Publicité

Analyse: l’économie entre la claque de Moody’s et la frappe du Covid

10 mars 2021, 13:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Analyse: l’économie entre la claque de Moody’s et la frappe du Covid

La mise en garde de Moody’s, que la Banque de Maurice essaie de relativiser, doit être prise avec beaucoup de sérieux au moment où le pays craint une deuxième vague du Covid-19.

Alors que le Premier ministre, Pravind Jugnauth s’auto-glorifiait jusqu’à tout récemment de sa gestion de la pandémie, se félicitant lors des réunions dites socioculturelles et politiques de l’image Covid-Safe du pays, voilà que l’annonce d’un nouveau cluster de la pandémie dans la communauté lui rappelle nécessairement des leçons d’humilité. Et le pousse malgré lui à réfléchir à un deuxième confinement du pays aux conséquences éminemment négatives pour l’économie.

Or, c’est la dernière chose à laquelle les opérateurs économiques peuvent penser après presque une année de fermeture des frontières du pays, asphyxiant dans la foulée les principaux secteurs jadis porteurs de croissance mais aujourd’hui en mauvaise posture financière. Plus particulièrement le tourisme, le textile, la construction ou encore le secteur d’exportation dans une certaine mesure. Résultat des courses: une contraction économique de 15 % du PIB avec des risques de licenciements massifs à plus brève échéance pour des groupes fortement endettés.

Le dernier rapport de l’agence de notation américaine Moody’s, publié le 4 mars, est venu d’ailleurs s’interroger sur le rythme de la reprise économique avec une détérioration des paramètres budgétaires et ceux de la dette. Une situation qui a contraint les analystes de Moody’s à abaisser la note du pays de Baa1 à Baa2.

En clair, l’agence américaine tire la sonnette d’alarme sur la capacité de Maurice à honorer ses engagements financiers tout en rappelant que sa dette souveraine était déjà élevée par rapport à celle des pays comparables notés à Baa. Pire, cette dette sera appelée à prendre l’ascenseur suivant l’effet de la pandémie. Or, un nouveau downgrading placerait le pays dans la zone rouge avec une note Baa3, confirmant ainsi sa situation de faillite.

Cette situation est loin de choquer les analystes financiers qui appréhendaient déjà une détérioration de la notation du pays par Moody’s. Kevin Teeroovengadum s’attendait en fait à un rapport sévère de l’agence de notation car «the writing was on the wall». Et ce en se basant sur les principaux indicateurs qui ont tous viré au rouge.

«Comme la Grèce»

Avec notamment une contraction de 15 % du PIB du pays l’année dernière, un secteur touristique rapportant Rs 60 milliards de forex, gardant difficilement la tête hors de l’eau, des investissements directs étrangers chutant à plus de 40 % et une forte augmentation de la dette publique, dont une hausse de celle de l’extérieur à hauteur de 60 %. Et le tout couplé à un taux de chômage supérieur à 10 % de la population active et des risques d’une inflation galopante. Cerise sur le gâteau : l’inclusion de Maurice sur la liste grise du GAFI pendant au moins une année.

«Il ne faut surtout pas oublier la population vieillissante avec 18 % des habitants ayant plus de 60 ans, qui sera une véritable bombe à retardement pour l’économie vu que celle-ci sera dans l’incapacité dans le contexte actuel de créer suffisamment de valeur. À la limite, Maurice s’est déjà enlisé dans une spirale d’endettement. Tout cela pour dire que nous nous dirigeons vers un crash économique, plus ou moins pareil à ce que la Grèce a connu en 2010 et l’Afrique du Sud quelques années de cela avant la crise du Covid», insiste Kevin Teeroovengadum.

Qu’on ne se voile pas la face. Les symptômes sont identiques, estime l’analyste financier qui dresse un parallèle avec la Grèce et le pays de Nelson Mandela qui ont commencé à s’enfoncer économiquement suivant leur downgrading à Baa2 par Moody’s, assorti des perspectives négatives en 2010 et 2014 respectivement. «L’économie a besoin urgemment de réformes structurelles profondes et rapides.»

Face à la bombe de Moody’s, la Banque de Maurice, aidée par la Mauritius Bankers’ Association (MBA), a voulu jouer au pompier en essayant de faire du damage control. Ainsi, les deux institutions n’ont eu rien mieux à dire que de rappeler par le biais de deux communiqués que l’abaissement de la notation de Moody’s relève de l’effet de la pandémie du Covid-19, à l’instar d’autres pays à travers le monde.

La MBA, comme le porte-parole du secteur bancaire, ajoute que «les agences de notation ont revu à la baisse leurs notes et perspectives pour plusieurs pays, avec un recul de plusieurs crans dans certains cas». Une affirmation que personne ne conteste mais encore faut-il pour autant que les autorités entendent la sonnette d’alarme de cette agence de notation qui a déjà décelé dans ses précédents rapports des signes de faiblesse sur le front de l’endettement.

«Il est clair que sur la base de ce dernier rapport, Moody’s ne souscrit pas à la démarche de la Banque centrale de financer la dette de l’État car l’agence est convaincue que dans sa posture actuelle le gouvernement n’a pas les moyens financiers de le faire», analyse un ex-banquier. S’aventurer sur cette voie forcerait l’État à traverser la ligne rouge.

Certes, l’éventualité d’un deuxième lockdown du pays dans le sillage de la découverte d’une dizaine de cas locaux provenant d’un cluster de contamination à la compagnie Surat est vivement appréhendée par la communauté des affaires, celle-ci subissant encore les effets du premier confinement. Les capitaines de l’industrie ne savent pas à quel saint se vouer si le gouvernement privilégie finalement cette option.

Bref confinement

Arnaud Lagesse, CEO du groupe IBL, anticipe que ce serait une catastrophe pour «l’économie déjà mise à mal par une année de Covid et maintenant sous pression des agences de notation». Précisant dans la foulée qu’il n’y a pas mille solutions. «Il faut donc tout faire pour éviter un deuxième lockdown du pays qui sera possible seulement si on accélère la vaccination et encourage les gestes barrières», recommande-t-il.

Un postulat auquel l’économiste Rajiv Hasnah ne souscrit pas totalement. Il préfère un lockdown qui soit rapide et court pour briser la chaîne de contamination et avec moins de dégâts financiers pour le pays au lieu de prendre des risques d’une explosion du virus qui nécessiterait un plus long confinement aux conséquences économiques désastreuses pour les entreprises. Cela, tout en sachant, dit-il, que la campagne de vaccination prendra des mois avant d’atteindre l’immunité collective, soit avec 60 % de la population vaccinée.

Avec les effets combinés du downgrading de Maurice, plus particulièrement sur la notation de sa dette souveraine couplée aux sérieux risques d’un nouveau confinement du pays, même partiel, et les pressions sur la juridiction mauricienne placée sur la liste grise par le GAFI pendant encore une année, le ministre des Finances marche visiblement sur les œufs. En attendant peut-être des signes clairs avec le début des consultations prébudgétaires d’ici deux mois.