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240 ans de l’immigration chinoise: non, ils n’étaient pas tous boutiquiers

13 décembre 2020, 20:30

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240 ans de l’immigration chinoise: non, ils n’étaient pas tous boutiquiers

En finir avec les clichés. C’est la lecture de l’immigration chinoise et de ses apports que propose l’historien Jocelyn Chan Low. Le jeudi 10 décembre, Mauritius Post, la New Chinatown Foundation et l’ambassade de Chine ont lancé une nouvelle série de timbres marquant les 240 ans de l’arrivée des immigrants chinois. Et si leur histoire était plus ancienne et plus complexe qu’il n’y paraît…

Plus de 240 ans de présence 

Il y avait déjà des Chinois dans l’île avant la période britannique. Selon l’historien Jocelyn Chan Low, à la période hollandaise déjà, il y avait une présence chinoise. «Tout dépend de qui on parle», précise-t-il. «S’agit-il de ceux qui sont venus de Penang, du Sud-Est asiatique ou de ceux venus de Chine ?» 

Dans le cas de la Chine, il y a eu des ressortissants de Fukien (ils étaient minoritaires), ensuite des Cantonais – de Shuntak – et par la suite des Hakkas. Pour ce qui est du Sud-Est asiatique, il y a eu des «forçats» dans l’île. Jocelyn Chan Low use de l’euphémisme : «Ils avaient eu des petits problèmes» pour parler de ces hommes qui représentent une présence chinoise «depuis le XVIIe siècle». L’historien souligne qu’«ils ne sont pas tous venus comme commerçants, on a tendance à l’oublier».

Des esclaves chinois 

«Pendant la période française, il y a des esclaves chinois», affirme l’historien. Sauf qu’il s’agit là d’un épisode méconnu. À l’époque, l’île de France et Canton avaient des relations commerciales, ce qui explique pourquoi des «charpentiers de marine chinois avaient ouvert boutique dans l’île». Jocelyn Chan Low cite l’ouvrage de Jacques Milbert, Voyage pittoresque à l’île de France, au Cap de Bonne Espérance et à l’île de Téneriffe, publié en 1812. «Il y parle des Chinois dans l’île et même d’un Chinatown dans le centre de Port-Louis.» 

Des engagés chinois 

À partir de 1820, le premier gouverneur britannique, Robert Farquhar, «veut des agriculteurs libres et les Chinois étaient de très bons agriculteurs. Au départ, on a pensé à des engagés chinois. Certains sont venus dans les années 1820. Ils ont travaillé avec les laboureurs venus de l’Inde». Sauf que dans les années 1840, raconte l’historien, «un groupe de travailleurs chinois creuse un tunnel sous la Chaussée et dévalise la banque commerciale».

Débuts de l’immigration 

La province de Guangzhou comprenait des groupes très distincts, les Cantonais et les Hakkas (originaires du Nord de la Chine, mais installés dans cette province). «Les Hakkas, à l’époque, étaient considérés comme plus barbares parce qu’ils n’étaient pas intégrés dans la société cantonaise», précise l’historien. Il parle de «détestation terrible» et de «rivalité de sang» entre les divers clans. «En Chine, les villages étaient fortifiés.» 

Au début de l’immigration chinoise dans l’île, les «Fukien se fondent dans la population». Les Cantonais deviennent majoritaires. Suite à la révolte des Taiping (1851-1864) en Chine, ce sont des Hakkas qui sont venus à Maurice, devenant ainsi majoritaires au sein de la population d’origine chinoise. 

Deux Chinatowns 

Il faut distinguer deux Chinatowns à Port-Louis, indique Jocelyn Chan Low. Celui «d’en haut» des Cantonais, dans les parages de la rue Sun Yat Sen (ex-Arsenal) ; et l’autre «d’en bas», celui des Hakkas. «À l’époque, les Cantonais ne voulaient pas que les Hakkas s’installent dans leur quartier. Quand les Hakkas sont devenus majoritaires, il y a eu une grosse bagarre avec les Cantonais. On raconte même que des boutiques ont été dynamitées.» Résultat : «La Chinese Chamber of Commerce a institué un système de présidence tournante entre Cantonais et Hakkas.» 

Selon l’historien, des Cantonais «furieux» ont préféré partir de Maurice pour Madagascar, à la fin du XIXe siècle. «Là-bas, ils ont dit aux autorités françaises que les Hakkas étaient des hors-la-loi, ce qui fait que les Cantonais sont majoritaires à Madagascar.» 

L’attachement à la Chine 

Le 10 octobre 1911 est la date de la révolution en Chine. Celle-ci devient république. Une date qui est commémorée avec faste – fut un temps – à Maurice. «Dans les années 1950, il y avait chez nous des bagarres entre les communistes et les nationalistes. Et on a mis fin à la fête du 10 octobre et ses défilés. Selon les archives britanniques que j’ai consultées, l’administration craignait que la fête ne dégénère.» Jocelyn Chan Low va plus loin en affirmant que «si un groupe fête la république chinoise, c’est qu’il ne se sentait pas vraiment mauricien. Les enfants fréquentaient les écoles chinoises. C’est à partir des années 1950 que tout a changé. Ce groupe s’est intégré beaucoup plus tard.»