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GAFA et démocratie - Dominique Wolton : «Une guerre entre les États et Facebook s’annonce»

23 février 2021, 18:18

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GAFA et démocratie - Dominique Wolton : «Une guerre entre les États et Facebook s’annonce»

Entre jeudi dernier et ce mardi 22 février les utilisateurs de Facebook en Australie n’avaient pas accès aux sites d’information. Cette décision avait été prise par le géant américain afin de protester contre un projet de loi, qui obligerait les géants du numérique à rémunérer les médias locaux. Mais un retour à la normale a été annoncé après que l’Etat australien a accepté d’amender la loi. Cependant, cette situation inédite forcera les États à prendre conscience de l’impunité non seulement de Facebook, mais des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) en général, estime Dominique Wolton. C’est du chantage, qui reflète la faiblesse des États et la tyrannie de la technologie. Et cela devrait tous nous concerner.

Facebook contre les États. C’est la prochaine guerre qui se prépare, selon le directeur de recherches au CNRS. Le sociologue réagit à la suite de la décision de Facebook de bannir en Australie non seulement les sites des médias, mais aussi le partage des liens des sites d’informations. Cette décision fait suite à la décision du gouvernement australien d’introduire une loi contraignant le géant américain à rémunérer les médias pour la reprise de leurs contenus. Sans crier gare, du jour au lendemain, les sites d’informations ont été bannis. Cette situation, poursuit le sociologue, est une bonne chose…

Selon Dominique Wolton, cette décision de Facebook forcera les États à prendre conscience de l’impunité non seulement de Facebook, mais des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) en général. «Ce qui s’est passé en Australie, c’est du chantage. Cela reflète deux choses : la faiblesse des États et la tyrannie de la technologie. Depuis 30 ans, les pays ont courbé l’échine devant les géants de l’Internet. Aujourd’hui, on voit le début de la guerre entre les États et les GAFA.»

Cette guerre, ce sont les pays qui vont la gagner car il ne peut pas y avoir d’entités au-dessus des États. Si la situation s’est dégradée et a permis aux géants de la collecte de données d’avoir une telle emprise, c’est aussi la faute des politiciens. L’exemple cité par le chercheur est le bannissement de Donald Trump des réseaux sociaux. «Tout le monde a trouvé cela formidable. Mais était-ce le rôle de ces entités de prendre cette décision ? Ce n’était pas plutôt à la communauté internationale de demander cela ?» Certes, concède-t-il, avec l’introduction des lois au niveau des pays, les géants resteront des puissances économiques, mais ils devront se plier aux différentes lois, qui visent surtout à protéger les citoyens. Mais avoir des lois pour réguler le fonctionnement des réseaux sociaux n’est pas synonyme de renoncer à une partie de notre liberté ? «Attention. Il faut faire la différence entre la liberté d’expression et la liberté d’informer.»

Où s’arrête la liberté ?

L’expression n’est pas toujours de l’information, même si depuis l’apparition des réseaux sociaux, les deux s’entremêlent. «Puis, où s’arrête la liberté ? Prenez l’exemple de Maurice. S’il y a une guerre communale, est-ce que les réseaux sociaux ne vont pas plutôt aider à propager la haine plus qu’autre chose ?» demande Dominique Wolton. Comment faire pour différencier entre la vraie information et le reste ?

Le spécialiste dit que sur le Net en général, il n’y a qu’environ 10 % d’information. Tout le reste, dit-il, est à mettre à la poubelle. Pour faire la différence entre les contenus, il faut des journalistes, affirme Dominique Wolton. «Paradoxalement, au début des réseaux sociaux, les journalistes ont vu cela comme un outil. Mais aujourd’hui, c’est ce même outil, qui est en train de jouer contre les médias. C’est pour cela qu’il est temps que les journalistes fassent le travail de vérification. Sinon, le jour viendra où le citoyen, submergé, décidera de faire sa propre recherche et vérification de ce qu’il y a en ligne, et ce sera la mort du métier», met-il en garde.

Si la décision de Facebook se généralise, le monde sera moins connecté. Est-ce que la société va régresser pour autant ? Ce n’est pas sûr. «Encore une fois, prenez l’exemple de Maurice. Ce n’est pas avec l’Internet que le pays s’est construit et a rebondi de l’agriculture au textile puis au tourisme. Puis, le génocide du Rwanda n’a pas été aidé par le Net, mais par la radio. Non, le monde ne changera pas pour le pire.» D’ailleurs, il se peut même que l’homme retourne au temps où ses centres d’intérêt étaient variés. «Aujourd’hui, avec les algorithmes, le net a créé des communautés fermées. Il y a de moins de moins de vision globale car on vous offre uniquement ce qui vous intéresse. Le plus pervers dans ce système est que l’on fait croire aux utilisateurs que cela leur suffit», gronde Dominique Wolton. En s’éloignant du monde virtuel, l’intérêt de la découverte sera ranimé, et cela ne pourra qu’aider la société.

Pour en revenir au point de départ, le chantage de Facebook à un pays, dit le directeur, s’inscrit dans l’idéologie même de la mondialisation des GAFA. «Et on a vu les dégâts que cela a causés. Il est temps d’y mettre de l’ordre.» Pour conclure, Dominique Wolton affirme que la pandémie actuelle a eu au moins un effet positif. «Cela a fait réaliser aux gens qu’on ne peut pas indéfiniment avoir des relations virtuelles à travers les réseaux et Zoom. À un moment, le monde s’est rendu compte qu’il faut le contact humain et physique. Et c’est cela qui va nous aider à nous défaire des géants de l’informatique.»