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En marge de la fête du printemps: Ce que Maurice doit aux immigrés chinois

12 février 2021, 09:28

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En marge de la fête du printemps: Ce que Maurice doit aux immigrés chinois

Le texte ci-dessous est un extrait de la conférence donnée par Jean Claude de l’Estrac au Caudan Arts Centre à l’occasion de la signature d’un accord entre la New China Town et l’Union des Français de l’Etranger (Maurice).

C’est pendant la colonisation française, sous l’administration de la Compagnie des Indes orientales, que les premiers contacts vont se nouer entre la Chine Impériale et l’île de France. Un premier contact dramatique et malheureux.

Nous sommes en 1761. La France et l’Angleterre sont en guerre. C’est la Guerre des Sept Ans, une guerre quasi mondiale qui se déroule sur plusieurs champs de bataille et qui implique nombre d’États européens.

Les Anglais, présents dans l’océan Indien, surveillent de près les agissements des Français à l’île de France. La situation géographique de la nouvelle colonie est considérée par les deux belligérants comme la clé de leur stratégie de conquête de l’Inde. Mais pour être utile à la flotte qui mouille dans son port, pour pouvoir ravitailler les navires, l’île de France a besoin d’une main-d’œuvre qu’elle n’a pas.

Avec le Chairman de l’Organisation des Overseas Chinese. Il est un ancien compagnon de la longue marche de Mao.

C’est ce qui pousse Charles Henri Hector, comte d’Estaing, un haut officier militaire présent dans l’île, à tenter une opération visant à percer le blocus de l’île par les Anglais pour, à la fois, aller chercher des provisions et de la main-d’œuvre. Il se rend à Sumatra, alors sous domination portugaise, et outre les vivres qu’il récupère de trois vaisseaux anglais, il enlève de force 300 Chinois, hommes, femmes et enfants, destinés à labourer les terres de l’île de France. Au retour, la flotte du comte d’Estaing est dispersée par un violent cyclone, et le navire sur lequel se trouvaient les femmes et les enfants des Chinois kidnappés, disparaît.

 

«Les Chinois sont très peu nombreux, et ils sont peu actifs.»

 

Arrivés à l’île de France, les Chinois, accablés de chagrin à la perte de leurs proches, refusent de travailler les terres qui leur avaient été offertes et exigent leur rapatriement. Cette première tentative d’installer des Chinois à l’île de France se termine donc par un échec. Mais ce n’est pas pour décourager les planteurs de l’île de France. Ils sollicitent des Français postés en Chine. C’est ainsi qu’un D’Arifat, installé à Canton, parvient, en 1763, à proposer à un négociant de l’île de France, un contingent de 132 hommes composé de laboureurs mais aussi d’artisans, de cordonniers, de charpentiers, de forgerons, de tailleurs.

Quelques années plus tard, en 1783, un autre agent français, Charles Le Constant, dit «Constant le Chinois» persuade 12 laboureurs et manufacturiers de sucre de s’installer dans l’île.

Toutefois, l’immigration chinoise ne décolle pas vraiment. Les Chinois sont très peu nombreux, et ils sont peu actifs. L’explorateur Jean-Jacques Milbert, qui séjourne dans l’île en 1801, donne une première description de la petite communauté chinoise. Il écrit: «Les Chinois que j’ai eu l’occasion de voir à l’île de France m’ont paru réservés et peu communicatifs. Ils sont libres, ne fréquentent point les esclaves et recherchent la société des Blancs. Ils passent dans les cafés, à fumer leurs pipes, tout le temps qui n’est pas réclamé par les affaires. Ils sont naturellement doux et enclins à la mélancholie.»

Une tout autre étape va s’ouvrir avec l’arrivée des Anglais en 1810.

Le premier gouverneur, Robert Farquhar, qui connaît la Chine et apprécie hautement la main-d’œuvre chinoise, pousse au recrutement de laboureurs chinois d’autant plus que l’abolition de l’esclavage est programmée. Il faut trouver une source alternative de main-d’œuvre.

C’est toutefois William Gordon, un vice-amiral britannique, après avoir passé quelques années en Chine et s’être impliqué dans le recrutement de laboureurs chinois, qui propose ses services aux planteurs. Gordon dit pouvoir leur faire obtenir autant de laboureurs chinois qu’ils souhaitent. En 1826, il présente un mémoire au gouverneur Sir Lowry Cole, qui s’enthousiasme. Il est décidé de l’envoyer en Chine pour recruter des laboureurs. Malheureusement, Gordon périra en mer sans pouvoir accomplir sa mission.

Deux ans plus tard, des laboureurs libres sont recrutés de Penang et de Singapour. Les Chinois sont installés là pour profiter de l’intense activité qui s’y déroule. Ils sont considérés comme des ouvriers qualifiés de l’industrie sucrière. Mais les planteurs mauriciens les traitent comme leurs esclaves. Les Chinois se rebellent, abandonnent les champs, pillent pour subvenir à leurs besoins. Le gouvernement ordonne leur rapatriement.

Les planteurs se tournent de plus en plus vers l’Inde. Le besoin de main-d’œuvre dans la colonie est croissant, l’industrie sucrière est en pleine expansion. Une association est créée pour organiser le recrutement de travailleurs étrangers. Le 29 décembre 1840, un groupe de 14 laboureurs chinois débarquent et sont dirigés à Rivière-du-Rempart sur deux propriétés sucrières. La même année, 300 autres arrivent de Penang. De 1840 à 1843, plus de 3000 travailleurs agricoles arrivent. En majorité, ils travaillent à Port-Louis dans les docks pour des constructeurs de navire. Les autres s’engagent sur des propriétés sucrières.

Mais le nombre de Chinois recrutés reste relativement faible par rapport aux besoins de la colonie. L’administration coloniale prend diverses mesures pour attirer davantage d’Indiens. Une des mesures phares est l’obligation pour les recruteurs de respecter un nombre proportionné de femmes dans chaque groupe d’immigrés. La faible proportion de femmes dans la colonie était la cause de nombreuses rixes.

Une nouvelle tentative de recruter des Chinois est faite suite à un arrêt de l’immigration indienne, Delhi protestant contre le sort inhumain fait à des engagés envoyés en quarantaine à l’île Plate et à l’îlot Gabriel, suite à une épidémie de choléra. L’administration coloniale les laissera mourir dans des conditions atroces.

Mais le projet de recrutement de Chinois tourne court parce que les agents des planteurs n’arrivent pas à persuader suffisamment de femmes d’accompagner les immigrés. Le secrétaire d’État refuse une demande de suspension de la clause exigeant un quota de femmes dans chaque groupe d’immigrés.

L’immigration des laboureurs indiens reprend grâce à un nouveau système mis en place par l’administration coloniale. Un grand nombre d’immigrés débarquent accompagnés de leurs femmes. Mais le problème chronique de manque de main-d’œuvre n’est pas résolu pour autant.

C’est ce qui incite la Chambre d’Agriculture, en 1920, à chercher de nouveau à recruter une main-d’œuvre additionnelle de la Chine malgré les réticences des planteurs échaudés par l’expérience de la révolte des laboureurs chinois, quelques années plus tôt. La Chambre d’Agriculture sollicite la coopération de la Chambre de Commerce chinoise, mais celle-ci rejette la proposition arguant qu’une arrivée massive de travailleurs sur lesquels la Chambre n’aura pas d’autorité, risquerait de mettre en danger la stabilité de la communauté. Des planteurs décident alors de recruter directement.

La contribution de ces immigrés à l’essor de l’industrie sucrière et à la production agricole restera modeste. Quelques rares marchands s’installent alors dans des régions rurales, deviennent des petits planteurs, produisent des denrées agricoles. Mais pour les Chinois, l’agriculture demeure une activité secondaire, d’autant plus qu’ils n’ont pas droit à la propriété foncière, ils sont considérés comme des «étrangers».

C’est dans le commerce, le petit commerce de proximité, l’ouverture de petites boutiques, en ville comme dans les villages les plus éloignés qu’ils s’implanteront, au fur et à mesure que des communautés se construisent avec une population d’esclaves affranchis et de milliers d’engagés indiens.

Pendant des décennies, des petits commerçants, fuyant les guerres, les persécutions et la misère en Chine, vont devenir un maillon essentiel du développement socio-économique de leur nouveau pays. Ils n’ont pas tous la même origine, ils appartiennent à divers clans – ce qui a provoqué parfois des conflits sanglants –, mais ils ont tous le culte du travail, ils sont disciplinés, et montrent une grande capacité d’adaptation à leur nouvel environnement.

Les premiers à introduire le commerce au détail et un système de crédit dit «roulement» qui ont rendu d’immenses services aux plus pauvres du pays sont les immigrés de la province de Foukien. Leur leader, appelé Kaptan, est Log Choisanne dit Hahime. Ce commerçant qui débarque en 1816 parle aussi le français et l’anglais. Il deviendra le moteur de l’immigration chinoise. Il est bientôt propriétaire de trois boutiques à Port-Louis, dont une à l’angle de la rue La Paix et la rue Royale, presque dans la Ville Blanche, le quartier réservé aux colons Blancs. C’est lui qui fait construire la pagode Kwan Tee aux Salines.

La deuxième vague est dominée par les Cantonnais, venus de la province de Guangdong. Ils auront leur propre Kaptan en la personne d’Affan Tank Wen. Les Cantonnais donneront une forte impulsion au Chinatown en devenir en créant des commerces nouveaux, des restaurants, des pharmacies, des épice- ries, des boutiques d’antiquités.

La vague la plus nombreuse est celle des immigrants originaires de Meixian, les Hakka. Hakka veut dire hôtes, visiteurs, gens de passage. Ils sont des immigrés de l’intérieur en Chine parce que persécutés pour des raisons politiques. Ils cherchent plus que les autres à sortir de la Chine. Un premier groupe est arrivé en 1860. Il s’implante à Port-Louis, érige sa propre pagode, se regroupe en clans, crée une société qui vient en aide aux nouveaux immigrés hakka. Ils sont bientôt plus nombreux que Cantonnais et Foukiénois réunis, représentant 90% des Mauriciens d’origine chinoise.

La contribution de cette communauté chinoise à l’édification de la nation mauricienne a été marquante. L’exemple qu’elle donne, son culte du travail, sa discipline, son sens de la famille, son sens de la solidarité sont des vertus enviées par tous les Mauriciens.

C’est ce qui avait fait qu’un ancien ministre des Finances, sir Veerasamy Ringadoo, déçu par l’indiscipline des Mauriciens avait déclaré un jour: «Domaz pena plis sinwa dan Moris.»