Publicité

Bodha: de «Zanfan mizer» à ministre

7 février 2021, 11:37

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

 Bodha: de «Zanfan mizer» à ministre

Cela se chuchotait durant la semaine et la nouvelle est tombée tôt hier matin: Nando Bodha démissionne comme ministre et quitte le navire MSM. Cet enfant de Montagne-Longue issu d’une famille modeste a toujours été fidèle à son mentor Sir Anerood Jugnauth. Jusqu’à hier…

Nando Bodha naît et grandit, jusqu’à ses 20 ans, dans le petit village de Notre-Dame près de Montagne-Longue. Il est issu d’une famille très modeste et vit avec ses deux frères et trois sœurs dans une petite maison en tôle et bois. Ses parents sont alors tous deux laboureurs et se plient en quatre pour subvenir aux besoins de la famille.

Un proche se souvient de la vie ‘pauvre’ mais tranquille et heureuse de Nando, la fratrie et les amis. «Nando, comme ses frères et sœurs, était très sérieux dans ses études. Ses loisirs consistaient en des matches de foot avec les copains. Les samedis, il accompagne ainsi son frère et sa mère, lorsque celle-ci part faire la lessive à la rivière du coin. Et pendant ce temps, Nando et son frère Heman pêchent le camaron et les chevrettes, qui étaient abondants à l’époque dans nos rivières», nous dit un proche du désormais ex-ministre du MSM.

Nando Bodha, qui fréquente le collège Royal de Port-Louis après l’obtention de «la petite bourse», passe en 1974 le HSC avec de brillants résultats. Mais il rate de près la bourse d’Angleterre. Il bénéficie toutefois de la non moins glorieuse bourse française. Avant de quitter le pays, il enseigne les langues au collège Universal de Rivière-du-Rempart pour quelques mois. Il rejoint l’université de Rennes où il étudie l’urbanisme. Il en sort en 1981 avec un doctorat.

De retour au pays, il peine à trouver de l’emploi dans ce secteur car le sujet est encore méconnu à Maurice. Il prend alors de l’emploi au Lycée La Bourdonnais et y enseigne le français. Quelques mois plus tard, il postule pour le poste de speaker et journaliste à la MBC.

Sa prestation à la MBC est plus que satisfaisante, selon un de ses collègues de l’époque, et il se fait remarquer par la direction. En 1983, alors que le nouveau Premier ministre, Anerood Jugnauth, veut créer le poste d’attaché de presse, une première dans le gouvernement, le directeur de la MBC de l’époque lui recommande Nando Bodha. SAJ est ravi de sa prestation. Ce dernier développe alors un attachement certain pour son attaché de presse, qu’il conserva auprès de lui jusqu’en 1995. Après la défaite du MSM cette année-là, Nando Bodha, qui est aussi candidat battu, se tourne vers des études de droit à l’université de Wolverhampton d’où il décroche son LLB.

Nando Bodha ne pratique pas comme avocat comme il n’avait pas pratiqué comme urbaniste malgré ses études poussées en la matière. Il continue sa carrière politique aux côtés de SAJ, même durant la longue traversée du désert du MSM. En 2000, il est candidat au n°8 huit et est élu sous la bannière de l’alliance MSM/MMM.

Il restera fidèle au parti soleil. Jusqu’à sa démission hier…

Les dessous d’un départ

Le jeune Nando Bodha avait toute la confiance de Sir Anerood Jugnauth à ses débuts en politique

Son départ était attendu. Et avait été ‘prédit’ par Arvin Boolell et Rama Valayden. Il semblerait que les dirigeants du MSM et Pravind Jugnauth aient été également au courant. «Si l’opposition le savait, je ne pense pas que le gouvernement l’ignorait», nous dit d’emblée un observateur politique. Mais alors, pourquoi n’a-t-on pas tenté de le retenir?

Pour le Leader de l’opposition, qui avait prévenu du départ de Nando Bodha, «c’était inévitable. Déjà il subissait trop d’humiliations et les récents scandales mis au jour, surtout les morts suspectes, ont été la goutte d’eau…»Arvin Boolell va plus loin et dit avoir remarqué que tous ceux qui étaient proches du père fondateur du MSM, Sir Anerood Jugnauth, ont été mis à l’écart et traités avec mépris. «Il y avait une limite à ce genre de traitement pour tout homme politique qui se respecte.» Pour lui, la façon autocratique de Pravind Jugnauth de diriger le pays, comme si celui-ci leur appartenait, à lui et à sa clique, et où les autres ministres n’avaient pas voix au chapitre, aura provoqué le ras-le-bol de Bodha. «Il est manifeste que Nando Bodha a refusé de continuer de faire partie d’un gouvernement mafieux.» Arvin Boolell pense que d’autres départs vont suivre.

Rama Valayden nous rappelle qu’il avait été le premier à dire que Nando Bodha allait faire ses valises. «Je salue cette première initiative qui sera, je l’espère, suivie par d’autres. Je le dis haut et fort: ceux qui restent au gouvernement et qui le défendent sont complices de ces crimes de sang et d’argent.» Il lance un appel aux députés Gilbert Bablee et Sandra Mayotte en ce sens. Rama Valayden est convaincu que c’est l’affaire Kistnen qui a provoqué le malaise au sein du gouvernement et engendré la démission de Nando Bodha, pourtant un fidèle parmi les fidèles du MSM.

En fait, Nando Bodha était surtout un fidèle de sir Anerood Jugnauth, précise Jocelyn Chan Low. Et l’historien nous raconte une anecdote datant de 2003, alors que Paul Bérenger remplaçait SAJ comme Premier ministre, avec, dans la foulée, la nomination de Pravind Jugnauth comme ministre des Finances. Un senior Minister de l’époque demande ainsi à Jocelyn Chan Low de s’occuper de la cellule de communication de Pravind Jugnauth car, dit-il, ce dernier n’a pas l’étoffe d’un ministre et encore moins celui du Premier ministre qu’il se prépare à être avec le retrait de son père.

Jocelyn Chan Low a refusé cette offre mais a demandé à ce senior Minister qui, selon lui, pourrait succéder à sir Anerood à la tête du MSM et du pays éventuellement. Réponse de cet ancien ministre: «En toute sincérité, je pense que c’est Nando Bodha. Et ce n’est pas seulement en raison de son profil ethnique mais surtout en raison de son intelligence.» L’historien est lui aussi convaincu des qualités de Bodha: «Il aurait été un Premier ministre qui fait honneur à ce poste de par son intelligence, sa modestie, son élégance, son charisme et sa maîtrise de la communication, qualités que ne possède pas Pravind Jugnauth. Si Bodha était Premier ministre, je suis convaincu qu’il n’aurait pas réagi comme Pravind Jugnauth qui n’a débité que des imbécillités face à ces scandales. Quand il ne refuse tout simplement pas de répondre aux questions.» Est-ce donc la raison de ce départ? Bodha allait-il, voulait-il être PM à la place du PM? C’est la raison en tout cas, selon plusieurs experts.

Mais il n’y a pas que cela. «Je crois que la coupe était pleine, avec tous ces scandales financiers et ces affaires où il y a eu mort d’homme et où le Premier ministre a fait preuve flagrante de manque de leadership.» Pour l’historien, des membres du gouvernement, comme Nando Bodha, espéraient que Pravind Jugnauth allait crever l’abcès en révoquant au moins Yogida Sawmynaden. «Au contraire et pire, le Premier ministre accorde sa protection et sa confiance à son ministre et colistier

Bruneau Laurette, activiste social, est, lui, d’avis que «Nando Bodha a agi comme une personne lucide. Je l’avais rencontré une fois et cela avait fait grand bruit dans la presse. Il montrait déjà des signes qui laissaient entendre qu’il n’était pas d’accord avec la façon d’agir du gouvernement. Il part avec beaucoup de dignité. C’est tout à son honneur. Il peut désormais compter sur notre soutien pour faire avancer le pays».

Et maintenant ?

Si la démission de Nando Bodha ne change pas grand-chose aux rapports de force au sein du Parlement, les spéculations vont bon train. Est-ce qu’il y aura d’autres démissions ? Des élections générales ? Partielles ? Il se passera quoi au sein de l’Assemblée à la rentrée ? Réponses…

Avec le départ du secrétaire général du MSM, la majorité gouvernementale, incluant les deux députés de Rodrigues, passe à 43 membres et l’opposition compte 27 députés. Pravind Jugnauth tient toujours le pouvoir. Cependant, depuis hier, une liste de plusieurs autres futurs démissionnaires circule et si elle s’avère, la donne peut changer. Si huit autres membres de la majorité partent, l’alliance Morisien ne comptera que 35 députés et l’opposition en aura 36.

«Dans ce cas, l’opposition peut déposer une motion de censure selon les dispositions de la Constitution», explique Milan Meetarbhan, constitutionnaliste. Le Premier ministre devra alors démissionner, ou il peut demander au président de la République de provoquer des élections générales. L’autre possibilité, explique l’expert, est que le président estime qu’il y a une personne au sein du Parlement qui peut commander une majorité et le nomme à la tête du gouvernement. Pour cela, il faudra qu’il prouve qu’il a une majorité. «En Inde, cela s’est déjà fait par pétition», dit-il. Mais à Maurice, le cas de figure sera unique.

Est-ce que Pravind Jugnauth peut quand même garder le pouvoir ? «S’il arrive à rallier d’autres membres pour avoir une autre majorité, oui» répond un autre expert. Cependant, ce dernier ne croit pas trop à d’autres démissions. «Il ne faut pas oublier que non seulement il y a actuellement trois postes de ministres à offrir, ce qui peut attirer des membres de l’opposition, mais il y a aussi des gens de la majorité, comme Steeve Obeegadoo, Tania Diolle et autres qui intégreront difficilement un parti de l’opposition», poursuit-il. «Mais si vraiment il y a huit autres démissions, c’est le président qui aura un rôle à jouer. Il acceptera quoi comme preuve d’un membre de l’opposition pour dire qu’il commande une majorité ?» se demande-t-il.

 

 

Brèche dans le MSM

<p>Le départ de Nando Bodha n&rsquo;est pas un fait anodin. <em>&laquo;Depuis les élections de 2019, c&rsquo;est le deuxième ministre qui part. Et Nando Bodha n&rsquo;est pas n&rsquo;importe qui. Il était non seulement le secrétaire général du parti, mais il a plus de crédibilité que d&rsquo;autres membres&raquo;</em>, avance Milan Meetarbhan. Selon lui, après ce départ, le gouvernement, avec toutes les pressions subies depuis les élections, changera peut-être d&rsquo;approche face aux scandales et défis pour éviter une hémorragie qui mettra la majorité en péril.</p>