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Sudhir Hazareesingh: «Pourquoi pas une statue d’esclave marron à côté de celle de La Bourdonnais ?»

23 novembre 2020, 12:34

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Sudhir Hazareesingh: «Pourquoi pas une statue d’esclave marron à côté de celle de La Bourdonnais ?»

L’historien Sudhir Hazareesingh, professeur à l’université d’Oxford, nous invite à repenser l’enseignement de l’histoire de l’esclavage et des grandes figures coloniales. C’était lors d’une récente visioconférence organisée par le Rotary Club de Phœnix et ACE Speakers Toastmasters Club.

«Quand vous entrez dans Port-Louis, la première chose que vous voyez c’est une statue de Mahé de La Bourdonnais. Il était certainement un homme capable. Un gouverneur français qui a fait plusieurs choses. Mais on ne dit pas souvent que La Bourdonnais a fait venir des esclaves à Maurice. Et qu’il les a traités d’une manière très sévère et dure. Cet aspect de Mahé de La Bourdonnais ne doit pas être effacé. Il faut en parler.» Celui qui lance ainsi le débat est l’historien Sudhir Hazareesingh. Fellow et Tutor in Politics au Balliol College à Oxford. Il est l’auteur de Black Spartacus : The epic life of Toussaint Louverture.

Il existe plusieurs statues de Toussaint Louverture dans le monde, comme ici au Canada, ce buste à Bordeaux ou encore à La Rochelle (en bas).

C’est à ce titre qu’il a donné une visioconférence, le 11 novembre, à l’invitation du Rotary Club de Phœnix et d’ACE Speakers Toastmasters Club. Son ouvrage qui, depuis sa parution au mois de septembre, a été salué par la critique. Il est en lice pour le Baillie Gifford Prize, un prix littéraire en Grande-Bretagne qui récompense les œuvres de non-fiction. Le nom du gagnant du prix pour 2020 sera annoncé demain, 24 novembre.

«Il faut se demander comment nos enfants devraient se souvenir de La Bour- donnais. Pas seulement comme d’un bâtisseur, mais aussi comme celui qui a pratiqué l’esclavage.» D’où la suggestion de l’historien qu’une statue «célébrant la résistance à l’esclavage» soit placée à côté de celle de Mahé de La Bourdonnais. L’historien précise : «Je ne dis pas qu’il faut enlever la statue de La Bourdonnais. Mais de montrer l’une des grandes figures du marronnage, de la résistance à côté de lui.» Une manière d’enseigner – d’équilibrer – l’histoire dans l’espace public.

Dans la foulée, Sudhir Hazareesingh estime qu’il faut revisiter la manière d’enseigner l’histoire de Maurice au primaire et au secondaire. «Il faut donner à l’esclavage, particulièrement la résistance à l’esclavage la dimension qu’ils méritent.» C’est cette version «intégrée» qui contribuera à bâtir la nation.

Pour l’historien et professeur à Oxford, Toussaint Louverture représente le «premier super-héros noir des temps modernes». Dans l’assistance, on lui fait remarquer que Toussaint Louverture, né en esclavage, meneur de la révolte des esclaves à Haïti, a par la suite possédé des esclaves. «Toussaint Louverture est une figure controversée», convient alors l’historien. «Il a pris des décisions qui n’ont pas plu à tout le monde, même ses supporters.» Mais l’élément clé reste sa lutte contre l’esclavage. «Il a enrayé les ambitions des Anglais et de Napoléon Bonaparte dans cette partie du monde. Bonaparte voulait étendre son empire aux Amériques. L’Amérique doit une fière chandelle à Toussaint Louverture pour avoir empêché cela.»

L’historien souligne aussi la dimension de rassembleur de divers groupes ethniques qu’à Toussaint Louverture. «Il a dû prendre des décisions difficiles pour préserver l’unité. Pour avoir lutté contre l’esclavage, il mérite le titre de héros.»

Les liens entre Toussaint Louverture et Maurice

«J’ai passé les 20 premières années de ma vie à Maurice. En grandissant j’entendais des histoires sur les chefs de la résistance parmi les esclaves marrons. Des figures flamboyantes comme celles de Diamamouve, Takamaka encore Madame Françoise, une princesse malgache qui a mené une révolte d’esclave dans le sud-est de Maurice», a confié l’historien.

Lors de son intervention, l’historien Sudhir Hazareesingh a établi des parallèles entre Haïti et Maurice. À la fin du XVIIIe siècle, Saint-Domingue, l’actuelle Haïti et Maurice sont toutes deux des colonies françaises. Haïti comme l’île de France sont des sociétés multiculturelles, pluriethniques avec une population de colons blancs et d’esclaves d’origine africaine. La culture française y est dominante.

L’auteur insiste surtout sur les actes de résistance à l’esclavage à Saint-Domingue comme à Maurice. «Au début du XVIIIe siècle, il y a environ un demi-million d’esclaves à Saint Domingue et environ 60 000 à Maurice.» Avant de se référer à la région du Morne, qui au XIXe siècle, «était une république des marrons» où ceux qui résistaient à l’esclavage trouvaient refuge.

Maurice et Haïti ont aussi en commun la langue créole. «Le créole était que Toussaint Louvertrure utilisait pour communiquer avec les officiels autour de lui au quotidien. Mon héritage mauricien m’a aidé à mieux comprendre Toussaint Louverture et cerner son histoire.»

L’historien souligne également la dimension multiculturelle – ou interculturelle - de Toussaint Louverture. «L’une des réalisations les plus extraordinaires de Toussaint Louverture et de la révolution haïtienne est d’avoir rassemblé des gens qui viennent d’Afrique et qui ont des origines diverses. Ils ont aussi un passé de conflits entre diverses ethnies et tribus en Afrique. Toussaint Louverture parvient à créer une communauté multiraciale en quelques années. Il crée une république multiraciale où chacun – qu’il soit blanc, noir ou métis – partage les mêmes principes, les mêmes croyances. Une communauté où chacun a les mêmes droits. Ce qui est en résonance avec l’histoire de Maurice, plus particulièrement depuis l’indépendance.»

Autre aspect : l’universalité de Toussaint Louverture. Il meurt assassiné dans une prison française en 1803. Avant d’être réhabilité en 1998 et d’entrer au Panthéon. Par la suite, une plaque en hommage à Toussaint Louverture est dévoilée dans la crypte du Panthéon. «Au cours des deux siècles qui suivent sa mort et jusqu’à aujourd’hui, il est cette figure incontournable dans l’imaginaire de l’Atlantique. Pratiquement tous les pays où il y a des esclaves adoptent Toussaint Louverture comme un héros.»

Pourquoi Toussaint Louverture est-il d’actualité ?

L’histoire de Toussaint Louverture (1743-1803) parle de la lutte pour la justice. C’est en cela que cette figure nous parle toujours en 2020, estime l’historien Sudhir Hazareesingh. «Il cherchait ce que toutes les sociétés postcoloniales – incluant Maurice – visent : une situation où tous les citoyens jouissent des mêmes droits. L’histoire de Toussaint Louverture nous rappelle que la liberté est quelque chose pour laquelle il faut se battre.» L’historien souligne que Toussaint Louverture était un homme «international». Pétri des idées du siècle des Lumières, il croyait dans l’égalité, le progrès et la réconciliation. «Son parcours nous pousse à revoir comment nous racontons notre propre histoire, celle de l’esclavage et du colonialisme. Tous ces éléments qui participent à qui nous sommes aujourd’hui.» Il se réfère notamment aux débats, en Angleterre, sur comment commémorer le passé. Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, né après le décès de George Floyd, ce noir décédé après une arrestation par des policiers blancs, il y a, explique l’historien, une réflexion sur les monuments. «Est-ce que nous devrions vraiment célébrer d’autres types de personnalités ? C’est un débat nécessaire.»