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[Décodage] PIB: les limites d'une mesure presque centenaire du niveau de vie

1 juin 2021, 13:30

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[Décodage] PIB: les limites d'une mesure presque centenaire du niveau de vie

Alors que la date du Budget est fixée, que le gouvernement va nous vendre son taux de croissance, que les indicateurs mondiaux s’affolent en raison de la crise du Covid-19, que MCB Focus a revu les prévisions à la baisse, il est temps de s’interroger sur le sacro-saint Produit intérieur brut. Cet outil de mesure, en fait une convention, presque séculaire, est dépassé pour certains. Mais pas encore remplacé.

On s’affole du Covid-19, de son impact sur le taux de croissance. On se bagarre sur les prévisions, qui du Fonds monétaire international (FMI) qui de la Banque mondiale (BM), qui de MCB focus, qui de Statistics Mauritius ou du gouvernement aura raison. L’opposition s’empresse, dès que la croissance n’est pas telle qu’anticipée par le pouvoir, de dénoncer. Jeudi 27 mai, MCB focus a revu les prévisions de croissance de 2021 à la baisse à 4,8 %, proche du FMI. Mais si le fondement même du calcul était biaisé, obsolète ? Dans la rubrique «Ma mesure phare», parue vendredi, Adi Teelock, activiste environnementale, propose que nous remplacions le Produit intérieur brut (PIB) par l’Indicateur de progrès véritable. C’est dire qu’il y a des pistes de réflexion… Encore faut-il comprendre le problème.

Un outil presque centenaire

 Le PIB à l’aune duquel on juge la santé économique de notre monde moderne, est presque centenaire. 90 ans plus exactement. Il a été créé en 1931, par Simon Kuznets «inventeur» de la comptabilité nationale avec un groupe d’Américains, d’Anglais et de Français. Début des années 30, les États-Unis sont à la recherche d’un indicateur pour mesurer les effets de la grande dépression économique suite au krach de 1929. Le Congrès fait appel à l’économiste Simon Kuznets. Il crée un agrégat de données économiques qui, retravaillé par John Keynes, donne naissance au PIB. Cet instrument a ensuite été adopté dans le monde à partir des accords de Bretton Woods, en 1944, qui introduisent le système monétaire d’après-guerre.

Le PIB mesure la valeur de tous les biens et services produits dans un pays sur une année. Il calcule la valeur ajoutée marchande de tous ces biens et services qui se vendent dans un pays et le coût de production des services non marchands fournis par les administrations publiques (enseignement, santé…).

La variation du PIB, soit l’augmentation du volume de ces productions d’une année sur l’autre, permet de mesurer le taux de croissance économique d’un pays. Le PIB par habitant mesure le niveau de vie. Ce qui nous a valu, en 2020 (avant la crise du Covid-19 et la contraction) d’être classifié par la Banque mondiale, de pays à revenu élevé. Le revenu national brut (RNB) par habitant pour 2019 à Maurice était de 12 740 $ US (environ Rs 519 000), soit une augmentation de 3,5 % par rapport à 2018.

La destruction pas prise en compte

Sauf que… le PIB ne prend pas en compte ce que l’on détruit, ni la qualité de ce qui est produit.

 Kuznets, lui-même, met en garde dès 1934 : «Ceux qui demandent plus de croissance devraient préciser leur pensée: plus de croissance de quoi et pour quoi ?» Les économistes «dictent leurs définitions, comme si leur discipline relevait d’une science pure, travaillant en chambre alors qu’il s’agit, ni plus ni moins, de décider ce qui compte pour l’ensemble des membres d’une société… Des productions qui détruisent des ressources naturelles non renouvelables ou dégradent la qualité de l’air ou de l’eau seront considérées comme un enrichissement, alors que les dégradations du patrimoine naturel n’apparaîtront nulle part, passant, en quelque sorte, par pertes et profits. La comptabilité nationale opère une découpe sur l’ensemble de la réalité sociale, et plus précisément de ce qui peut être considéré ou non comme la richesse d’une société. Ce faisant, elle réduit celle-ci à la production de biens et de services», analyse Dominique Méda, haut fonctionnaire, sociologue et philosophe française dans Comment le PIB a pris le pouvoir, dans la Revue Projet, en 2012.

Elle ajoute que le PIB est une comptabilité de flux (des mouvements de biens ou de services qui se produisent à un moment donné, chaque flux a une valeur, un point de départ et un point d’arrivée), et non de stock : il ne prend pas en compte notamment les dégradations apportées au patrimoine naturel ni à la santé sociale. Son augmentation ne garantit pas le progrès social. Ventes d’armes ou de sucre tombent dans la même escarcelle. «En réduisant la richesse à ce qui est monétarisé, il laisse de côté ce qui ne l’est pas, comme le bénévolat ou le travail domestique, encore majoritairement produit par les femmes», explique Céline Mouzo, dans Alternatives économiques, en 2020. On oublie donc la drogue, qui, si elle était comptabilisée, ferait remonter notre PIB à des sommets!

Réchauffement climatique

Or à l’ère du réchauffement climatique et de la baisse des réserves naturelles, ces éléments sont cruciaux. D’autant que le PIB est corrélé avec l’énergie. «Si on reprend littéralement la définition de l’énergie comme la mesure de la modification de l’environnement, il est assez logique et normal, au fond, qu’il y ait une forte relation entre énergie utilisée et valeur ajoutée. Sauf en cas de guerre, nous utilisons de l’énergie pour créer de la valeur. Comme une des façons de calculer le PIB est la somme des valeurs ajoutées, nous pouvons nous attendre à trouver une relation intime entre énergie consommée et PIB Mondial», écrit Jean Luc Wilain, conseiller en énergie durable, dans L’indépendance en 2068, ouvrage destiné à Maurice. Énergie dont Maurice est dépendante, puisqu’elle en importe la majorité… (Voir tableau I ).

Et là enter une vision tout autre du PIB. Celle de Jean Marc Jancovici, ingénieur français, consultant et spécialiste de l’énergie et du climat, entre autres. Le PIB a une définition très précise : il s’agit du «résultat final de l’activité de production des unités productrices résidentes». (…) : Mais sans ressources naturelles pas de PIB, explique-t-il, en substance.

Pour produire des biens et des services, il faut de l’énergie. Exemple : comment faire un journal sans consommer du papier, des ordinateurs, des voitures pour le déplacement des journalistes, des téléphones… Fabriquer tout cela demande des matières premières et de l’énergie.

Consommation d’énergie et gaz à effet de serre

Si on veut produire davantage, il n’y a pas d’autre choix que de consommer davantage d’énergie, et donc de produire des gaz à effet de serre. Ce qui fait dire à Jean Marc Jancovici, aussi président du cabinet de conseil Carbone 4 en France, que la croissance du PIB suit la même tendance que celle de l’énergie. Et qu’à ce rythme, si on continue de produire davantage de biens et services, nous allons fatalement consommer plus d’énergie et de matières, épuiser les ressources de la planète et accumuler des gaz à effet de serre.

Ses détracteurs lui rétorquent qu’il est possible de produire plus avec moins d’énergie. Grâce à de nouvelles technolo- gies plus efficientes. Peut-être. Sauf que cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’humanité. Quand l’homme a découvert une nouvelle technologie pour réduire sa consommation, il a tout de suite voulu en avoir plus. Prenez les avions: ils sont plus efficaces, mais comme on voyage plus, on consomme toujours plus de pétrole. Idem pour les voitures : elles sont plus efficientes, mais bien plus lourdes, ce qui fait qu’elles consomment toujours plus. Idem pour les nouvelles technologies, que l’on vend comme «propres» : nos téléphones portables demandent des métaux et matières premières en proportion très minimes dans la nature (lithium, béryllium, bore, titane, cobalt, gallium, strontium, yttrium, zirconium, molybdène, ruthénium, palladium, argent, indium, étain, antimoine, baryum, tantale, tungstène, platine, or et bismuth, entre autres composants requis.)

Il faut donc voir au-delà du carbone. Les minerais, les océans, les aliments… autant de ressources naturelles que l’on ne s’inquiétait pas de voir diminuer au temps d’Adam Smith, car il y en avait encore beaucoup. Mais à ce jour, les stocks de toutes ces ressources essentielles s’épuisent dangereusement. Il faut les utiliser avec plus de vigilance et de parcimonie.

 Jancovici démontre que les seuls moments dans l’histoire récente où les humains ont produit moins de gaz à effet de serre et consommé moins de minerais, c’est en période de récession (comme en ce moment avec le Covid-19). Pour régler le problème de dérèglement climatique, il faut donc apprendre à produire moins. Bref, moins de croissance.

À défaut de quoi… Patatras. L’effondrement serait inévitable. (pour ceux qui voudraient plus de graphiques voir https://jancovici.com/transition-energetique/choix-de-societe/ leconomie-peut-elle-decroitre/)

Croissance comme seul horizon = effondrement L’effondrement justement. Est-ce nouveau ? Pas du tout. Ce scénario a déjà été énoncé en 1972 ! Dans le célèbre rapport Meadows (un rapport appuyé par le Club de Rome, une des références des débats et critiques qui portent sur les liens entre conséquences écologiques de la croissance économique, limitation desressources et évolution démographique) Les limites de la croissance (dans un monde fini), les auteurs concluaient que si la croissance restait notre unique horizon, l’effondrement serait inévitable à cause de la pénurie des ma- tières premières et de la fragilisation des écosystèmes ou d’une hausse insupportable de la pollution.

Croissance de la population, parlons-en : la population est passée de 5,3 milliards d’humains en 1990 à 7,7 milliards en 2020. Et ce n’est pas le Covid avec ses 3 millions de morts qui va y changer quelque chose. Quant à la pollution, ce sont principalement les émissions de gaz à effet de serre qui réchauffent inexorablement notre planète au point de la rendre invivable ou soumise à d’énormes pressions: conflits avec déplacement de populations, fin ou limitation des ressources… Or, «l’’utilisation que nous faisons de l’énergie est de loin la première cause du réchauffement climatique», explique Jean Luc Wilain.

Et hop ! la boucle se referme sur le PIB. Qui finira forcément, puisque nos ressources ne sont pas inépuisables.

Pour illustrer la finitude de nos ressources: le pétrole. Le pic du pétrole est atteint (celui qui nous sert à quasiment tout et notamment à produire de l’énergie. Tiens, on y revient avec le PIB) depuis 2008. «Les courbes de découvertes et de consommation se sont croisées dans les années 1980», explique Matthieu Auzanneau, directeur du think tank The Shift Project, qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone et dont Jancovici est le président. Quant à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), elle fixe ce pic pour la fin des années 2030. En février, Shell a annoncé que son pic de production était déjà atteint. Autrement dit, on y est…

Donc c’est un fait : les ressources que la Terre a mis des milliards d’années à produire et nous quelques centaines à consommer s’épuisent. Et là, nous avons principalement mis l’accent sur les ressources. Sans développer le problème des inégalités. Dès 2014, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait publié un communiqué de presse intitulé «les inégalités pèsent sur la croissance écnomique». La théorie du ruissellement, qui veut que l’enrichissement des plus aisés bénéficie à la fin aux plus pauvres, ne tient guère.

À partir de là, comment continuer un outil de mesure dépassé ? Une réflexion sur de nouveaux instruments a été lancée depuis un bon moment.

Quelles alternatives ?

 L’indice de bien-être durable ou PIB vert

Pour commencer, un PIB qui prendrait en compte cette dégradation de l’environnement. Le PIB vert. Un PIB corrigé de l’impact environnemental de la croissance. On déduirait du PIB classique les biens naturels ou endommagés pendant l’année et toutes les dépenses pour réparer les dégâts de notre modèle de croissance. Problème : comment on le calcule ? Comment on calcule financièrement quelque chose comme les ressources naturelles qui, si elles ne sont pas importées, sont gratuites ? (C’est quoi le coût du récif corallien par exemple ?)

Cet indicateur incorpore dans ses calculs le coût les nuisances et dégâts (pollution, perte de biodiversité...) entraînés par l’activité économique, soit les «dépenses défensives».

 L’indice de richesse globale

C’est aussi ce que propose l’indice de richesse globale. Lancé en 2012 par l’ONU, lors de la conférence Rio +20, l’Inclusive wealth indicator (IWI) avait pour objectif de remplacer à terme le PIB. Il tient compte de «toutes les composantes de la richesse», dont les aspects environnementaux et leur évolution dans le temps, l’objectif étant d’évaluer la croissance à long terme et non à court terme et doit être réévalué tous les deux ans. Le souci c’est le mode de calcul, les variables prises en compte.

 L’indicateur de développement humain

Cet indicateur (IDH) a été mis au point dans les années 1990 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Il vise à répondre à une (autre) critique du PIB: il ne prend pas en compte le bien-être des habitants. Par exemple, la Chine, l’Inde, le Bangladesh ont des taux de croissance merveilleux, mais leurs habitants ne sont pas forcément mieux lotis. L’IDH prend en compte le revenu moyen par habitant mais aussi la santé (basée sur l’espérance de vie) et l’éducation (taux d’alphabétisation, durée moyenne d’études). S’il peut servir en matière d’indice de développement, il ne peut remplacer le PIB. Il a d’ailleurs été peaufiné en 2010, par une prise en compte des inégalités.

 L’IDH a été développé par le prix Nobel d’économie Amartya Sen. En 2008, en France, l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, avait fait appel à lui et au prix Nobel Joseph Stiglitz pour réfléchir à de meilleurs outils pour mesurer la performance économique. La commission SenStiglitz-Fitoussi (le professeurJean-Paul Fitoussi, de l’Institut d’Études Politiques de Paris, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) en étant le coordinateur) avait conclu à la nécessité de distinguer «le bienêtre présent» et sa «soutenabilité, c’est-à-dire sa capacité à se maintenir dans le temps en – on y revient – mettant en place des indicateurs mesurant la dangerosité du changement climatique ou l’épuisement des ressources. Mais d’indicateur à proprement parler, il n’en est point ressorti.

 L’indicateur de progrès véritable

C’est celui que préconise Adi Teelock. L’Indicateur de progrès véritable (IPV) (ou Genuine Progress Indicator en anglais) a été mis au point, aussi dans les années 1990, par les chercheurs de Redefining Progress, une fondation à but non-lucratif américaine, créée en 1994. L’IPV est dans son inspiration et dans ses méthodes, proche de l’IBED (Indicateur de bien-être). Il se mesure de la manière suivante : Consommation personnelle - ajustement économique (inégalités de revenus, dette extérieure nette, coût des biens durables) - ajustement social (coût des délits, des accidents de voiture, des déplacements quotidiens, des «fractures» familiales, du chômage et la diminution du temps de loisir) - ajustement environnemental (coûts de la réduction de la pollution domestique, de la pollution de l’eau, de l’air, de la pollution sonore, pertes de terres humides (marécages…), réduction des terres cultivées, destruction de forêts anciennes, de ressources non renouvelables…)

-ajustements bénéfiques (valeur du travail domestique, valeur du bénévolat...)

Adi Teelock explique que la crise du Covid-19 a mis en lumière «le volontariat, les soins Covid-19 non rémunérés, les tâches familiales et autres activités productives qui ne sont pas touchées par le Budget jusqu’ici, telle celle de l’économie de subsistance des femmes glaneuses de produits de la mer de la côte sud-est.»

Quand on mesure le coût des délits, de la mise en incarcération pour drogue, etc. de l’ajustement environnemental, avec destruction des zones humides, nos fameux wetlands pour lesquels on se bat comme aux Salines, on se rend bien compte, d’une part, que le calcul est compliqué parce qu’évidemment ce sont des données statistiques difficiles à avoir et d’autre part, qu’elles dépendent foncièrement de la volonté politique de les mesurer voire, de les divulguer…

Cet indicateur, tombé dans l’oubli dans les années 2000 «est réapparu en 2013 parce que de très grands noms de l’économie écologique ont décidé de l’utiliser dans des articles et livres qui ont fait le tour du monde (de l’écologie politique). C’est en particulier le cas du livre Vivement 2050 ! Programme pour une économie soutenable et désirable, coordonné par Robert Costanza, et surtout de l’article collectif sur l’IPV dans la revue Ecological Economics», explique l’économiste et spécialiste des indicateurs de richesses, Jean Gadrey, dont nous parlerons plus bas. S’il est assez nuancé sur cet indicateur (dans la mesure où «parce que, dans le calcul de l’IPV, le niveau de vie matériel joue un rôle tellement important que même les déductions monétaires liées aux variables sociales et écologiques ne font pas le poids», il montre, lui aussi dans Alternatives économiques, en 2014, que le PIB et l’IPV ne suivent pas du tout la même courbe de croissance. Ce schéma montre la croissance du PIB et celle en termes de progrès véritable pour 17 pays (USA, Australie, Nouvelle Zélande, Chine, Thaïlande, Inde, Vietnam, Chili, Grande-Bretagne, Allemagne, Pologne, entre autres). Encore une illustration que notre croissance traditionnelle est relative. (Voir tableau II).

 L’indice du mieux vivre

Le Better life index évalue les pays dans des domaines «qui ont un impact sur la vie des gens», notamment : l’environnement, la santé et l’équilibre entre travail et vie privée. Il a été mis au point en 2011 par l’OCDE.

L’indice du progrès social

Cet indice se calcule autour de trois axes : la capacité d’une société à satisfaire les besoins de base de ses citoyens, à construire les fondements de leur bien-être sur la durée et à leur donner l’opportunité de s’accomplir. Il est considéré comme l’un des indices les plus complets pour mesurer le progrès.Maurice était en 44e place au classement mondial en 2020.

Indice de santé sociale

Mis au point par des chercheurs étasuniens dans les années 1990, l’indice de «santé sociale» (ISS) regroupe 16 variables articulées en cinq composantes associées à des catégories d’âge (mortalité infantile, suicide des jeunes, salaire hebdomadaire moyen…). Il a inspiré l’école française des indicateurs de richesse formée de Jean Gadrey, Florence JanyCatrice, Dominique Méda et le Forum pour d’autres indicateurs de richesse (Fair), dont l’idée est de sortir de la logique de croissance matérielle et monétaire. Cet indice a ainsi été décliné en France par l’économiste Florence Jany-Catrice et son équipe, et a permis de nouvelles comparaisons entre régions qui donnent des résultats bien différents de ceux du PIB par habitant. D’autres chercheurs, au Canada, ont construit un indice de bien-être économique qui intègre un sous-indicateur de protection sociale correspondant à une vision sociale-démocrate de l’État providence réducteur d’inégalités et de risques économiques et sociaux.

 Le cofficient de GINI

Cette mesure statistique permet de se rendre compte du niveau d’inégalité d’une variable, telle que revenus, salaires, niveau de vie pour une population. Les données sont celles des agences de statistiques des gouvernemets et des départements de la Banque mondiale. Le coefficient va d’une échelle de 0,0 (tous égaux) à 100,0 (inégalité maximale). Il était de 36,8 pour Maurice, en 2017.

Indice du bonheur

The World Happiness Report 2021, qui vient de sortir, classe Maurice 50e au monde. Cette année, l’évalutation est relativement limitée à l’effet du Covid-19 sur la qualité de vie et à comment les gouvernements ont géré la pandémie. Edité par le réseau des solutions durables des Nations unies, il prend en compte le PIB (encore), l’aide sociale, l’espérance de vie en bonne santé, la liberté de choix de vie, la générosité et la perception de corruption gouvernementale. Il se base sur les données collectées par le questionnaire Gallup World Poll, qui on l’imagine a eu du mal à faire le travail in situ. Bref là encore on se heurte à la question des données fournies et quantifiées.  

Le Bonheur national brut

Plus anecdotique bien que quantifiable, le Bonheur national brut (BNB) du Bhoutan : Jigme Singye Wangchuck, roi de ce pays, en 1972, à peine âgé de 16 ans (et décédé en 2006), s’est demandé «et si on mesurait le bonheur plutôt que la richesse ?» Il a pu mener à bien son projet d’indicateur du bonheur en 1998, présenté officiellement au reste du monde lors du Sommet du millénaire Asie-Pacifique. L’objectif : concilier les valeurs spirituelles du bouddhisme avec la possibilité d’une croissance durable. Le BNB résulte d’un calcul qui repose sur quatre critères: «croissance et développement économique», «conservation et promotion de la culture», «sauvegarde de l’environnement et utilisation durable des ressources» et «bonne gouvernance responsable». Concrètement, il s’agit donc d’associer la croissance traditionnelle à des notions de durabilité et de collectivité.

Cet indice est «une vision pionnière qui cible l’augmentation du bonheur et le bien-être de notre peuple», expliquait en 2016 le Premier ministre bhoutanais Tshering Tobgay. Mais il reconnaît lui-même que cet indicateur n’a pas vocation à être universel : «C’est plus simple à dire qu’à faire, surtout lorsque vous êtes l’une des plus petites économies au monde.» En effet, il est plus aisé de subvenir aux besoins de la population du Bhoutan (740 000 habitants) que d’un grand pays. En même temps, Maurice, avec ses presque 1,3 million d’habitants n’en est pas très loin.

Car, depuis, tout le monde connaît le Bhoutan ! Une stratégie à faire pâlir d’envie la Mauritius Tourism Promotion Authority ?

Mais on voit bien que tous ces indicateurs pêchent, en partie par la difficulté de quantifier et, d’autre part, par le manque de volonté politique de les appliquer. Si demain, le gouvernement disait à Statistics Mauritius : «mesure les poissons de notre ZEE ou l’impact de la perte d’arbres sur nos émissions de carbone», peut-être qu’on aurait des données. En attendant, on ne sait toujours pas combien de personnes meurent par jour et de quoi, les Health Statistics datent de 2019, alors qu’on a un décompte des cas de Covid au quotidien. C’est dire à quel point les données dépendent de la volonté politique de les mesurer.

Le vrai changement de paradigme pour ce Budget 2021-2022 serait qu’il prenne en compte ces études. Même si l’on n’a pas encore d’autre outil, il est bon se savoir que le taux de croissance sur lequel on pinaille se base sur une mesure somme toute arbitraire. Bien sûr, comme elle est adoptée mondialement, et qu’elle s’appuie sur des données concrètes, elle permet de comparer. La difficulté de trouver des alternatives qui fassent l’unanimité rend le PIB encore utile. Mais ce qui est un indicateur de croissance pourrait bien constituer en fait ce qui nous permet de mesurer notre perte quand on tient compte des données environnementales…