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Quatre-Bornes: bat ar bornes

30 mai 2021, 21:15

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Quatre-Bornes: bat ar bornes

Les travaux du métro devraient durer plusieurs mois encore, jusqu’à l’année prochaine, selon les plans, pour relier Quatre-Bornes à Curepipe. En attendant, tout au long de la route St.-Jean, les marteaux-piqueurs rendent les gens marteau. Quatre-Bornes est devenue QuatrousBornes. Slalom…

Lipié gris. 50 Shades of gris. Il faudra une cure chez le pédi si vous portez des savates. Ou une consultation chez l’ostéo, si votre pépé termine sa course dans un nid-de-poule, d’autruche, voire de T-Rex. Ce n’est pas le pied non plus si vous vous «Quatre-bornez» à porter des talons, vous risquez de vous retrouver estropié. Des pyramides de roches, macadams, pierres, les excavations n’ont rien à envier à celles qui ont souvent cours en Égypte, pas étonnant qu’on y découvre bientôt la tombe du pharaon Toutancamion. Bienvenue à «QuatrousBornes», ancienne ville des fleurs, nouvelle ville des marteaux-piqueurs.

L’entrée. Entrez. Qu’est-ce qui se trame ? Si vous venez de Rose-Hill, le billboard annonce l’arrivée prochaine du métro. Quelques mètres après les tombes du cimetière St.-Jean, des fosses si «gigantrouesques», si profondes que, si vous tombez dedans, même le Loudspeaker ne pourrait pas vous order out de là. À l’intérieur des entrailles de la Terre, des ouvriers étrangers de Larges Trous, pardon, de Larsen & Toubro (L&T). À hauteur de Discovery House, discoveries. Des bulldozers, pelleteuses, parapets, bornes rouges et noires, qui en font voir de toutes les couleurs, même aux daltoniens. Si vous voulez jouer au Mille Bornes, Quatre-Bornes is the place to be (NdlA, ‘Bornes’ to be alive’ tu chanteras dans ta tête). Pour marcher, rouler, ramper, slalomer, skier, zigzaguer, se faufiler entre, faut avoir passé son permis de Formule 1 ; difficile d’apercevoir la lumière au bout de ces gros «tunnels» en béton. Décongestion routière ? Faudra voir. Congestion nasale due à la poussière ? Déjà vu. Labyrinthe. Fort Boyard. Au secours.

Ti koté ti koté noualé noualé, tikoté tikoté noualé. Pour circuler, il faut parfois emprunter des passages plus étroits qu’un orifice anal en proie à une constipation de 20 jours. Des morceaux de carton en toc font office de passerelle à certains endroits. Soudain, sans crier gare, vous risquez de vous retrouver nez à nez avec un trou noir, de voir des étoiles. Un trouloulou traître, fourbe, dangereux, qui vous susurre tamokas to lapat à l’or(t)eil(le). De quoi troubler votre avancée périlleusement prudente. Troubles de la vue. Retroussez votre bas de pantalon.

Radha et Sweta, elles, ont beau se retrousser les manches, elles ont du mal. Leur salon, Rad’ Coiffure, se trouve au troisième étage d’un bâtiment qui a une vue imprenable sur le chantier, elles ne savent plus sur quel pied danser la polka. Elles s’arrachent les cheveux faute de pouvoir épiler les poils de leurs clientes. «Deza ek Covid pena travay, depi bann travo, pa kozé. Lipié fer rozet, lakes ena gro trou. Bann kliyan ki resi vini dir bel problem pou traverse, pou vinn ziska salon.» Difficile décidément de se faire à ce train-train qui laisse des trous dans leur compte en banque depuis des mois.

Plus loin, des restaurants, commerces, magasins qui ont perdu de leur entrain. À l’intérieur de l’un d’eux, une gentille gérante, qui a requis l’anonymat. Son sourire d’habitude éclatant a cédé la place à un voile de nostalgique tristesse. Les confidences s’enchaînent comme des wagons. «Ki mo kapav dir twa ? 33 an mo la… Lavant inn tonbé par 50 % ek Covid, ek sa bann travo-la inn vinn azout ankor plis stress… Sak 3-zerd tan pe gagn klian aster, kouma pou fer ? Ki pou fer ?» Ses yeux se perlent de larmes; dans son regard, de la résignation indignée. Elle est au bord du gouffre. Impuissance.

Dehors, les machines puissantes poursuivent leur valse inlassable, balancent des kout lapel lor to koko latet. Des «voilages» verts sont installés tout au long. On se croirait dans une serre en plastique, bizin ser-seré. Pour traverser, faut surtout éviter de se faire écraser, écrabouiller, de finir dans le coaltar. Les feux, les petits bonshommes verts et rouges, marchent ou s’arrêtent quand «ils» veulent. Pour contrôler la circulation, un Monsieur et son drapeau rouge, qui donne le feu vert pour avancer. «Cum, cum, Madam», dit-il dans son accent, en agitant les bras. «Kan pou fini sa yaar ?» À ce train-là, un piéton, une auto, une moto ou un vélo risque fort de se retrouver au fond des abysses.

Calamar géant, c’est toi ? Non, il s’agit seulement d’une énième machine qui fait la taille d’un mammouth. À hauteur de la municipalité, une fois la bande de gazon boueuse empruntée, il y a ze rampe fatale. Pieds tendres et chevilles enflées s’abstenir. Trous et fentes n’ont d’égale que la dentition chancelante d’un boxeur ayant reçu un uppercut de Bruno Julie. Ce n’est pas zoli-zoli à voir ou à vivre tout ça.

Les Quatrebornais, citadins admirables, semblent pourtant prendre leur mal en patience, faute de choix. Les travaux reliant leur ville à Curepipe devraient durer jusqu’à l’année prochaine alors qu’ils pourront grimper à bord de Mauricio pour rallier Rose-Hill et vice versa dès juin, les tests ayant déjà démarré à hauteur de l’ancienne promenade Gérard Bruneau, notamment.

En attendant de grimper à bord, au niveau de cette artère vitale qu’est la route St.-Jean, il faut avoir le cœur solide. Les pieds aussi. Pour ne pas finir au fond du trou.