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Réfugiés en Colombie, ils dénoncent des exécutions de civils au Venezuela

6 avril 2021, 16:25

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Réfugiés en Colombie, ils dénoncent des exécutions de civils au Venezuela

Emir Ramirez a perdu ses parents, un frère et un oncle, tués apparemment par des militaires vénézuéliens. Réfugié en Colombie, il ne cache pas sa colère en évoquant les images de leurs cadavres munis d'armes qu'il ne leur a jamais vues.

«Pourquoi les a-t-on assassinés?», s'interroge impuissant ce jeune commerçant de 26 ans. «Ce n'était pas des guérilleros (...) C'était les gens les plus humbles du monde!», ajoute-t-il lors d'une interview avec l'AFP.

Le 21 mars, alors que la famille se trouvait chez elle à La Victoria, dans l'Etat vénézuélien d'Apure, des combats ont éclaté entre l'armée et des guérilleros.

Bien que depuis près de soixante ans une guerre interne complexe fasse rage de l'autre côté de la frontière, les habitants de cette région n'avaient jamais rien vécu de tel, raconte Emir, qui s'est mis à l'abri dans la localité colombienne d'Arauquita (nord-est).

Craignant pour leurs vies, il a traversé l'Arauca en canoë avec son épouse pour rejoindre d'autres proches et leur fils de sept ans, qui se trouvaient déjà sur l'autre rive. Il a tenté en vain de persuader ses parents colombo-vénézuéliens de les accompagner.

Quelque 5.000 personnes ont ainsi fui, nouveaux réfugiés de la violence, contraints de survivre dans des tentes, en pleine pandémie de Covid-19.

Caracas accuse Bogota de négliger les 2200 kilomètres de la frontière poreuse qui sépare les deux pays et de permettre l'expansion de groupes armés.

Nouveaux réfugiés

Le ministère vénézuélien de la Défense a fait état de neuf «terroristes» tués, de «huit morts» parmi les militaires, et de plus d'une trentaine de prisonniers au 4 avril.

Bogota et l'opposition au président vénézuélien Nicolas Maduro assurent que par cette offensive, Caracas veut aider des guérilleros colombiens dans leur lutte contre une autre faction pour le contrôle du trafic de drogue. Les deux groupes sont des dissidents de l'ex-guérilla des Farc, qui a signé la paix en 2016.

La famille d'Emir a été abattue le 25 mars. Le soir même, un proche lui a montré sur son téléphone portable les photos des corps de son père Emilio, 42 ans, de sa mère Luzdary, 40 ans, de son frère Uriel, 17 ans, et de son oncle Yanfran, 22 ans, vêtus de treillis militaires, bottés et armés.

«La première photo que je vois est celle de ma maman, avec un pistolet près d'elle, sur le sol. Et des bottes, des bottes de guérillera!», se souvient-il, encore incrédule.

Les images suivantes montrent son père, également botté, en pantalon vert olive et «un pistolet à côté», sur une autre il découvre son petit frère «avec une grenade».

L'AFP a vérifié que ces photos ne dataient pas d'avant le 26 mars et qu'elles n'avaient pas été manipulées.

Le procureur général du Venezuela, Tarek Saab, a ordonné une enquête pour «rétentions arbitraires, agressions et pillages» lors des combats. Mais il n'a pas répondu aux interrogations de l'agence sur le cas des Ramirez.

A Arauquita, d'autres réfugiés confirment le récit d'Emir. Quatre ont connu cette famille de paysans «sans histoires». Leurs témoignages coïncident sur le fait que des hommes des forces spéciales vénézuéliennes, vêtus de noir, ont opéré à La Victoria.

Cadavres manipulés?

Carla, 25 ans, qui a modifié son prénom de crainte de représailles, se souvient des journées ayant précédé la mort des Ramirez.

«Nous avons commencé à entendre des coups de feu horribles, atroces. Les enfants criaient, se cachaient sous les lits (...) Puis l'hélicoptère est descendu et j'ai pu voir une personne en uniforme», dit-elle.

Décrivant la famille assassinée comme «les personnes les plus humbles» qu'elle ait connues, elle se souvient du père: «Je ne l'ai jamais vu agressif, jamais vu portant une arme».

L'AFP a consulté Carlos Valdés, ex-directeur du service de médecine légale colombien, à propos des photos.

Pour cet expert, qui a enquêté sur les exécutions extra-judiciaires de civils par des militaires en Colombie ou «faux positifs», les cadavres ont été disposés «sur le dos, avec une arme dans la main» selon un «schéma de simulation» similaire.

Dans le cas du jeune frère, une tache de sang sur le côté démontre qu'«on a tiré» le corps et son bras «présente une fracture», causée probablement alors qu'il était vivant et l'empêchant de brandir une arme.

L'ONU et plusieurs ONG ont dénoncé de graves violations des droits humains commises par les forces de l'ordre vénézuéliennes.

Les quatre corps ont été transférés à Arauquita. Emir attend le résultat de l'autopsie. «Je veux justice, que leurs noms soient blanchis!»