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Kee Chong: «Nous vivons comme si le monde était obligé de nous faire vivre»

18 décembre 2020, 20:59

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Kee Chong: «Nous vivons comme si le monde était obligé de nous faire vivre»

Dans quelle situation la pandémie Covid-19 laisse-t-elle l’économie de Maurice ?
La pandémie Covid-19 a mis à nu l’état de notre économie. L’économie de Maurice est caractérisée par un niveau stagnant et décroissant dans plusieurs domaines, dont celui de l’exportation, l’investissement, l’épargne et la productivité. Résultat, nous étions pris dans le piège d’un pays à revenu intermédiaire.

D’accord, mais vous semblez ignorer le fait que Maurice a déjà été classé parmi les pays à haut revenu ?
Le classement de Maurice dans la catégorie des pays à haut revenu en juillet 2020, après les Seychelles, n’a été qu’un effet de comptabilité et il n’est qu’éphémère. Fort de cette percée momentanée, Maurice se comportait comme si le pays allait bientôt atteindre le niveau de Singapour. Bien vite, le pays a été ramené à la dure réalité surtout par le Covid-19. Ce ne fut qu’un effet de mirage que le passage de la pandémie a mis à nu. On peut parler plutôt d’une économie à haut-coût.

Qu’est-ce qui, selon vous, a manqué à Maurice pour qu’il maintienne, dans la durée, son positionnement sur la liste des pays à haut revenu ?
Nous avons eu un modèle de développement économique qui nous a, peut-être, bien servi dans la période post-indépendance. D’où notre émergence du sous-développement. Cependant, un demi-siècle après, il faut reconnaître que ce modèle est dépassé et obsolète ; et qu’il ne peut nous sortir de notre stagnation. Au contraire, nous subis- sons de plein fouet une récession de 14 % cette année.

Sur quoi reposent vos arguments pour conclure que le modèle économique que le pays a connu jusqu’ici est dépassé et obsolète ?
Ses principales caractéristiques s’arti- culent autour du principe des bas salaires, main-d’œuvre peu qualifiée ou formée, faible technologie, investissement à faible technicité et basse productivité. Tout cela est encadré d’une bulle financière de crédit à faible coût, argent facile, et devises bon marché ; soutenu de plus par des incitations fiscales, exemptions de taxes, crédit d’impôts, et carrément par des subventions et subsides en tous genres. Pour couronner le tout, protégé par des marchés préférentiels et fortement rémunérateurs. Ce modèle n’attire que des investisseurs déjà nantis, qui ne sont pas disposés à prendre des risques et qui ne cherchent que des profits rapides de fruits à portée de main dans leur jardin. C’est le bal du grand capital qui surfe sur les vagues de la croissance du marché mondial. Et quand viennent les chocs de la mondialisation, ils s’accrochent à leur acquis et leur vieux modèle de développement et ne peuvent pas dépasser le cadre de leur dépendance, pour ne pas dire addiction, à l’aide de l’État. Sauf pour proposer des coupes budgétaires, des licenciements, de l’austérité. Tout le trésor de guerre des profits accumulés ne sera bon que pour développer leur patrimoine foncier, qui est devenu le seul secteur à développer. Encore tout cela avec le cercle vicieux de basse productivité, subventions étatiques et facilitation des affaires. 

Ce n’était certes pas un modèle parfait mais il a quand même contribué au développement que le pays a pu enregistrer jusqu’ici ?
Ce modèle a marché aussi longtemps qu’on a eu un marché d’exportation garanti et protégé comme pour le sucre, le textile ; ou l’offshore dans le traité avec l’Inde. En ce qui concerne l’externalisation des processus d’affaires, tirée surtout par notre affinité francophone, c’est en raison de la léthargie de Madagascar et récemment du Printemps arabe. Cependant, le jour où la situation dans les pays arabes francophones et à Madagascar redonnera confiance aux investisseurs français plus particulièrement, attention les dégâts. Déjà, ce secteur piétine et n’arrive pas à monter en gamme. Le jour où Madagascar se réveillera, Maurice s’écroulera. Notre modèle de développement économique, qui consiste à continuellement extraire le maximum de marchés préférentiels qui nous sont donnés, est arrivé à son terme. Le monde a changé. Mais nous vivons comme si le monde était obligé de nous faire vivre. La dette publique, la création monétaire, le déficit budgétaire, le déficit commercial, l’endettement des personnes, l’inflation et la dépréciation, tout se dégrade avec l’inégalité sociale et le climat des affaires. Ce sont des indicateurs évidents que notre modèle économique ne tient plus la route…