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Nicolas Ritter: «C’est maintenant que les Mauriciens paient le prix fort de mauvaises décisions politiques»

23 août 2020, 20:28

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Nicolas Ritter: «C’est maintenant que les Mauriciens paient le prix fort de mauvaises décisions politiques»

Nicolas Ritter, le bouillant fondateur de PILS, cède sa place de directeur exécutif qu’il occupe depuis 13 ans, pour prendre un poste de conseiller à Coalition PLUS, union internationale d’organisations communautaires de lutte contre le sida et les hépatites. L’heure du bilan et des projections d’avenir a sonné.

L’année prochaine, cela fera 25 ans que vous avez fondé PILS. Si vous aviez un mot ou une phrase pour qualifier ce quart de siècle, vous diriez quoi ?
Intense. Une quête, un cheminement.

Élaborez s’il vous plaît.
Avant d’apprendre ma séropositivité, je n’avais pas d’appétence particulière pour faire de la lutte contre le Sida le centre de ma vie. C’est lorsque j’ai découvert mon statut sérologique qu’il y a eu un déclic, une prise de conscience et surtout, après cela, un parcours de 25 ans, qui m’a formé. J’ai appris des tas de choses et fait des choses dont je ne me croyais pas capable, comme par exemple parler en public devant 5 000 personnes. Ce n’est pas quelque chose d’innée ou peut-être que c’était en moi mais je ne le savais pas.

Quels ont été les meilleurs moments de ces 24 dernières années ?
J’ai trouvé les cinq premières années palpitantes car c’était les années de mobilisation, où il fallait trouver les partenaires,sensibiliser la presse, les politiques, tout construire. C’est toujours très excitant quand on démarre un projet. Je dois dire que j’ai reçu énormément d’écoute attentive, positive, créative de la part de la presse écrite et audiovisuelle, qui a accueilli favorablement notre demande de soutien, d’action et de militantisme à un moment où la lutte contre le Sida passait par une étape majeure. Souvenez-vous, avant 1996, on mourait du Sida dans le monde car il n’y avait pas de réponse médicale efficace et les associations, qui s’étaient mises en place, ne pouvaient qu’accompagner les personnes séropositives à la mort.

Que s’est-il passé par la suite ?
C’est en 1996 que sont apparus les premiers traitements efficaces. J’en ai été témoin à La Réunion, où une personne condamnée, soignée avec les nouvelles molécules, a connu l’effet Lazare, nommé après le personnage biblique. Vous voyez une personne grabataire et à l’article de la mort se remettre à marcher. Cela a pris cinq ans pour que ces traitements arrivent ici, mais on a été un des premiers pays d’Afrique à l’avoir gratuitement à une époque où les personnes vivant avec le VIH avaient retrouvé la santé dans le Nord et les malades mourraient dans le Sud. L’année 1996 a été une année formidable à ce niveau mais aussi au niveau de la mise en place de l’ONUSIDA, et le début de la mobilisation des ressources à grande échelle pour la lutte contre le Sida.

Nous avons tout ce qu’il faut pour cela à maurice, mais hélas nous en sommes loin. c’est ce qui me fait quitter pils sur une note amère

En 1998, j’ai assisté aux prémices du Fonds mondial contre le Sida, la tuberculose et le paludisme, Sidaction a lancé ses premiers financements internationaux. J’avais un boulevard devant moi pour faire les choses, j’avais les outils, les aides, la jeunesse. C’était grisant malgré l’incompréhension et le déni des autorités. Il y a aussi eu des petits moments de bonheur, des souvenirs incroyables comme assister à un concert quasi privé d’Annie Lenox (NdlR, la chanteuse du groupe Eurythmics) à Vienne à l’occasion de la conférence mondiale sur le Sida ; rencontrer Barack Obama, alors président américain, personnage charismatique, qui a fait bouger les lignes dans la lutte contre le Sida ; ou encore ce message d’une jeune fille vendredi dernier, qui m’a partagé qu’elle est née avec le virus, et que sans PILS et son militantisme, elle serait morte aujourd’hui. Elle m’a remercié et s’est dit disposée à venir aider l’association.

Quels ont été les pires moments ?
Au début de 2001, j’étais découragé. J’avais perdu la foi. On n’avait pas encore les traitements, l’État ne bougeait pas, le nombre de cas augmentait. C’est juste après que les choses se sont mises en place. En 2015, on a enregistré un recul majeur avec l’Alliance Lepep et le ministre de la Santé d’alors, Anil Gayan, qui ne se basant sur aucune expertise crédible, pour reprendre le mot à la mode, a mis en place une politique désastreuse en décidant de supprimer la distribution de méthadone, de la distribuer ensuite dans la cour des postes de police, d’exiger de connaître l’identité de ceux qui sont sur le programme d’échange de seringues, de retirer la coordination nationale du Sida du Prime Minister’s Office et la faire passer sous le ministère de la Santé. Il y a eu des attaques personnelles et des attaques tout court. C’était pour moi un des pires moments.

PILS et d’autres associations ont répété que l’on va payer le prix fort de cette politique dans quelques années mais nous n’avons pas été entendus. Je sais que le fait que nous nous élevions contre cette politique n’a pas fait plaisir. Mais en tant qu’ONG, nous ne sommes pas là pour caresser le gouvernement du jour dans le sens du poil mais pour travailler en complémentarité avec l’État en agissant comme chien de garde quand c’est nécessaire, tout en proposant des avenues d’amélioration. C’est le rôle que doivent jouer les associations, nous y compris.

Votre manière de le dire a sans doute froissé certains.
C’est sûr que j’ai un certain franc-parler et que certains sont parfois heurtés par mes propos mais s’ils étaient droits dans leurs bottes, ils ne se seraient pas sentis visés. C’est aujourd’hui que nous payons le prix fort de ces mauvaises décisions politiques. Comme nous l’avions prédit, la situation du VIH s’est dégradée à Maurice. Il n’y a qu’à voir les dernières statistiques. Depuis ces cinq dernières années, 16 % d’augmentation des nouvelles infections au VIH, 25 % d’augmentation des décès liés au Sida, 34 % d’augmentation de l’incidence du VIH à Maurice. Nous sommes passés d’une épidémie concentrée au sein des populations les plus vulnérables à une épidémie généralisée, transmise à 70 % à travers des relations sexuelles non protégées. C’est le pire des scénarios et on aurait pu éviter cela.

Vous dites merci M. Gayan ?
Quelque part oui, je dis merci à M. Gayan d’avoir montré que la politique est capable du meilleur comme du pire, que le VIH est une épidémie politique et qu’elle se paie en termes d’augmentation de coûts pour le contribuable avec plus de malades, plus d’hospitalisations, plus de traitements, plus d’aides sociales. Mais il ne faut pas oublier que M. Gayan n’était qu’un ministre au sein d’un gouvernement. Il a sa part de responsabilité, mais le gouvernement en a aussi. Il faut apprendre du passé car comme je l’ai dit, c’est un lourd tribut à payer que d’avoir plus d’une personne sur 100 à Maurice vivant avec le VIH. Faut-il que le VIH prenne les mêmes proportions que le diabète ou les maladies cardiovasculaires pour que ce virus devienne une priorité de santé nationale ?

«Merci à M. Gayan d’avoir montré que la politique est capable du meilleur comme du pire, que le VIH est une épidémie politique.»

Depuis 2008, on sait qu’une personne vivant avec le VIH qui suit bien son traitement peut avoir une charge virale indétectable dans l’organisme et, de fait, ne plus transmettre le virus. Les Nations unies ont mis en place une vision mondiale avec les trois 90 d’ici 2030, soit 90 % des personnes vivant avec le VIH testées, 90 % de ces personnes bénéficient du traitement et 90 % d’entre elles ont une charge virale indétectable. Nous avons tout ce qu’il faut pour cela à Maurice, mais hélas nous en sommes loin. C’est ce qui me fait quitter PILS sur une note amère. PILS, c’est pourtant 44 salariés, des budgets qui se chiffrent en millions de roupies, des partenaires locaux, régionaux et internationaux. Nous n’avons jamais eu autant de moyens pour faire les choses et pourtant le VIH progresse.

Pourquoi avez-vous décidé de démissionner comme directeur exécutif?
La décision de partir est venue à la suite d’une offre de Coalition PLUS. Mais depuis quelques années, j’y pense. Je n’ai pas créé PILS pour en être le directeur. Le directeur exécutif est là pour appliquer la stratégie mise en place par le conseil d’administration. Cela dit, je continuerai à siéger sur le conseil d’administration de PILS. Je ne quitte pas Maurice et je continuerai à siéger sur le High Level Council on Drugs and HIV. Je pense qu’il y a des personnes qui pourraient faire bien mieux que moi en termes de management à la direction de PILS et nous sommes à la recherche de quelqu’un pour ce poste. 

Quel sera votre rôle à Coalition PLUS ?
J’agirai comme conseiller à la direction générale. Aujourd’hui, Coalition PLUS est une union de lutte contre le VIH et les hépatites. C’est 14 membres de plein droit, 150 partenaires dans 52 pays. Le directeur général a besoin d’aide pour continuer à porter ce projet et pas que d’un point de vue technique mais aussi politique, c’est-àdire travailler sur la transversalité de notre union. Je prendrai ce poste dès que je me serai trouvé un remplaçant.

Lorsque vous avez reçu votre décoration du gouvernement français, vous avez dit que vous auriez un rôle plus politique. Que voulez-vous dire par là ?
En tant que directeur exécutif, j’exécute la stratégie du conseil d’administration. Être dans l’exécution, cela peut parfois être quelque chose de lourd, d’épuisant et cela induit une forme d’autocensure car en étant dans ce rôle, la parole politique ne me revient pas. Je n’ai jamais été muselé par mon conseil d’administration, mais je me suis autocensuré. Lorsque mon conseil d’administration me dit qu’il faut que je travaille de façon optimale avec le ministère de la Santé et que je vois des dysfonctionnements qui m’en empêchent, mon sang de séropositif bout dans mes veines mais je dois me brider. Là, ce sera moins le cas.

PILS doit reprendre sa place dans le champ politique. La voix de PILS doit se renforcer sur toutes les questions périphériques entourant le VIH comme la criminalisation des populations les plus vulnérables, les questions qui dérangent comme l’éducation sexuelle et affective chez les jeunes. Oui, on doit travailler avec l’État mais ce n’est pas lui faire honneur et faire honneur aux Mauriciens et à leur intelligence que de leur faire croire que tout va bien dans l’évolution de notre épidémie, que tout est under control.

Il y a quand même eu du positif durant ces cinq dernières années ?
Oui, il y a des voyants, qui, du rouge, sont passés à l’orange et au vert. Il y a un dynamisme qui s’est mis en place et qui va porter ses fruits. Par exemple, la semaine dernière, le ministère de la Santé a dépoussiéré un plan stratégique global qui dormait dans les tiroirs depuis de longues années et le VIH y occupe une jolie place. Grâce au nouveau coronavirus, les maladies transmissibles sont désormais mieux prises en considération. Il y a les moyens, les ressources humaines, les stratégies, les plans d’actions, qui seront mis en place. Gardons espoir.

Je crois que le plus gros problème à Maurice, qui a, par ailleurs, tous les moyens pour juguler l’épidémie du VIH, est qu’on n’a pas la capacité de parler, d’élargir le débat sur la sexualité, les sexualités. C’est pour cela que le VIH continue à poser des défis ici et dans certains autres pays. Notre rapport au sexe, au plaisir est opaque. On est dans le déni, comme déconnecté, excepté pour le slogan touristique «Maurice c’est un plaisir». On culpabilise les gens. Il y a un problème de message. Comment être audible quand on dit que ce qui procure du plaisir «n’est pas bon» ? Il faut un discours plus clair et moins moralisateur en mettant en avant la gestion des risques, la réduction des risques, qu’ils soient sexuels ou en lien avec la prise de produits psychoactifs.

Vous avez été décoré par la France mais pas par Maurice. Cela vous gênet-il ?
Pas du tout. J’ai reçu une décoration de l’État français et j’en suis très fier mais je ne suis pas plus Français que Mauricien ou plus Mauricien que Français. D’ailleurs, je suis né au Nigéria. Je suis un citoyen du monde. Pour moi, ce n’est pas important de ne pas avoir été décoré par Maurice. Mais sans la France, il est vrai, je n’aurais sans doute pas été en vie aujourd’hui et PILS n’aurait pas fait tout ce chemin. Mais franchement, ne pas avoir reçu de décoration de Maurice ne me pose aucun cas de conscience ou d’émotion particulière.