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Bras de fer GRA-Giraud: La plus grave crise de l’histoire du turf mauricien?

8 mai 2021, 20:00

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Bras de fer GRA-Giraud: La plus grave crise de l’histoire du turf mauricien?

Les courses hippiques ont toujours occupé une place importante dans la vie des Mauriciens. Mais en 209 ans d’histoire, rarement a-t-on vu un début de saison aussi mouvementé qui a mené à la démission du président Jean-Michel Giraud du board de la MTSCL (une première dans l’histoire des courses) et poussé ce dernier à solliciter la Cour suprême pour l’obtention de sa Personal Management Licence. Reste que l’industrie hippique a connu d’autres moments difficiles dans le passé. Des émeutes en pleine journée de courses après une décision des commissaires aux renvois répétés du début de la saison cette année, en passant par la triste annulation d’une journée internationale en 1989, la confrontation entre le MTC et l’Etat sur la création d’une Turf Authority et la grève des bookmakers de 1997. Survol des tristes événements qui ont marqué l’histoire du turf mauricien.

1981. Graves incidents sur l’hippodrome après la rétrogradation de Federal Rock

S’il y a un incident au Champ de Mars qui restera dans les annales du turf, c’est bien ce qui s’est passé dans l’après-midi du 5 août 1981. A l’arrivée de la cinquième course, Federal Rock, monté par le jockey Keith Watson, passe le but en premier, non sans avoir gêné Silver Bow (Peter Cuddihy). Le jockey de ce dernier devait loger une réclamation, qui fut retenue par les commissaires. Mais cette décision n’était pas au goût des partisans de Federal Rock. Une poignée de minutes seulement après l’annonce du verdict des commissaires, quelques esprits surexcités devaient inciter la foule à descendre sur la piste en saccageant les barres intérieures, qui étaient en bois à cette époque. Les téléviseurs volèrent en éclats (voir photo) alors que d’autres témoins disent que les emplacements des bookmakers furent également vandalisés.

Extrait de l’express du 26 novembre 1989.

Ramesh Manrankhan, entraîneur de Federal Rock, revient sur cette journée qui a marqué à sa manière l’histoire des courses à Maurice. «La rétrogradation de Federal Rock m’avait personnellement surpris car l’incident qui s’était produit n’était pas clear cut. Mais je respecte la décision des commissaires de courses. Les partisans, eux, n’étaient pas contents et ils avaient envahi la piste cassant les barrières. Le MTC, pris de court par les événements, avait dû annuler les deux dernières courses au programme», se souvient encore Ramesh Manrakhan.

Des recherches dans les archives révèlent que la force policière régulière n’était pas parvenue à rétablir l’ordre ce jour-là et il a fallu faire appel à la Riot Unit qui vint se positionner face aux tribunes pour maintenir l’ordre. Reste que malgré un appel au calme lancé par le Mauritius Turf Club, les choses ne s’améliorent guère forçant l’annulation des deux courses restantes. Un témoin nous raconte que les barres intérieures qui étaient en bois ayant été saccagés et pour la sécurité des jockeys et tout le public présent, il n’était pas évident de faire courir les deux courses suivantes.

1989. Annulation de la journée internationale à la dernière minute

Tous les ingrédients étaient réunis pour une belle journée internationale en 1989. Le MTC, comme lors des années précédentes, avait invité des cravaches de renommée mondiale : Bruce Raymond (Angleterre), Walter Swinburn ((Angleterre), Johny Reid (Irlande), Eric St-Martin (France), Jeffrey Lloyd (Afrique du Sud) et Michael Roberts (Afrique du Sud).

Alors que ces jockeys étaient déjà sur place, se préparant pour offrir du spectacle au public local, l’annonce du gouvernement dirigé par sir Anerood Jugnauth eut l’effet d’une bombe : journée annulée. Obligeant le MTC à organiser une journée normale. Pour quelles raisons les autorités annulèrent la journée internationale ? Les bruits d’alors faisaient état d’une décision diplomatique. «On n’avait pas voulu faire monter des jockeys sud-africains dans notre pays dû au fait que l’Apartheid, une ségrégation raciale, était toujours en vigueur en Afrique du Sud.»

A défaut de se mettre en selle, le jockey Michael Roberts avait assisté au déroulement de la journée dans les loges en compagnie de sa famille.

Selon l’Express, le gouvernement avait interdit cette International Jockeys Day, d’une part par rapport à un changement de date mais surtout et avant tout en raison de certaines informations selon lesquelles des participants allaient se rendre tout de suite en Afrique du Sud pour participer à un Happening international et l’Etat mauricien ne voulait pas être associé à cette affaire de courses. Du coup, c’est dans les tribunes que les crack jockeys durent assister à la journée.

1996. Mauritius Turf Authority, mort-née ?

Elle est en gestation depuis 1996, et ce sur recommandation du Steering Committee initialement présidé par sir Victor Glover en 1995 puis par M. Harris Balgobin. La mise sur pied de cette instance répondait au besoin d’«exercise control with a view to ensuring that all aspects concerning the organisation of races are beyond reproach», comme stipulé dans le White Paper commandité par le gouvernement en 1999.

A ce titre, il serait bon de rappeler qu’à l’époque, l’idée d’un deuxième organisateur des courses avait germé avec la création de la Compagnie Mauricienne d’Hippodrome (CMH), qui projetait de construire un nouvel hippodrome à Les Pailles au coeur d’un vaste projet immobilier. Des infrastructures pouvant accueillir jusqu’à 60 000 personnes, des rendez-vous nocturnes, des écuries et un centre d’entraînement de même que des espaces pour la restauration et le parking, il faut dire que les promoteurs avaient vu les choses en grand, d’autant plus qu’ils bénéficiaient de l’intérêt de la State Investment Corporation Ltd à travers sa subsidiaire Prime Real Estates Ltd.

Reste que divers facteurs ont conduit à sa non-réalisation. Car selon nos recoupements, le projet comportait plusieurs failles, à commencer par l’accessibilité au site avec le réseau routier d’alors, le climat et l’état du terrain, qui ne semblait pas propice à la construction du nouvel hippodrome. Il nous revient aussi que le manque d’investisseurs étrangers fiables aurait aussi refroidi plus d’un. Depuis, le sujet d’un nouvel hippodrome est souvent revenu sur le tapis, les sites de Bagatelle, Trianon, Côte-d’Or et Médine étant tous mentionnés à un moment ou à un autre mais sans aucune avancée majeure, le Champ de Mars répresentant pour l’heure la seule option viable pour la tenue des courses hippiques à Maurice.

Mais pour en revenir à la Mauritius Turf Authority (MTA), il serait bon de rappeler que la Fédération internationale des Authorités hippiques (FIAH) avait émis des réserves par rapport à sa création. Dans une correspondance adressée à Jean-Marc Ulcoq, président du Mauritius Turf Club (MTC) en 1999, Louis Romanet, l’homme fort de la FIAH, rappelait que le MTC était l’unique organisateur de courses reconnu au niveau international, d’autant qu’elle garantissait «the implementation, by Mauritius, of the International Agreement on Breeding and Racing of which it is a signatory, on behalf of the racing industry in the island». De plus, l’adhésion du MTC à cette convention permettait entre autres la réciprocité des sanctions en ce qui concerne les jockeys, entraîneurs, coursiers etc.

Afin d’être reconnue par la FIAH, la MTA devait faire une demande en bonne et due forme et celle-ci doit être soutenue par l’autorité hippique du pays en question, à savoir le MTC. Une condition par ailleurs obligatoire. «Moreover, it seems unlikely that the Executive Council should accept the application of another association to represent Mauritius, taking into consideration the somewhat small horseracing activity of the island», tempérait toutefois Louis Romanet dans ladite correspondance. On se souvient également que le rapport Parry en 2015 avait également suggéré la création d’une Turf Authority, calquée sur le modèle anglais. Six ans plus tard, elle se fait toujours attendre.

1997. La plus grande grève des bookmakers au Champ de Mars

Les bookies ont souvent eu recours à la grève ces dernières années surtout en début de saison, tantôt par rapport aux redevances, tantôt par rapport aux frais d’opération. Reste que la plus grande grève jamais menée dans l’histoire des courses à Maurice a eu lieu entre le 14 et le 21 août 1997. Du reste, lors de la réunion de courses du 16 août, les parieurs ont dû placer leurs mises que chez le Tote. «Du jamais vu», avait d’ailleurs titré le magazine l’Express Turf. Les bookies en grève, les parieurs se sont tournés massivement vers les guichets du Tote. Dont le chiffre d’affaires avait quadruplé pour l’occasion ! Cette grève, qui avait duré une bonne semaine, trouvait sa source autour de l’augmentation des frais imposés aux bookmakers.

Le bookmaker Izam Joomun s’était converti en marchand de chapeaux le temps d’une journée lors de cette grève.

Bijaye Greedharry s’en souvient encore. «Cette grève avait eu lieu parce que le Mauritius Turf Club avait augmenté nos redevances d’une manière conséquente. On avait eu une réunion avec le Mauritius Turf Club et celui–ci était resté sur sa position. On a par la suite eu une rencontre avec le ministre des Finances qui a organisé une réunion tripartite avec les bookmakers, le MTC et les autres stakeholders dont les marchands qui opèrent dans la plaine. On a alors pu trouver une solution après avoir fait la grève pendant une semaine», relate Bijaye Greedharry, président de la Turf Bookmakers Association.

Les bookmakers, reprénsentés par Me Rama Valayden, ont attendu jusqu’au dernier moment pour maintenir leur grève jusqu’au bout puisque les négociations avec le MTC se sont déroulées jusqu’à fort tard dans la soirée à la veille de la journée de courses. Turfistes et bookmakers ont attendu ensemble les dernières nouvelles, lesquelles malheureusement n’etaient pas au goût des opérateurs de paris. L’express avait évoqué dans ses colonnes que la taxe de 10% imposés par le gouvernement n’avait également pas été au goût des turfistes lors de cette journée prévue le 16 août.

On retiendra que lors de cette grève, le bookmaker Izam Joomun s’était, lui, converti, le temps d’une journée de courses au Champ de Mars, en… marchand de chapeaux !

2021. Giraud vs GRA : la Cour suprême tranchera

De mémoire de turfiste, le turf mauricien n’a jamais connu pareille incertitude quant au coup d’envoi de la saison hippique. Du premier départ pressenti pour le 20 mars dernier à celle du 15 mai pour la reprise des activités, les amoureux des courses hippiques ont connu un véritable ascenseur émotionnel.

Jean-Michel Giraud n’avait sans doute jamais imaginé un retour aussi mouvementé au sein de la haute hiérarchie du Mauritius Turf Club (MTC). Largement plébiscité lors de la dernière assemblée générale élective, le nouveau président se retrouve malgré tout au centre d’un véritable bras de fer entre son club et la Gambling Regulatory Authority (GRA). En cause : sa Personal Management Licence (PML) toujours pas émise par l’instance régulatrice et sans laquelle il ne pourra siéger sur le board de la subsidiaire Mauritius Turf Club Sports & Leisure Ltd (MTCSL), le nouvel organisateur des courses hippiques à Maurice. Et qui l’a conduit ultimement à démissionner de son poste de président de MTCSL.

Au sein du MTC, ils sont nombreux à ne pas comprendre pourquoi Jean-Michel Giraud n’est toujours pas en possession de sa PML. Il faut dire que l’insistance de la GRA pour mener son «due diligence» au sujet du président du MTC exaspère de plus en plus du côté du club. «Qui sont-ils pour juger s’il peut avoir sa PML ? Où sont les compétences hippiques de la GRA ? Veulent-ils tenir le MTC en otage ?», se demande un haut cadre du MTC. Or, on peut penser que la GRA doit avoir ses raisons pour mener son enquête de façon aussi méticuleuse. Elle a d’ailleurs envoyé une correspondance à Jean-Michel Giraud pour lui énumérer toutes les interrogations toujours en suspens à son sujet. Mais ce qui est aussi vrai, c’est que l’instance régulatrice n’a pas encore rejeté la demande de Jean-Michel Giraud. Par contre au MTC, l’invitation lancée par la GRA pour débuter la saison sans son président, le temps qu’il se mette en règle, ne passe pas. «On ne veut pas céder sur le principe. Jean-Michel Giraud représente le MTC et c’est la fonction qu’il représente qui n’est pas respectée actuellement», estime-t-il.

Longtemps intransigeante sur la question de la reprise sans son président «on board», il semblerait que la MTCSL ait assoupli sa position sur la question. Il faut dire que la dernière rencontre avec les entraîneurs a été pour le moins tendue par moments, ces derniers réclamant, au même titre que bon nombre de propriétaires, un démarrage dans les plus brefs délais, quitte à ce que cela se fasse sans le président. Au cours de cette rencontre, Jean-Michel Giraud a aussi annoncé l’ouverture d’une enquête en interne pour connaître les raisons derrière le retard accumulé pour que la MTCSL soit en règle avec les provisions légales du pays, un des reproches qu’avait fait l’instance régulatrice dans ses nombreuses correspondances.

En ce qui concerne sa PML, Jean-Michel Giraud ne veut plus se plier au bon vouloir de la GRA. Dans un document déposé en Cour suprême cette semaine, le président du MTC somme l’instance régulatrice de lui délivrer sa licence car il considère que celle-ci, qu’il qualifie par ailleurs de «déraisonnable, irrationnelle et arbitraire», abuse de ses pouvoirs discrétionnaires en s’appuyant sur des «irrelevant matters» et des «irrelevant extraneous considerations» pour retarder jusqu’ici l’émission de sa PML. Il appartient désormais à la Cour suprême de trancher. La motion de Jean-Michel Giraud y sera entendue ce lundi.