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Dauphins morts: ce n’est que la première vague, prédisent des experts

28 août 2020, 21:15

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Dauphins morts: ce n’est que la première vague, prédisent des experts

Cela fait trois jours que des dauphins morts sont retrouvés le long de nos côtes. Le bilan officiel ce vendredi 28 août est de 39, et si l’on en croit certains experts internationaux, nous n’en avons pas fini de retrouver des animaux marins morts sur les plages du Sud-Est.

Véronique Couttee, Conservation biologist mauricienne qui travaille à la National Audubond Society aux États-Unis, estime qu’il y a de très forts risques que ces mammifères aient été tués par l’accumulation de toxines sur le fil de la chaîne alimentaire. «Les algues et autres plantes ont une forte capacité d’absorption de l’huile. Elles sont ensuite mangées par d’autres animaux marins. Comme les dauphins, et les requins sont à la fin de la chaîne alimentaire, ils accumuleront donc tous les produits toxiques absorbés par les plantes et les autres espèces», avance l’experte, précisant que pendant le processus, 100 % des toxines passent d’une espèce à l’autre.

Mais Vic Cockroft, du Centre for Dolphin Studies d’Afrique du Sud, a une autre lecture. Selon lui, le phénomène d’accumulation au fil de la chaîne alimentaire est un processus sur le long terme. Cependant, il ne rejette pas totalement la théorie. «Pour en être sûr, il faudra voir les poumons et l’estomac des dauphins. Mais encore une fois, il est possible que cela soit une cause secondaire», avance-t-il. Son explication tient au sabordage de la proue du Wakashio. «Ils ont utilisé des explosifs pour l’exercice. Cela a pu avoir un impact sur les dauphins, mais il faudra examiner les oreilles de ces cétacés au cours de la nécropsie pour le savoir».

Même si l’huile lourde a été retirée et ce, dans plusieurs endroits, et que le lagon est à nouveau bleu turquoise comme sur les cartes postales, le retour à la normale n’est pas pour de sitôt. Les experts prédisent d’autres catastrophes. La Conservation biologist voit l’avenir en noir. L’huile lourde et ses composants sont très solubles et volatils et de ce fait, ils seront présents pour encore longtemps dans la mer. Selon elle, hier n’a été que la première vague d’échouement d’animaux marins morts. Il faudra s’attendre à en voir d’autres, y compris des baleines et des requins morts dans les semaines à venir. L’océanographe Vassen Kauppaymuthoo tient le même discours. «L’on doit s’attendre à voir des tortues de mer, des poissons, des coraux mourir à petit feu» avance-t-il.

Toxique pour les coraux

Mathieu Pinault, qui est le fondateur de Marex, société spécialisée dans l’écologie récifale à la Réunion, explique qu’il y a de nombreuses études sur l’effet des hydrocarbures sur les récifs. Les coraux constructeurs de récifs meurent au bout de 100 jours au maximum après des expositions extrêmes. Sur le long terme, les coraux démontrent de graves dysfonctionnements au niveau de leurs fonctions alimentaires, reproductives et au niveau de leur croissance.

L’expert revient sur le phénomène de bioaccumulation évoqué par Véronique Couttee. «Ce mécanisme peut aboutir à des concentrations très élevées de composés polluants dans les tissus de certains organismes et les rendre impropres à la consommation, principalement chez les espèces de haut niveau trophique, comme la plupart des espèces de poissons exploités par la pêche. Ainsi, il est possible que l’activité de pêche soit fortement impactée par la présence d’hydrocarbures, tant de manières immédiates (impact aigu) qu’à plus long terme (impact chronique)» avance-t-il. Sachant qu’une des activités principales des habitants de la région est la pêche, cela n’augure rien de bon.

La santé humaine en danger

Selon Vassen Kauppaymuthoo, il faudra éviter les fruits de mer pendant un an, voire deux ans. Pourquoi ?
Vic Cockroft explique qu’il y a des boules d’huile, qui ont été déposées au fond de l’océan. «L’huile est absorbée par les animaux marins, qui sont eux-mêmes mangés parles humains. Donc, il y a un danger pour l’homme», avance-t-il. Il est rejoint dans son analyse par Véronique Couttee. «Nous sommes aussi à la fin de la chaîne alimentaire et donc les toxines s’accumuleront aussi dans nos organismes», affirme-t-elle.
En sus de la faune, la flore sera aussi impactée. Il y a eu des dépôts d’huile sur les racines des mangliers. Mais c’est un moindre mal. «Par définition, le manglier est un filtre et les mangliers feront leur travail. Il faut voir le problème dans sa globalité et l’effet sur les autres espèces plus fragiles», explique-t-elle.

Disparition des espèces

Véronique Couttee avance que l’huile lourde est présente dans la nature. «Mais la nature a ses propres moyens de réguler les fuites naturelles. Là, il y a eu un énorme déséquilibre», dit-elle. À ses débuts, elle a travaillé à l’Île aux Aigrettes et estime que plusieurs plantes endémiques de l’île, qui ne sont pas présentes sur le mainland de Maurice, vont disparaître. «Il faut savoir qu’il y a plusieurs couloirs d’eau autour de l’île qui vont transporter les produits toxiques non visibles dans les plantes». Il faudra plusieurs années pour que l’équilibre de l’écosystème se rétablisse.
Revenant à cet équilibre, Vassen Kauppaymuthoo avance que le fait d’éviter la pêche et de réduire la consommation de fruits de mer va rajouter à ce déséquilibre, car la chaîne alimentaire sera perturbée.

Pour lui, la partie est loin d’être gagnée. «Les habitants de la côte et aussi ceux qui ont apporté leur aide ont respiré ces vapeurs. Et l’on sait qu’il y a un fort taux de cancers chez les populations qui vivent près des raffineries» explique-t-il.

Le tableau brossé par Sébastien Sauvage d’Eco-sud, n’est pas plus réjouissant. «Six types d’environnement vont être perturbés. Le récif, les herbiers marins, les rivières, les wetlands, les mangroves et les îlots. Six types d’habitats pour les faune et flore marines.» Ce dernier, tout comme plusieurs Mauriciens, sont inquiets de l’impact que cela aura sur l’Île-aux-Aigrettes. «Ce qui est important, c’est que les autorités nous laissent poursuivre le monitoring que nous avions l’habitude de faire. Actuellement, les garde-côtes nous empêchent d’effectuer des prélèvements dans le lagon.» En tout cas, le tableau brossé par ces deux experts laisse présager que le pire est à venir.