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Jack Bizlall:«Si on tue dans des opérations corruptives, c’est qu’il y a une mafia»

15 janvier 2021, 21:00

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Jack Bizlall:«Si on tue dans des opérations corruptives, c’est qu’il y a une mafia»

Les derniers événements en date, à savoir les nombreux scandales à répétition concernant les dépenses de l’argent du contribuable, qu’il s’agisse de l’achat de masques pour le Covid-19, de l’affaire St-Louis, ou de la clinique MedPoint, entre autres, indignent un certain nombre de Mauriciens. Jack Bizlall, ancien député et syndicaliste, analyse la situation.

L’affaire Kistnen et les autres scandales révélés durant le confinement indiquent que l’achat de médicaments et d’équipements par le ministère de la Santé est passé invariablement par des intermédiaires qu’ils soient locaux ou étrangers. Quand ce n’est pas par la STC qui à son tour passe par des intermédiaires. Est-ce que cela a toujours été ainsi ?

Je crois que l’on vit dans un pays où on parle beaucoup et on agit peu. Il est un fait indéniable que beaucoup de nos institutions n’agissent pas selon leurs attributions. Que ce soit le Central Tender Board, l’ICAC et les ministères concernés. Nous avons effectivement vu plusieurs scandales. Que ce soit pour les achats liés au Covid-19, les moteurs de St-Louis, la clinique MedPoint etc. Si le système fait intervenir des intermédiaires, c’est que le système est ainsi construit pour la fraude, la corruption, le blanchiment d’argent et, plus grave, comme c’est le cas pour la centrale du CEB le paiement de rétrocommission. Le système mafieux est à la fois la cause de ce que nous subissons mais autant l’effet de notre système politique dynastique, oligarchique, bureaucratique…

 En passant par des intermédiaires, les prix n’ont-ils pas tendance à gonfler «artificiellement» ?

Permettez-moi de vous dire que nous identifions mal qui sont les intermédiaires. J’en identifie trois types : 1) les parents et proches de nos fonctionnaires et de nos politiciens comme dans le cas du scandale de Hedging du pétrole à Air Mauritius et à la STC il y a quelques années. 2) Les gouvernements dans les accords entre les entreprises et les institutions. C’est une question de l’État mais il y a des accords qui se font au bénéfice des particuliers avec les gouvernements comme intermédiaires. Comme ce fut le cas des achats d’avion d’Airbus par Air Mauritius. 3) les médias qui créent les conditions poussant à l’urgence des achats. Il existe aussi des agences de communication qui sont payées pour pousser à des achats dans l’urgence. Tel fut le cas avec les achats de plus de Rs 1,2 milliard d’équipements à l’approche de la pandémie du Covid-19.

 On a eu un aperçu de quelques cas où de la corruption est fortement soupçonnée d’avoir eu lieu. Si c’est vrai, n’est-ce pas l’appât du gain de quelques décideurs qui détermine de la justesse d’une commande et du choix du fournisseur ? Je veux dire par là que comme pour les autres produits et services payés par le gouvernement, le plus cher et le pas nécessaire pourraient-ils être choisis au lieu du moins cher et du nécessaire ?

Quand vous parlez d’intermédiaire, il faut savoir comment ils fonctionnent – certains sont rétribués par les fournisseurs pour faire augmenter les prix ou éliminer par la corruption, la concurrence. D’autres sont rétribués officiellement par les acheteurs pour faire bais- ser les prix. D’autres encore sont des experts dans la fourniture des besoins. Ils ont des réseaux soutenus par des États. Sans les États ils ne peuvent rien faire. Ce qui me choque c’est quand ils font monter les prix de vente et ainsi d’achat artificiellement, pour bénéficier des commissions alors que les bénéficiaires réels sont ceux qui commandent et ceux qui fournissent. Ils pratiquent même le système de rétrocommission.

 Et quand il n’y a pas d’appel d’offres, comme durant le confinement, le prétexte d’urgence n’aggrave-t-il pas la situation ?

Il faut faire attention, il n’y a urgence que quand il n’y a pas eu de planification des besoins. Comme le cas des masques en France. Rien ne doit être fait dans l’urgence et, plus grave, quand l’urgence est artificielle ou pire de nature criminelle. Voyez comment on a manipulé l’urgence des achats des moteurs du CEB.

 Il se pourrait que l’on ait même tué pour des affaires de commissions et de contrats récemment. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

Si on tue dans des opérations corruptives, c’est une indication qu’il existe une mafia organisée à Maurice. Je tiens à vous dire que les mafias n’existent que quand le Parlement est paralysé et il l’est dans des systèmes politiques dynastiques… Comme c’est le cas à Maurice. Il n’y a aucun doute pour moi à ce sujet.

Le député Osman Mahomed vient de déclarer que les consultants étrangers sont privilégiés au détriment des locaux et que les frais de ces consultants dépassent parfois les 10 %. Quel est le rôle du consultant, au fait ?

Et pensez-vous que leurs services, qu’ils soient locaux ou étrangers, soient essentiels ? Il ne faut pas faire d’amalgame. Notre société souffre de son insularité avec les handicaps qui s’y rapportent. La question pour moi ce n’est pas d’opposer les consultants mauriciens aux consultants étrangers ou une question de coût de leurs services. C’est une question de qualité et donc de durabilité et de servicing (entretien), de renouvellement – il y a aussi des enjeux économiques importants.

Sous Pravind Jugnauth, on a vu une sorte de débauche dans la construction de routes, de drains et autres ponts et viaducs quand ce n’est pas des bureaux et parkings. Est-ce du développement ?

C’est dans les faits : sous la dynastie Jugnauth on a vu se multiplier les gros travaux. Souvent on dit que la corruption est le vecteur d’un développement inutile. C’est ce qui se passe à Maurice. Incontestablement. Notre pays par ailleurs est détruit sur tous les plans. Dans le dernier budget il est mentionné plus de cent millions de roupies de gros travaux. Je suis un opposant inflexible des dynasties et en particulier celle des Jugnauth.

À un moment où le gouvernement aurait dû freiner sur les dépenses infrastructurelles non essentielles, comme il l’avait promis d’ailleurs en réponse à une suggestion de Xavier Duval lors du discours du Budget, n’est-on pas en train de gaspiller nos maigres ressources ?

Je vais vous dire mon mépris pour ceux qui hier ont soutenu la dynastie Jugnauth et qui aujourd’hui font des déclarations fracassantes. Veuillez dresser la liste des gens soumis à cette dynastie, on trouvera presque tout le monde : Ramgoolam, Bérenger, Duval, Boolell, Mohamed… sans oublier les Bhadain, Teeluckdharry, etc. et en attente les Collendavelloo, Obeegadoo, Ganoo…

 Ces bétons et asphaltes accompagnés du toujours présent problème d’embouteillage n’enlèvent-ils pas le cachet naturel du pays qui faisait l’attrait auprès des touristes ?

Notre pays est en pleine destruction écologique sociale. Pour une économie qui est supposée suivre le dogme de l’économiste Joseph Schumpeter, celui de la destruction créatrice… Je suis désolé. Ce que je constate est ahurissant.

Si c’est la corruption qui détermine les projets, que faire alors ?

Nous ne réfléchissons pas assez. Avec cinq autres personnes, nous écrivons une nouvelle Constitution pour le pays. On publiera un communiqué de presse bientôt à ce sujet. Mon action politique se situe dans le pouvoir extraparlementaire, c’est-à-dire faire des propositions.