuent à l’emploi de milliers de personnes. Lorsque notre devise est dépréciée constamment, la déficience structurelle de notre économie ne peut pas et ne devrait pas causer la mort du secteur pharmaceutique privé.

Une pharmacie n’est pas uniquement un commerce, mais elle s’assure que le public ait accès à des médicaments sûrs et effectifs à tout moment, tout en octroyant des conseils et les soin voulus aux patients. L’importance de la pharmacie a été rendue à l’évidence pendant le confinement, lorsque ce commerce devait assurer le service perpétuellement à la population.

Que préconisez-vous pour stabiliser les prix de vente?
On espère qu’on verra bientôt l’appréciation de la roupie avec la réouverture de nos frontières. Une baisse éventuelle du taux du fret aérien et maritime va également assurer que le coût des médicaments connaisse une baisse. Heureusement que le service de santé publique absorbe l’augmentation du coût des médicaments pour des personnes à faibles revenus et vulnérables. S’il y a une percée d’assurance santé, on pourrait mieux gérer la situation actuelle de la hausse du prix des médicaments. Bien qu’on avoue qu’il y a du chemin à faire pour augmenter les couvertures d’assurance santé, il y a suffisamment de traction, année après année, pour suggérer qu’éventuellement, avec le temps, un grand nombre de salariés vont recevoir une couverture d’assurance santé et indirectement se protéger contre la hausse des prix des médicaments. Le gouvernement pourrait offrir des incitations pour motiver les organisations privées à souscrire leurs employés à une assurance de santé privée.