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Tendance inflationniste et conjoncture internationale: on nous saigne à blanc

30 juin 2021, 21:30

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Tendance inflationniste et conjoncture internationale: on nous saigne à blanc

Covid-19 oblige, à Maurice comme dans le monde nous sommes tous depuis plus d’un an maintenant dans une situation défavorable au commerce mondial et à la consommation. Si le coût de production des aliments et produits divers est plus élevé dans les pays exportateurs, Maurice qui importe des milliards de roupies de produits s’en retrouve directement impacté. Ajoutez à cela la dévaluation continuelle de notre monnaie, et la descente aux enfers commence.

3,2 %, c’est le taux d’inflation attendu pour 2021 selon le dernier rapport de MCB Focus. Si cette estimation est déjà plus élevée de 0,7 % comparativement à celle de 2020, préparez-vous, car il est fort probable que l’on assiste à une montée en flèche de l’inflation, conséquence directe de la politique monétaire de la Banque centrale qui a sévèrement dévalué notre monnaie locale lundi. En effet, la dernière intervention de la BoM sur le marché de change avec la vente de USD 25 millions à un taux de Rs 42,50/USD a immédiatement conduit à un bouleversement sur le marché, forçant le réajustement des taux de change par les banques commerciales, avec un dollar qui se vendait à Rs 43,05 à la State Bank of Mauritius (SBM) hier soir.

Résultat, avec la hausse du coût du fret qui bat déjà tous les records et le coût des produits dans leur pays de fabrication qui prend l’ascenseur, préparez-vous à une nouvelle flambée de prix que cela soit pour votre café ou vos médicaments. C’est la dévaluation de la roupie qui l’exige.

Pour commencer, voyons le contexte mondial. Selon un rapport de la Food and Agriculture Organization (FAO) qui date du 3 juin dernier, en mai 2021, le taux du Food Price Index était de 39,7 % plus élevé qu’en mai 2020, avec pour conséquences une augmentation des prix des denrées à l’international. À Maurice, selon Statistics Mauritius, l’Import Price Index (IPI) a augmenté de 6,6 % au dernier trimestre de 2020 comparé au premier trimestre de 2021.

Au niveau mondial, le coût du fret affiche des augmentations records incluant un manque de containers pour le transport des marchandises à cause des restrictions dues au Covid-19 dans plusieurs pays du monde, sans oublier le bouleversement de la logistique avec les transbordements plus nombreux, qui accentuent la pression sur le coût du fret. «C’est un record. Selon une analyse de Drewry Shipping, un cabinet de conseil dans le domaine des transports mari- times, le coût du transport d’un conteneur depuis Shanghai (Chine) jusqu’à Rotterdam (Pays-Bas) est aujourd’hui de 10552 dollars (8705 euros). Soit un montant 5,4 fois plus élevé que le coût moyen sur les cinq dernières années», peut-on lire sur le site en ligne Courrier International.

Tout cela démontre une situation défavorable aux consommateurs au niveau mondial. A Maurice pour bien remuer le couteau dans la plaie, nous devrons endurer une nouvelle hausse de l’inflation en conséquence de notre politique monétaire.

 

«L’importateur n’a pas d’autre choix que de reporter ces hausses sur le consommateur et il y a même le risque de l’indisponibilité de certains produits avec les difficultés pour avoir un container.»

 

Voyons la situation pour le fret. Le 20 mai dernier, le Freight Rate Notice pour la région Asie et couvrant la période du 1er juin 2021 au 14 juin 2021 indiquait que le coût du fret pour un conteneur de 20 pieds était à USD 2 700, USD 5 400 pour celui de 40 pieds et USD 5 600 pour celui de 40 pieds high-cube. Or, le 28 mai, un nouveau memo fait son apparition avec une nouvelle grille de prix soit, USD 3 350 pour un conteneur de 20 pieds, USD 6 700 pour celui de 40 pieds et USD 6 900 pour celui de 40 pieds high-cube, ajoutant au désarroi des importateurs qui n’auront d’autre choix que d’imposer ces hausses aux consommateurs.

Le film ne s’arrête pas là. Le 9 juin dernier, un autre Freight Rate Notice annonce que du 15 juin au 30 juin, le prix va davantage augmenter et passer à USD 4 000, USD 8 800 et USD 9 000 respectivement pour les trois différentes dimensions de conteneurs.

Selon Afzal Delbar, président de la Customs House Brokers’ Association, il faut ajouter à cela une hausse du General Fuel Surcharge Valid at Time of Shipment (VATOS), qui est attendu au mois de juillet. Le prix actuel est de USD 135, USD 270 et USD 270 pour les conteneurs de 20 pieds, 40 pieds et 40 pieds high-cube respectivement. «Il ne faut pas négliger qu’il est possible qu’il y ait des frais supplémentaires au Sea Priority GO, qui est actuellement à USD 1 000 pour transborder un conteneur en priorité.»

Au final pour certains produits, le fret représente 50 % de leur valeur. «Le dollar s’apprécie, de facto, le prix du fret augmente. Nous pouvons donc nous attendre à un effet domino sur le coût de la vie et à un impact sur la compétitivité du commerce international», ajoute-t-il.

De plus, Afzal Delbar relève que le fret est non seulement cher mais aussi qu’il y a une baisse dans l’offre pour les containers, ce qui impacte également l’importation des matières premières pour la production de l’industrie manufacturière et certains produits locaux. «Il n’y a pas de solution à court terme pour y remédier et nous devons nous adapter à cette nouvelle situation, mais nous attendons des mesures stratégiques de la part des décideurs politiques pour attirer davantage de compagnies maritimes afin de créer un environnement compétitif.»

De son côté, l’Association professionnelle des transitaires (APT) abonde dans le même sens et son président Mahendra Gondeea cache avec difficulté sa frustration face à cette situation. «L’importateur n’a pas d’autre choix que de reporter ces hausses sur le consommateur et il y a même le risque de l’indisponibilité de certains produits avec les difficultés pour avoir un container. Le temps que cela prend pour trouver de la place dans un container et sans oublier les transbordements de plus en plus longs. Aussi, à leur arrivée certains produits périssables sont proches de leur date d’expiration et doivent se vendre très vite pour limiter les pertes. Déjà que la situation est difficile, ajoutez-y la dépréciation de la roupie, c’est insoutenable.»

En première ligne, les importateurs nous partagent également leurs difficultés face à cette situation à l’instar de Suren Surat, le Chief Executive Officer (CEO) de SKC Surat Co. Ltd, distributeur de fruits et légumes. Il explique que 95 % de ses importations se font par voie maritime, et l’augmentation du fret vient s’ajouter au coût de l’entreprise. «Nous pouvons absorber une partie de ces hausses dans notre marge mais il y a des limites car nous avons aussi besoin de travailler.»

Donc au final, c’est le consommateur qui va payer plus cher. D’ailleurs, la hausse des prix de fruits et de légumes importés est déjà de près de 20 %. «Nous avons des produits locaux mais certains veulent consommer des raisins, des kiwis et d’autres fruits que nous devons importer, mais le consommateur a aussi un prix à payer. À titre d’exemple, nous importons les oranges d’Afrique du Sud, et quand la saison se termine nous bougeons vers l’Égypte», poursuit le CEO.

 

«Il n’y a plus vraiment de distinction avec ce que l’on appelle le haut de gamme, consommer normalement coûte plus cher.»

 

Toutefois, en vue de la situation économique, les consommateurs réfléchissent davantage avant de dépenser, et si le prix continue de grimper, le budget qu’accorde le consommateur à ces produits importés diminuera certainement. Donc résultat, l’entreprise diminue ses importations, et il faut ajouter à cela, l’impact du manque de commandes des hôtels. À ce jour, l’importation de fruit et légumes a été réduite d’environ 35 % au total. «Une chute assez conséquente», note Suren Surat.

Andrew Sin, directeur général d’Intermart (Mauritius), apporte aussi une nuance intéressante. «Il n’y a plus vraiment de distinction avec ce que l’on appelle le haut de gamme, consommer normalement coûte plus cher.» Selon lui, la situation avec le coût élevé du fret ne s’améliorera pas, et nous sommes bien partis pour encore une année de déboires, surtout en plaçant le contexte mondial dans le tableau général. «Cette augmentation des coûts, elle sera sur la durée. Les problèmes sont légion, s’il n’y a pas un problème de marchandise, il n’y a pas de containers, sinon c’est la surenchère pour le fret pour avoir ses produits rapidement, il y a les difficultés avec le transbordement et j’en passe. Mais le fait est que presque tout ce que nous consommons est importé, mais pour la production locale il faut importer la matière première, donc on n’y échappera pas.»

Quid de l’impact sur les habitudes des consommateurs ? Si ces derniers sont prudents, leurs habitudes changent rapidement dépendant de la situation. «Il y a eu un pic de consommation dans les supermarchés car les gens ne sortaient pas, ils n’allaient pas au restaurant par exemple. Maintenant il y a la réouverture de ces commerces mais il y a la dévaluation de la roupie. La situation évolue en permanence. Certains voudront trouver des alternatives moins chères ou changeront leurs modes de consommation», précise Andrew Sin.

Autre segment de la consommation, même problème : le coût de vos médicaments se verra également impacté. «Si le fret augmente par deux à trois fois, le prix des médicaments augmente considérablement», avance Avinash Dabydoyal, pharmacien, et cela, même si le marché des médicaments est contrôlé et que toutes les données sur les frais doivent être soumises au ministère du Commerce. En sus de la dépréciation de la roupie, il est à savoir que la marge maximale pour les grossistes est de 11 % et des pharmacies de 21,6 %.

Une grande partie des médicaments provient de l’Inde, mais ils sont aussi importés d’Europe, à savoir de la France, d’Angleterre, de la Belgique et de l’Allemagne. Il y a aussi l’Afrique du Sud et l’Australie. «L’importation de l’Inde se fait en dollars américains, donc nous sommes facturés en dollars. L’Europe nous facture en euro. En changeant de marché, il n’y a que le prix du fournisseur qui peut être plus compétitif. Mais même le prix du fabricant ou du fournisseur a connu une hausse en raison des matières premières plus coûteuses.»

Du coté des commerçants, même son de cloche, la situation est tout aussi difficile, même pour ceux dépendant des grossistes et particulièrement pour la vente de produits qui ne sont pas prioritaires. Selon Raj Appadu, président du Front commun des commerçants, pour ce qui est de ces produits moins prioritaires, les commerçants peinent à faire de la vente et l’on note une chute variant entre 80 et 85 %, ce qui fait que les magasins détiennent toujours leurs anciens stocks. «Lorsque la commande est passée et que les marchandises arrivent sur le sol mauricien et passent la douane, le prix de l’article flambe, alors que les consommateurs ont moins de capacités à dépenser», analyse-t-il. Les commerçants qui ont besoin de produits doivent donc travailler avec des fournisseurs offrant un prix qui leur permettrait de faire de la vente, notamment de la Chine, de l’Inde ou d’Afrique du Sud. Néanmoins, la quantité de marchandise achetée reste en baisse.

Bonne nouvelle peut-être, il est encore heureux que le prix des carburants n’augmente pas de facto avec la dépréciation de la roupie même si le risque est grand. Mais gardons en tête la hausse annoncée du prix des carburants dans le Budget 2021-2022.

Résultat des courses, si vous pensiez que nous ne pouvions pas aller plus mal, les temps durs seront encore plus durs. Alors préparez-vous !