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Commémoration: dans les pas de Kaya

24 février 2021, 12:42

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Commémoration: dans les pas de Kaya

Plus de deux décennies n’ont rien effacé. Kaya a laissé des traces indélébiles dans les coeurs. Vingt-deux ans après sa mort, c’est avec le coeur que des témoins traversent à nouveau son histoire. Celle qui a rejoint l’Histoire. Arpentant quelques-uns des lieux qui portent ses traces.

Premiers pas : Quartier Shell, Roche-Bois

Un mur imposant surmonté d’une clôture électrifiée. À côté, un terrain vague, avec les vestiges d’un «sali rouz», qui rappelle un ancien club de foot, nommé Saint-Pauloise. Il ne reste plus rien de la maison où Kaya a fait ses premiers pas. Michel Lapunaire, 68 ans, vit toujours à la rue Pierre Victor Albert, à Roche-Bois, où Kaya a vécu ses premières années. «Nou ti viv kouma fami isi. Mo bann frer ar so bann frer impe mem laz. Si ena pou rakont ou, kapav tir enn liv 400 paz», affirme-t-il. 

À l’époque, il n’y a pas beaucoup d’habitants dans le quartier connu alors comme Camp Zoulou. Un nom jugé dénigrant. Il changera pour devenir quartier Shell, du nom de la station-service. «Aster mo fier mo ti bout.» Car le quartier a produit outre Kaya, d’autres talents. Michel Lapunaire cite Big Frankii et Sky to Be, ainsi que des sportifs. Sans oublier son frère, Gino Lapunaire, «gran bater ravann» aujourd’hui disparu. Michel Lapunaire se souvient surtout que c’est «chez Kaya qu’il y a eu la première télévision du quartier. Lerla tou dimounn al get televizion kot li».

 Le grand frère de Kaya, Renald Collet et «de-trwa kamwad ki res dan bitasion, tom» dans la musique. Michel Lapunaire joue de la basse. «Kot nou al zwe, Kaya swiv nou.» Qu’ils se produisent dans des mariages ou qu’ils soient en répétition, le jeune Kaya «galoup deryer nou». Jusqu’à ce qu’il demande qu’on le laisse chanter. Il reprend le tube d’alors, Bats-toi de Mike Brant, sorti en 1974. Au fil du temps, ils perdent de vue les «kamwad dan bitasion». Cela donne lieu à un nouvel orchestre : Michel Lapunaire est toujours le bassiste, «Kaya est soliste, Mario Immouche (NdlR : futur membre des Windblows) est à l’accompagnement». On est bien avant la naissance de Racinetatane. Non sans humour, l’ami de jeunesse de Kaya se souvient : «Quand j’ai arrêté la musique et que lui a continué, mwa ki galoup deryer li sa kou la», pour assister à ses concerts. Plus tard, Kaya vivra aussi à Beaux-Songes.

Place Edward VII : concert pour la dépénalisation du cannabis 

Dernier concert de Kaya. C’est le 16 février 1999. Ce jour-là, le Mouvement républicain (MR) de Rama Valayden tient un rassemblement Place Edward VII, à Rose-Hill, avec l’autorisation de la police. Le thème : la dépénalisation du gandia. Plusieurs chanteurs dont Michel Legris, Nitish Joganah et Kaya sont à l’affiche. Le seggaeman sera arrêté pour avoir fumé du gandia sur scène lors de ce rassemblement. La place Edward VII est un lieu également associé aux grands meetings du Mouvement Militant Mauricien (MMM).

Foire Magic Land Stade de Rose-Hill 

Record d’audience. Le 14 mars 1990, pour célébrer l’indépendance, la mairie de Beau-Bassin/Rose-Hill organise la foire Magic Land, qui se termine par un concert. Rendez-vous au stade de Rose-Hill, «nek pou Rs 5», dit l’affiche dessinée par Enri Kums. Elle annonce Michel Legris, Natir et Racinetatane entre autres. 

Beaucoup parlent de «plus de 40 000 spectateurs» ce soir-là. Rama Poonoosamy de l’agence Immedia, qui était dans l’organisation de la manifestation, nuance, «40 000 personnes ont acheté des billets pour la foire, mais tous n’étaient pas là la nuit pour le concert». Il affirme que l’audience était de «23 000 personnes, avec 2 500 autres spectateurs qui faisaient la queue».

Alcatraz : Le douloureux mystère 

Les murs ont des oreilles. Ah, s’ils pouvaient parler. Ceux de la cellule n° 6 d’Alcatraz, officiellement le Metropolitan Detention Centre, nous raconteraient les dernières heures de Kaya. Mais surtout comment il est mort. Détenu depuis le jeudi 18 février 1999, il décède en cellule policière le 21 février 1999. Plusieurs voix se sont élevées pour réclamer la fermeture d’Alcatraz, centre de détention situé dans l’arrière- cour des Casernes centrales. Demandes restées lettre morte.

Les adieux du terrain de foot 

C’est au terrain de foot de Roche-Bois que la dépouille de Kaya est exposée, le 24 février 1999. On l’a revêtu d’une tenue flamboyante rouge et léopard. Une guitare est à côté de lui. Le cardinal Jean Margéot est présent. Comme des milliers de Mauriciens venus rendre un dernier hommage au seggaeman. La dépouille accompagnée d’un cortège fera le tour du quartier avant de se rendre à l’église Notre Dame de l’Assomption, où le curé de l’époque, Philippe Fanchette, dira : «Kaya to vivan.» Aujourd’hui, le terrain de foot porte le nom de Kaya.

Rest in peace: Cimetière de Roche-Bois 

Au fond, à droite (par rapport à l’entrée) du cimetière de Roche-Bois. C’est là que repose Joseph Reginald Topize. Une guitare aux couleurs rastafari et un livre fermé distinguent cette tombe de toutes les autres. Sur la couverture on peut lire qu’il a été «lespwar zenn zenerasyon». Un livre fermé, mais l’histoire n’est pas terminée.

 




 

Paroles de musiciens

Berty Fok: «Sanz nou mantalite, pa res dan kaptivite» 

L’ex-percussionniste de Kaya vit aujourd’hui à La Réunion. Il s’est éloigné de Racinetatane, le groupe mythique de Kaya, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne suit pas l’actualité à Maurice. «Le seggae continue de vivre en moi», explique-t-il. Observateur de la société mauricienne, Berty Fok souligne que les paroles de Kaya sont plus que jamais vivantes. «Le combat du seggae contre les divisions, l’oppression et l’inégalité continue. Si pena linite ek lekite nou pou fini par pey sa bien ser», souligne-t-il. 

Avant d’ajouter : «Nous avons toujours fait semblant d’être ‘enn sel lepep enn sel nasion’. Mais il y a une partie de la population qui a toujours été rejetée. Pourquoi Maurice est-elle dirigée par les gens d’une même communauté et d’une même caste ? Comme le dit Kaya dans sa chanson Rasinn pe brile, nu bizin sanz nu mantalite, pa res dan kaptivite». 

À propos des marches citoyennes organisées à Maurice, Berty Fok rappelle les paroles de Kaya : «Pran gard tansion nou tom anba enn lot lagar.» Le musicien rêve que de «vraies propositions» soient faites pour que «chaque communauté puisse avoir les mêmes avantages».


Charles Quirin: «Kaya ne faisait pas du seggae pour l’argent»

Charles Quirin, plus connu comme Ti-Charles, est l’ex-claviériste de Kaya. L’année dernière, en compagnie de jeunes artistes et du fils de Kaya, Azaria, il a repris en main le groupe du chanteur disparu, Racinetatane. 

Pour rendre hommage à Kaya, il a organisé, hier, un dépôt de gerbes sur la tombe du chanteur tragiquement disparu en prison le 21 février 1999. Vingt-deux ans plus tard, Charles Quirin pense toujours à son ami et à ses paroles. Hier, il a également organisé une session de réflexion autour des textes de Kaya. 

«Tou seki linn dir pe arive», constate-t-il. «Kaya avait dit : nou pou lager ant nou. Inn ariv ler pou pran konsians.» 

Ti-Charles constate aussi ce que certains font du seggae. «Je me demande s’ils y mettent leur coeur ou s’ils le font pour de l’argent. Pour faire du seggae, il faut un certain amour, une certaine souffrance. Kaya ne le faisait pas pour l’argent. Il croyait dans ce qu’il disait». 

Le musicien se souvient aussi que Kaya disait : «Tou seki lao pou tom anba. C’est ce qui se passe.» Charles Quirin souhaite qu’à l’heure où, «tou dimoun pe swaf lape», les paroles de Kaya soient mieux écoutées et appréciées à leur juste valeur.