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Au Yémen, la peur du Covid-19 tue aussi

26 avril 2021, 15:14

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Au Yémen, la peur du Covid-19 tue aussi

Assis près de la tombe de sa femme, Mouchir se rappelle la façon dont trois hôpitaux de Sanaa ont refusé de la traiter malgré sa grossesse avancée de peur qu'elle ne soit porteuse du coronavirus car elle souffrait de difficultés respiratoires.

Belkis est morte à 31 ans dans un quatrième hôpital de la capitale aux mains des rebelles Houthis, dans ce pays dévasté par plus de six ans de guerre. Elle a laissé derrière elle son mari et un fils en bas âge.

Mais dans cet établissement, «l'obstétricien et l'anesthésiste ont refusé de pratiquer une opération qui aurait pu sauver la mère et le bébé par crainte qu'elle ne soit atteinte du coronavirus», raconte Mouchir Farhan à l'AFP. 

Enceinte de neuf mois, elle «avait simplement besoin d'une assistance rapide pour l'aider à respirer et les sauver, elle et notre bébé», confie cet employé d'une entreprise de sécurité de 35 ans. 

Le sort de Belkis illustre de manière tragique les craintes liées à cette maladie, y compris chez les médecins, dans cette ville.

Outre le manque de formation pour traiter les patients souffrant du Covid-19, les hôpitaux manquent d'équipements essentiels, notamment d'oxygène, et subissent souvent des coupures d'électricité.

Les rebelles, soutenus par l'Iran, se sont emparés de la capitale en 2014 et contrôlent une grande partie du nord du pays. Ils ne communiquent pas sur la pandémie.

Mais les décès dus au Covid-19 sont devenus un sujet brûlant à Sanaa tandis que d'autres régions du pays, notamment le sud --sous contrôle du gouvernement soutenu par une coalition militaire menée par l'Arabie saoudite--, connaissent une progression des cas.

«Ni chiffre, ni communication»

Selon Mouchir, sa femme --dont le test s'est révélé négatif au Covid-19-- est morte parce que le personnel médical a tardé à la prendre en charge. Il était trop tard quand elle a atteint le quatrième hôpital.

«Elle est entrée dans la salle d'examen, je suis allé acheter des médicaments et je suis revenu pour la trouver sans vie», se souvient-il.

La pandémie a exacerbé la crise humanitaire au Yémen, où le conflit a fait des dizaines de milliers de morts, selon des ONG, des millions de déplacés et poussé une grande partie de la population au bord de la famine.

Plus des deux tiers des 30 millions d'habitants dépendent de l'aide internationale, l'économie du Yémen s'est effondrée et ses infrastructures ont été largement détruites. Le pays connaît la plus grave crise humanitaire actuellement dans le monde, selon l'ONU.

Sanaa, avec ses marchés animés et ses mosquées bondées de fidèles pendant le mois du ramadan, n'observe aucune mesure sanitaire et le port du masque est très rare.

«Il n'y a ni chiffre officiel, ni communication officielle. Et les résultats des tests ne sont pas publiés», explique à l'AFP un travailleur humanitaire sous couvert d'anonymat.

Les autorités sanitaires houthies n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

«Rumeurs et stigmatisation»

Selon la source humanitaire, une recrudescence des cas a été observée dans la capitale depuis mi-mars malgré «la faible capacité de dépistage».

«Les hôpitaux publics sont proches de la saturation. Dans les cliniques privées, la situation n'est pas claire», précise-t-elle, ajoutant que de nombreux malades essaient de se faire soigner «chez eux». 

«Les gens hésitent souvent à aller à l'hôpital lorsqu'ils présentent des symptômes de type Covid-19, par crainte d'être stigmatisés. Parfois ils ne croient pas qu'ils seront traités. Ils ont peur à cause des rumeurs et ne font pas confiance au système médical», ajoute-t-elle.

Le Yémen a recensé plus de 6.000 cas, dont 1.175 décès, mais la réalité est probablement bien supérieure.

Il a reçu en mars une première cargaison de vaccins anticoronavirus par l'intermédiaire de Covax, programme public-privé international visant à garantir un accès équitable aux vaccins.

Quelque 360.000 doses du vaccin AstraZeneca sont arrivées dans la ville portuaire méridionale d'Aden, où est basé provisoirement le gouvernement.

Selon Ishraq al-Sibaï, porte-parole du comité national du Yémen pour la lutte contre le Covid-19, 10.000 doses ont été livrées à l'Organisation mondiale de la santé pour les zones tenues par les rebelles.

«Ils s'en serviront peut-être pour vacciner les responsables Houthis plutôt que le personnel médical», a-t-elle dit à l'AFP.