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Sir Anerood Jugnauth le Mancunien

7 juin 2021, 10:54

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Sir Anerood Jugnauth le Mancunien

Samedi 2 octobre 2001, le téléphone sonne à la rédaction de l’express. Une connaissance nous demande si on peut être présent au bureau du gouvernement immédiatement puisque le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, reçoit dans ses locaux l’ancienne légende de Manchester United, Eric Cantona. Quoi, c’est une blague ? Pas le temps de véri- fier, on agrippe un calepin et un stylo et on fonce direction l’hôtel du gouvernement.

Quelques minutes plus tard, on constate de visu que c’est du sérieux. Eric The King himself rencontre bien SAJ, tout intimidé devant l’icône des Red Devils, accompagné du ministre des sports d’alors, Ravi Yerigadoo.

En tenue décontractée, c’est Canto qui brise la glace: «Alors vous vous intéressez au foot ?» Pour mon collègue Bruno Laurant et moi, c’est une scène surréaliste. On doit se pincer pour y croire. Le chef de l’État mauricien acquiesce de la tête, presque gêné.

«Vous avez déjà joué au foot vous» interroge l’enfant terrible du football français. «Oui il y a longtemps, mais pas à haut niveau», réplique un Anerood Jugnauth visiblement heureux de côtoyer Cantona d’aussi près, de le voir assis sur son canapé. Quel supporter n’aimerait pas vivre ça ?

«Vous êtes d’ailleurs supporter de Liverpool non ?» glisse l’ex-n°7 de MU, un brin taquin. «Ah non ! Je suis fan de Manchester United depuis toujours !» réagit SAJ, qui sort enfin de sa coquille. Pas question de plaisanter avec ces choses-là ! En effet, Eric Cantona lui-même dira beaucoup plus tard, en 2016 : «On peut changer de femme, de parti politique, de religion, mais on ne peut pas changer l’équipe de football que l’on supporte.» Venu pour proposer d’amener le Mondial de beach soccer à Maurice ce jour-là, l’auteur du ‘kung fu kick’ ne savait pas combien il avait fait plaisir à sir Anerood en lui rendant cette petite visite de courtoisie.

Fan de sir Alex Ferguson, l’un des managers les plus titrés de l’histoire du football, SAJ a déjà confié qu’il aurait adoré voir le manager écossais sortir de sa retraite après le 20e sacre en 2013 et reprendre les rênes du club pour réinstaller MU au sommet du football mondial. Néanmoins, en bon supporter, l’ancien premier ministre et pré- sident de la République du pays a aussi déclaré qu’il faisait confiance au nouveau manager en place.

Parmi les fans mancuniens que nous avons contacté, dont l’ex-Deputy Group Managing Partner de BDO, Afsar Ebrahim, il se murmure que la passion du PM pour son équipe était telle qu’il aurait contribué à faire ajourner une séance parlementaire pour aller suivre une demi-finale de Coupe des vainqueurs de Coupes entre Manchester Utd et la Juventus, en 1984…

Pour Marc Hein, avocat et ancien député, «SAJ était certai­ nement un grand amateur de foot et je me souviens d’un match au stade George V, la finale des Jeux des îles 1985, ou j’avais de bonnes places, pas loin du PM, et de l’exci­ tation insensée de ce jour-là lorsque Maurice a battu la Réunion. C’est vrai aussi qu’une fois le Parlement a été ajourné alors qu’il y avait un match de Manchester United… ça m’arrangeait car j’étais moi-même fan de United !»

Marc Hein précise toutefois qu’on ne peut pas considérer cela comme de l’abus pour autant : «Sir Anerood Jugnauth tenait toujours à être présent et le Parlement siégeait à volonté à cette époque, avec des questions parlementaires très libres. On sentait que le Premier ministre avait besoin d’être au Parlement».

Au cours de sa longue carrière de chef d’État, SAJ a eu l’occasion de croiser pas mal de person- nalités mais ses rencontres avec d’anciens joueurs de MU avaient une saveur particulière, comme celle avec l’ancien gardien de but Gary Bailey, double vainqueur de la FA Cup avec le club d’Old Trafford (en 1983 et 1987).

Sir Anerood avec Gary Bailey

Invité par la firme d’expertcomptable BDO dans le cadre d’un séminaire sur le thème Business Success under Pressure, en août 2016, Bailey avait offert un maillot de Man Utd avec les inscriptions SAJ au dos. Le portier mancunien c’était aussi dit très impressionné de voir que les connaissances footballistiques de sir Anerood remontaient à 1950.

Pour les jeunes supporters, à l’image de Yavnish Ramchurn des Mauritius Red Devils, le décès de SAJ suscite une vive émotion. «Un grand homme s’est en allé... un grand fervent des Red Devils nous a dit adieu. Merci à SAJ pour son énorme contribution au dévelop­ pement de notre pays. Au nom des Mauritius Red Devils, je présente mes plus vives sympathies à la famille Jugnauth et à tous ses proches.»

Au stade George V à Curepipe ou au stade Anjalay, sir Anerood Jugnauth était souvent présent dans les grands rendezvous de notre équipe nationale. Et aussi fidèle devant sa télé pour voir jouer son équipe anglaise. Le football a toujours été sa passion et Man United l’équipe qu’il supportait plus que de raison.

Réactions des ex-capitaines du Club M

S. GOWREESUNKUR : «Le seul PM qui adorait le football et le sport»

C’était le seul Premier ministre qui adorait le football et le sport dans son ensemble». Paroles de Sarjoo Gowreesunkur, ancien capitaine de la sélection mauricienne de football. L’ancien défenseur central de l’équipe nationale se confie sur les moments forts de ses divers rencontres avec sir Anerood Jugnauth, décédé jeudi.

Selon Sarjoo Gowreesunkur, les Jeux des îles de 1985 portent l’empreinte de sir Anerood Jugnauth. «Il a beaucoup œuvré dans la préparation de ce rendez-vous. Il savait s’entourer de personnes compétentes et c’est ainsi qu’il avait choisi Michael Glover pour chapeauter cet événement. De nouvelles infrastructures ont été bâties et les anciennes rénovées. Les bases des JIOI à Mau­ rice ont été jetées à ce moment précis», souligne notre interlocuteur.

1985 aura été une merveilleuse année pour le football mauricien puisque ses représentants remporteront la médaille d’or aux JIOI au cours d’un sans-faute et un succès en finale face à La Réunion. «Ce fut la cerise sur le gâteau et en tant que fanatique du football, SAJ assistait bien sûr chaque rencontre. Je ne sais pas comment il parvenait à se libérer mais il se faisait un devoir d’être présent à de nombreux événements sportifs. Il m’avait remis un trophée au cours d’une cérémonie récompensant les meilleurs sportifs. Je pense que beaucoup de sportifs se sont sentis respectés par sa présence», relate le technicien.

Il y a ensuite le chômage qui frappe particulièrement fort entre 1982 et 1983. «J’étais le capitaine de la sélection mauricienne de football mais je n’avais aucun emploi. Après un match contre le Mozambique que SAJ avait assisté, les organisateurs avaient offert une petite collation et je me suis permis d’aborder SAJ avec Maurice Ng, alors directeur de la Fire Brigade. J’avais demandé à SAJ s’il était possible qu’il fasse quelque chose pour moi. Il m’a dit de venir le rejoindre dans son bureau au courant de la semaine suivante et j’ai pu avoir un travail dans le secteur privé. Il était une personne qui était très à l’écoute», confie l’ancien entraîneur de l’ASPL 2000 et du Curepipe Starlight.

De 1983 à 1985, l’équipe de la Fire Brigade connaît son apogée. «SAJ était évidem­ ment présent pour regarder du beau football. Il croyait vraiment dans le sport. Mais ce qui m’a vraiment marqué c’est qu’il savait prendre des décisions fortes», précise Sarjoo Gowreesunkur. Citant les deux périodes de développement qu’aura connues l’île avec l’éducation gratuite et la relance économique, Sarjoo Gowreesunkur ne peut s’empêcher de conclure avec l’engouement qui habitait SAJ pour le sport dans sa globalité. «Il y a eu la vi­ sion de sir Seewoosagur Ramgoolam qui a introduit l’éducation gratuite et qui a permis à tout un peuple d’avoir une base académique. SAJ, pour sa part, a apporté une deuxième phase de développement avec la relance économique. Toutefois, parmi les Premiers ministres que Maurice a pu avoir, je maintiens que c’était le seul Premier ministre qui adorait le football et le sport dans son ensemble.»

P. D’AVRINCOURT : «Il faisait confiance à son ministre des Sports»

Patrice d’Avrincourt a connu une glorieuse carrière comme footballeur également. Ancien capitaine de la sélection nationale, il a souvent rencontré sir Anerood Jugnauth lors de ses divers sorties.

Amoureux du ballon rond donc, SAJ n’hésitait pas à venir assister aux joutes opposant les clubs locaux ou les rencontres internationales selon l’ex-joueur de la Fire Brigade. «Ce qui me frappait, c’est qu’il était toujours présent. Même s’il ne descendait pas sur la pelouse pour les présenta­ tions, il se faisait un devoir de nous regarder jouer. Il avait placé sa confiance en Michael Glover en tant que ministre des Sports et chaque fois qu’il avait besoin de lui, SAJ semblait être prêt à le soutenir. Nous ne retrouvons plus ce genre de coopération désormais», explique Patrice d’Avrincourt.

Le responsable de l’académie du Racing Club ne passe pas par quatre chemins pour différencier SAJ des autres ministres. «Je peux dire que c’est en partie grâce à lui que le football a connu une progression spectaculaire. Je pense qu’il faisait confiance à son ministre des Sports et ce der­ nier faisait en retour le travail qu’il fallait. Je ne sais pas si c’est le cas désormais», explique l’ancien international mauricien.

En guise de conclusion, Patrice D’Avrincourt dira que comme tous les politiciens, SAJ avait également ses défauts. «Nous avons déjà eu quelques échanges. Je respecte son parcours bien que comme tous les politiciens, il a aussi ses mauvais côtés et des dérapages dans ses propos. Il s’est toutefois excusé et nous devons le pardonner».